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Billet de blog 31 août 2025

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Pensées d'enseignante à la veille d'une rentrée

Nous sommes à la veille de la rentrée et déjà mon estomac est noué. Je cherche des solutions pour me calmer. Le poids du travail, le rappel de mon épuisement à la fin de l'année scolaire précédente et l'image créée de toute pièce par mon cerveau présentant ma future classe surchargée m'empêchent de trouver un quelconque repos.

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Nous sommes à la veille de la rentrée et déjà mon estomac est noué. Je cherche des solutions pour me calmer. Le poids du travail, le rappel de mon épuisement à la fin de l'année scolaire précédente et l'image créée de toute pièce par mon cerveau présentant ma future classe surchargée m'empêchent de trouver un quelconque repos. 

Avant-hier, devant mon écran, je découvrais un article d'une enseignante de mon âge qui avait tenté de se suicider au sein de son établissement. Suis-je étonnée ? Non. Et c'est terrible quand on y pense ; mais je comprends que ma profession puisse générer tant de souffrances qu'elle donne l'envie de s'ôter la vie. 

Tant d'années à se voiler la face, à croire que l'enseignant doit être heureux de son travail ; qu'il amène bonheur, amour et reconnaissance à tous ceux qui le vivent, grâce à la gentillesse illimitée des enfants et de leurs tuteurs légaux. Plier sous le poids des injonctions à prendre soin de sa propre "santé mentale"; mettre sur le dos de l'individu des erreurs, voire des fautes commises à l'échelle collective, une petite tradition française bien ficelée. Le professeur a le dos large, il est facile de le faire culpabiliser. Il est simple de l'accuser ; de lui faire porter chaque problème qui survient dans sa salle de classe.

Ton élève lance des objets par terre et essaie de te mordre ? Suis une formation ! Si tu t'investissais plus, tu pourrais l'aider ; et ta classe de 28 élèves, dont deux présentent des troubles de l'attention et de l'hyperactivité, deux des troubles de l'écrit et de la lecture, et un élève primo-arrivant qui ne sait pas encore parler ta langue, serait un temple de la bienveillance et de l'apprentissage. Nos petits apprenants sortiraient de leur salle de classe, grand sourire aux lèvres, dans un parfait rêve mélangeant pédagogie et petits bonheurs du quotidien, attendant impatiemment le lever du soleil du lendemain pour enfiler leur cartable. Mais voilà... tu ne fais pas d'efforts ; tu préfères rentrer chez toi et remettre ton choix de carrière en question, en mangeant du chocolat et en essayant de te convaincre que ce n'est plus très long d'ici les prochaines vacances scolaires. Comme si tu avais choisi ce travail pour les avoir ; et qu'elles sont réellement sources de bien-être pour toi; qu'elles valent bien la peine de subir tout ce que tu subis au cours de ton année.

"Ah bah oui, mais disons que juillet et août, ça rattrape bien tout ça, hein"; paroles de maman d'élève. Sûrement qu'elle rêvait de ces longues semaines de congés alors qu'elle n'en bénéficie pas; que son patron pourri la fait travailler quelques heures par-ci par-là, lui faisant espérer une petite augmentation en échange. La frustration d'un manque de repos, cela permet de bien fouetter psychologiquement l'enseignant de son enfant; qui lui a cette chance de pouvoir fuir loin, le temps de quelques semaines d'été, au bord d'un lac, faire des randonnées en forêt, exploser son porte-feuille dans un voyage loin de tout ça. À quoi bon répondre après tout, à cette remarque, qui résonne encore en moi quelques mois après qu'elle m'a été envoyée en plein visage. Parce que oui, je comprends bien que cela est difficile de se représenter la douleur qui peut s'installer chez un professeur, lorsque l'on regarde son temps passé devant les élèves. Et oui, je ne peux qu'avoir une idée de la souffrance qui s'écroule sur les personnes qui exercent toutes sortes d'autres professions. En même temps, ce n'est pas parce que l'on est soi-même maltraité que l'on peut amoindrir la peine ressentie de la personne en face de soi.

Alors si j'avais eu le courage, l'envie et la patience de lui répondre ce que je pense ; voici ce que je lui aurais rétorqué. Mes journées d'école, je les commence là-bas à 7h30 et les finis aux alentours de 17h30; je rentre, je mange, et le soir je corrige encore quelques copies et adapte mes cours du lendemain. Je prends une petite demi-heure à la pause déjeuner pour faire des photocopies ou préparer des ateliers, aussi. Oui, parfois je travaille 11 heures en un jour, parfois 9 heures, tout dépend. Il est vrai que sur mon emploi du temps, les mercredis, samedis et dimanches sont libres ; mais étonnamment je ne les passe pas à danser sur les Sardines de Patrick Sébastien; je me résous à avancer dans ma préparation et mes corrections; la communication avec les parents, la création de dossiers d'aide pour mes élèves, la recherche de solutions pour aider Gabriel à comprendre comment résoudre cet exercice de grammaire, essayer de trouver des ressources pédagogiques pour cet enfant allophone, dont je peine à imaginer la difficulté à se sentir bien dans une classe entouré de personnes parlant une langue inconnue, inventer des moyens pour que cet élève présentant des troubles quels qu'ils soient ait les mêmes chances d'apprendre que son voisin de classe, etc, etc.

Et attendez, surprise surprise; je travaille aussi pendant les "vacances scolaires". Je rappelle à toutes fins utiles que celles-ci sont destinées premièrement aux petits chérubins. C'est incroyable; nous travaillons en dehors du temps passé devant nos élèves! Les cours ne se préparent pas seuls; ce qui est fort peu arrangeant pour moi. Je préfère néanmoins ne rien répondre, car en tant que professeur des écoles, je m'oblige à garder un sourire bienveillant et rassurant devant les parents d'élèves. Un joli masque de calme qui pourrait bientôt se fissurer sous le poids de ma colère et de mon épuisement.

Lorsque je mets bout à bout toutes ces heures de travail j'en obtiens le même nombre que celles travaillées par mon mari, salarié dans le privé. Lui, néanmoins, ne se fait pas taper dessus par toutes sortes de médias dont les chroniqueurs travaillant quatre heures par jour ne voient le monde extérieur que durant l'instant où ils traversent le passage clouté séparant leur taxi de leur restaurant 4 étoiles, accusant les enseignants d'être la personnification de la paresse. Le lendemain, les mêmes pleureront devant les faits divers touchant les membres de l'équipe éducative -insultés, frappés voire tués - et insisteront pour que ces derniers puissent être honorés d'une légion, une fois six pieds sous terre.

Et puis on va quand même se le dire une bonne fois pour toutes ; non, enseigner à une classe de 28 enfants n'est pas l'activité la plus reposante au monde. Vous n'en pouvez plus que vos deux enfants se battent pour savoir "qui c'est qu'a le droit d'avoir la chaise rouge" pour s'asseoir, parce que vous avez la même en bleu, mais qu'ils veulent tous les deux la rouge, que cela part donc en crise majeure digne d'une scène dramatique écrite par un auteur du 18ème siècle ? Sachez que lorsque l'on a près de 30 élèves dans une classe ou même plus, nous avons à gérer un fort nombre de conflits, et qu'entre cela et l'enseignement des bases fondamentales à des enfants dont le niveau est très hétérogène de l'un à l'autre, il n'y a que peu de temps que l'on puisse consacrer au repos et à la bienveillance envers soi-même. 

Je n'ajouterai pas à ce texte déjà lourd d'autres aspects formidables de ce métier ; les reproches des parents concernant une gestion de conflits qu'ils trouvent ratée de notre part, la remise en question de nos choix pédagogiques et des projets que nous menons (vous avez fait un projet vélo, mais mon enfant en a déjà fait un, peut-on plutôt faire un projet équitation?), la colère qui coule sur nous lorsque nous sommes absents et non remplacés, l'accusation de ne pas faire attention à tel élève, de le traiter injustement, d'être aveugle ou pire, de ne pas vouloir agir dans une situation de harcèlement, alors que celle-ci me hante encore une fois chez moi, se confronter à un enfant qui va s'opposer à vos demandes de travail sans cesse, qui vous dit franchement ce qu'il pense de vous, et pas en positif, etc, etc. Je n'ai même plus la force de décrire toutes ces situations qui mangent mon énergie chaque jour un peu plus, et ma batterie n'a qu'une horrible peine à se recharger.

Et alors, pourquoi je continue ? Sans doute pour payer mes crédits, comme un peu tout le monde. Et puis il y a cette maman célibataire admirable, qui cumule les heures de travail, pleure parfois lors de nos rendez-vous parce qu'elle a du mal à joindre les deux bouts; mais qui sera toujours là lorsque vous aurez besoin d'une accompagnatrice pour une sortie, d'un petit gâteau pour la fête de l'école ou de l'aide pour que son fils se tienne mieux en classe. Il y a cette autre mère, qui a du mal à écrire un mail sans fautes d'orthographe et de grammaire; qui va prendre son temps afin de rédiger un texte sans trop d'erreurs, vous y souhaiter de belles vacances d'été et vous remercier pour le suivi de sa fille. Puis, les parents épuisés, qui essaient d'offrir la meilleure scolarité possible à leur petit bout, courant chez les professionnels médicaux et paramédicaux afin de pouvoir espérer bénéficier d'aides spécifiques pour lui. Il y a aussi ces collègues, qui vous prennent un élève, alors que leur classe est déjà pleine à craquer; parce qu'ils voient que vous êtes à bout de souffle et que vous n'avez pas la force de gérer son comportement ce jour-ci. D'autres vous font sourire avec une blague bête lorsqu'ils voient que vous avez le moral dans les chaussettes. Il y a ce parent qui vous écrit de temps en temps un petit merci, tout simple, à la fin d'un quelconque projet pédagogique et aussi celui qui va demander si vous allez bien, et qui va répéter sa question, parce qu'il sait très bien que votre "oui" ne reflète pas le fond de votre pensée. Et il y a ces enfants, qui vous écrivent un poème, offrent un dessin, fabriquent un bracelet ; qui y mettent tout leur coeur pour être sûrs de vous faire plaisir en fin d'année. Ceux qui vous disent que maintenant, ils aiment lire ou aller à l'école. Ces instants sont rares mais précieux. Les souvenirs des fleurs dessinées à la craie sur le sol, les "Vous ête la métraisse de mes rêves", les petits mots doux, me feraient presque oublier que ce soir, la boule au ventre, je me coucherai en espérant pouvoir tenir tout au long de cette année.

Cet article écrit dans l'épuisement contient sans doute des erreurs d'orthographe, j'en suis désolée.

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