L’école en vrac !
L’école primaire en France est en vrac !
Le dit-on assez, le sait-on assez ?
D’où vient ce vrac ?
Quelles en sont les raisons ?
J’ai besoin d’écrire parce qu’il en va parfois de la survie des enfants,
des familles et de tous les adultes* qui travaillent à l’école,
mais je suis bien incapable
moi-même de mettre de l’ordre dans ce vrac.
Ce vrac, le voilà !
Servez-vous en libre service,
Mélangez les ingrédients de cette école qui souffre,
Pesez le pour, le contre,
Savourez ce qui sonne juste,
Crachez ce qui donne la nausée.
Merci de lire, merci de réagir,
Merci d’agir.
* Qui sont les adultes dans une école de l’enseignement privé ?
Les ASEM – assistant.es maternel.les
Les enseignant.es
L’enseignant.e spécialisé.e
La directrice ou le directeur
Les personnes qui font le ménage, qui font le secrétariat et/ou la comptabilité, qui accueillent les enfants pendant le temps de la cantine.
Les AESH qui accompagnent le travail des enfants en situation de handicap.
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L’école peut être un lieu de socialisation incroyable, un espace où se rencontre un public multiple qui ne choisit pas d’être ensemble.
Chacun.e arrive avec la couleurs de ses yeux, de sa peau, de ses cheveux.
Chacun.e est là avec ses croyances, ses goûts, ses envies, ses peurs.
Chacun.e est empreint de sa vie de famille, de son expérience de la relation à l’autre.
Par tranche d’âge, les enfants sont répartis pour faire un groupe.
Ils s’assoient dans une salle, les un.es à côté des autres, choisissant plus ou moins leur place.
Ils tournent leur regard vers un adulte, bien différent d’une année sur l’autre selon son idée de la transmission, de l’autorité, de la relation ; de son désir d’écouter leurs paroles, de tenir compte de leurs rythmes, de leurs envies, de leurs possibilités.
Une école abrite une cour de récréation, lieu de plein air, de jeux, de créations, de joie,
de mise-en-commun mais aussi lieu de solitude, d’enfermement, de peurs, de violences, de colère.
Tout ce qui se joue dans cette cour de récréation remplit la tête et le cœur des enfants. Otages de leurs émotions parfois réprimées, de leurs incompréhensions face à des situations inédites, de leurs questions quant à ce que « j’aurai pu dire/faire pour me protéger ? », peuvent-ils être disponibles, à ce qui se dit, à ce qui se transmet, à ce qui s’échange lorsqu’ils reviennent en classe ?
J’aime passionnément cette diversité, ces réalités qui se croisent, cohabitent, ce quotidien enseignant.e/élève, au fil de l’année.
J’aime la difficulté, le découragement, la fatigue que génèrent cette vie ensemble qui s’impose à nous tou.tes, entre quatre murs, quatre jours par semaine.
J’aime les désaccords, les ajustements, les incompréhensions, les excuses qui construisent des relations où chacun.e trouve sa place, se positionne par rapport à ce qu’il est, par rapport à l’autre.
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Et pourtant, je n’en peux plus.
Je n’en peux plus des dysfonctionnements , des absences ou manquements institutionnels.
Je n’en peux plus du manque de concertation, de formation pour faire équipe, pour penser et agir ensemble.
Je n’en peux plus de ce titre de directeur.ices qui autorise à prendre des décisions seul.es sans consulter les personnes concernées, sans prendre en compte la complexité d’une situation.
Je n’en peux plus de l’amateurisme, par manque de temps, de formation et de concertation, pour aborder les situations de violences, de maltraitances dont sont victimes les enfants.
Je n’en peux plus de partager mes observations quant au comportement, aux paroles d’un enfant et de ne recevoir aucun soutien, aucun retour.
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C’est cet enfant qui parle, en classe, de son mal être, de sa souffrance face à ce qui se passe à la maison.
C’est le silence de l’hôpital de jour quand je relaie les mots, les paroles de cet enfant.
C’est un enfant qui tente de se pendre un soir, dans sa chambre.
Ce sont les institutions qui questionnent : « Est-ce que cet enfant ne raconte pas des histoires quand il parle de cette tentative de suicide ? »
C’est cet enfant qui vit presque seul dans un appartement, dans l’immeuble en face de l’école.
C’est cet enfant qui est placé en urgence dans un foyer.
C’est cet enfant, qui est inscrit à l’école, mais qui n’y reviendra jamais sans que personne ne sache ce qu’il est devenu, où il se trouve.
C’est cet enfant qui raconte, en classe, la maltraitance à la maison.
C’est cet enfant qui est entendu par la police.
C’est cet enfant qui a peur, qui multiplie les crises d’angoisse à l’école.
Ce sont ces deux enfants qui échangent « Moi aussi, je ne vois plus mon père, il est dangereux. »
C’est cet enfant qui dit : « J’ai peur de me faire encore mal parce que mon père a dit que si je me faisais encore mal quand je suis chez maman, il demanderait à ce qu’elle ne me voit plus. »
C’est cet enfant qui raconte : « Quand j’étais en grande section, mon père m’a kidnappée. Je n’ai pas pu voir ma mère pendant 6 semaines. »
C’est cet enfant qui a besoin de crier, de ramper pour se sentir bien.
C’est cet enfant qui dit : « Il m’énerve, je vais le buter . »
C’est cet enfant qui menace de mort, qui tient des propos sexualisés portant atteinte à la pudeur des un.es, des autres, qui harcèle sexuellement ses pairs, qui insulte, qui tape.
C’est cet enfant qui fait une fellation à un de ces pairs dans les toilettes de la cour de récréation.
Ce sont ces enfants qui arrivent en retard à l’école parce qu’à la maison, personne n’est là pour les réveiller le matin.
C’est cet enfant qui, à travers une crise d’angoisse, dévoile : « Je ne veux pas aller chez mon père. Je ne sais pas pourquoi mais je suis mal à l’aise avec lui. »
C’est cet enfant qui, pendant des années durant, glissera à l’oreille de ses pairs « Fils ou fille de pute, tu sers à rien, sale con.ne, t’es moche... »
Ce sont ces enfants qui encerclent un plus jeune pour l’empêcher de sortir et le taper.
C’est cet enfant qui dit à une élève racisée qui porte un béret : « Arrête de faire semblant d’être française ! ».
Ce sont tant d’enfants qui ne veulent plus venir à l’école parce l’un.e, l’autre se moque, l’insulte chaque jour, dans le silence.
C’est cet enfant en situation de handicap qui s’enfuit de la classe parce que l’environnement sensoriel l’abîme.
C’est cet enfant qui se débat parce qu’il s’oppose et refuse ce que l’école lui propose.
C’est cet enfant, ce sont ces enfants … et tant d’autres encore.
Cette réalité d’enfant est là, j’ai besoin d’en tenir compte, j’ai besoin que mon métier, ma formation se transforment au fil de ces constats, j’ai besoin que l’environnement scolaire s’ouvrent à des question et des solutions de fond.
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Pourquoi n’est-il pas possible de créer au sein de l’école, une équipe d’adultes volontaires pour penser l’inclusion, mettre en place les ressources nécessaires, répondre aux besoins des enfants en situation de handicap et leurs familles, aux besoins des AESH, saisir les institutions compétentes pour des interventions, des pistes ?
Pourquoi n’est-il pas possible de reconnaître ce qui n’a pas été fait pour répondre à une situation d’urgence, en parler et envisager des solutions pour faire mieux une prochaine fois ?
Pourquoi n’est-il pas possible de parler à voix haute de la violence ?
Pourquoi la violence doit-elle rester une question tabou ?
Pourquoi n’es-il pas possible de prendre, au sein de l’école, notre responsabilité face à cette violence ?
Pourquoi n’a-t-il pas été possible de faire de cette violence un sujet prioritaire, central pour construire un projet d’école qui nomme cette violence, la dénonce, propose des modes d’expression qui protègent et respectent ?
Pourquoi n’est-il pas possible de créer au sein de l’école, une équipe d’adultes volontaires pour penser la violence lorsqu’elle est à l’œuvre dans et à l’extérieur de l’école, pour, face à une situation complexe, croiser les regards et mettre en commun des idées d’actions ?
Pourquoi n’est-il pas possible de mettre en commun les informations concernant tel ou tel élève pour faire fructifier l’attention, la vigilance, la cohérence, la cohésion de l’ensemble des adultes de l’école ?
Pourquoi se sentir aussi seul.e dans sa classe alors que nous pourrions faire équipe ?
Pourquoi n’est-il pas possible de faire équipe pour affronter nos peurs, notre impuissance face au comportement inédit et débordant de certains élèves, face à la colère et l’agressivité de certains parents, face à la maltraitance du système scolaire ?
Pourquoi n’est-il pas possible de constater les réalités de notre monde, d’en tenir compte pour avancer ensemble plutôt que se plaindre et considérer ces réalités comme une fatalité ?
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Ce vrac tourne en rond,
ne trouve pas d’issue pour
s’organiser, pour donner le meilleur,
pour habiter ce métier et construire
un fonctionnement efficace dans lequel
chacun.e trouve sa place,
ose une parole.
Ce vrac tourne en rond,
il embarque dans son tourbillon infernal,
il met à mal l’humanité,
il insécurise les enfants,
les familles, les professionnels,
il révèle une société qui priorise
la loi du plus fort, le « marche ou crève ».
Et pourtant l’école, malgré tout ce qui s’y oppose,
reste un lieu de rencontres insolite, unique,
plein d’effervescence et de créativité,
où les enfants, chacun.e à leur manière, brisent le silence,
parlent de ce qui leur fait violence,
bousculent les adultes pour les interpeler sur ce Monde en mouvement.
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