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Billet de blog 13 novembre 2025

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Je n'avais pas dit oui

Mon corps n'était pas d'accord, tout disait « si tu continues, tu me violes »... Sauf ma voix. Tu avais réussi à me l'éteindre. J'étais la coupable. Coupable d'avoir bu cette bouteille tendue. Coupable d'avoir cru que la personne en face de moi ne m'abuserait pas. Coupable de n'avoir pas crié. De ne pas avoir tapé. De ne pas avoir mordu. D'être juste restée là. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Oui, je me souviens.

Tes grosses mains dégueulasses et ta bouche énorme. Ton odeur et tes blagues ragoûtantes. Tes doigts insidieux.

Tu disais respecter les femmes, ne rien faire lorsqu'elles n'étaient pas d'accord. Tu le déclarais fièrement de prime à bord, sans que l'on ne t'ait rien demandé ; comme si cela faisait de toi un héros ou une espèce d'homme providentiel qui combat son désir naturel pour les protéger... elles. Mais on ne t'avait rien demandé. Sans doute voulais-tu te rassurer. Sans doute savais-tu que tu étais coupable, au fond, de toucher et d'abuser des femmes, qui au fond du gouffre, pliaient sous le poids de ton pauvre corps stupide et profiteur. Sans doute savais-tu que tu n'étais qu'un pauvre connard.

J'ai essayé d'enfuir ton souvenir sous la terre. Je me sentais honteuse. Quelques jours après m'être libérée de toi. Je n'arrivais plus à me regarder dans la glace. Je me suis laissée faire. J'ai laissé ton corps entrer dans le mien. Après des demandes insistantes. Après que j'ai vidé cette bouteille. Tu l'avais achetée exprès- tu me l'avais dit clairement par après - pour que je me laisse mieux faire. Toi, t'en as pas bu. Tu le savais; tu savais ô combien je pleurais un mort, tu savais ô combien je pleurais une rupture, tu savais ô combien je me dégagerais si j'étais sobre. Cela devait être la veille ou l'avant veille, quand tu avais essayé- et que je t'ai dit non- et que tu as réessayé- et que j'ai crié "Si tu continues, tu me violes!". Le mot t'avait fait peur. Tu t'étais arrêté. Je t'avais pardonné. Je m'étais dit que c'était juste une erreur de ta part. Pauvre petit homme.

Tu t'es vengé, tu as recommencé, et j'ai abandonné. Pourtant, ma bouche n'était pas d'accord, mon corps n'était pas d'accord, tout disait " si tu continues, tu me violes"...

Sauf ma voix. Tu avais réussi à me l'éteindre. L'idée de la bouteille d'alcool, c'était très fort. Ou plutôt lâche. L'arme du pervers, du vicelard. 

Cette arme que tu as utilisée, elle a réussi à me discréditer auprès d'un psychiatre. Après m'être isolée, ne pas avoir voulu en parler, le dire à voix basse avec d'autres mots, que les autres ne comprenaient pas. Dans ce cabinet médical, j'avais réussi à faire une phrase; pour parler de ma détresse, pour parler de ce jour où tu as volé une partie de moi. "Est-ce-que vous aviez bu? -Oui. - Alors nous allons parler d'autre chose, cette étape est close." 

J'avais envie de vomir. De fuir loin de là. Mais je suis restée une petite fille sage, assise sur la chaise, et j'ai changé de sujet. Ma vie avait son lot de drames, qui lui semblaient être bien pires que celui-là, aux yeux de ce docteur bien crade. J'étais la coupable. Coupable d'avoir bu cette bouteille tendue. Coupable d'avoir cru que la personne en face de moi ne m'abuserait pas. Coupable de n'avoir pas crié. De ne pas avoir tapé. De ne pas avoir mordu. D'être juste restée là. À regarder vaguement un plafond flou, en voyant virevolter une tête dégueulasse qui avançait et se reculait devant moi.

Et 10 ans après j'y repense, au lendemain de nuits où des hommes m'ont raccompagnée jusqu'à chez moi zigzaguante, sans jamais avoir eu la cruauté de penser à me faire le dixième de ce que tu m'as fait subir ce soir là. Alors les larmes coulantes, la tristesse dégoulinante et la colère enterrée, j'étouffe ton souvenir jusqu'à qu'il revienne me hanter.

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