La France devait s’attendre à un raz-de-marée. Il n’y aura eu qu’une vaguelette. C’est là l’un des enseignements à tirer des résultats du premier tour, ce dimanche 10 avril 2022. Le vote caché pour Eric Zemmour dans les sondages l’est également resté dans l’isoloir. Jamais vote caché n’a aussi bien porté son nom. Dans la soirée, le candidat de Reconquête a appelé ses ouailles à voter pour Marine Le Pen. Comme si de rien n’était.
A première vue, ce rapprochement entre d’Eric Zemmour et Marine Le Pen semble aller de soi. Leurs liens familiaux sont incontestables. « Tu es quand même de ma famille politique » [1] écrivait-il dans son dernier opus. Tous deux sont d’extrême-droite dans un paysage politique français en recomposition. Pourtant, lorsqu’on se plonge dans les écrits du polémiste, il y a de quoi s’interroger sur le reniement que suscite un tel ralliement.
C’est qu’en lisant avec attention l’œuvre d’Eric Zemmour, nous voyons que l’essayiste n’a pas mâché ses mots contre Marine Le Pen. Dans Le bûcher des vaniteux, il écrivait que « longtemps son inculture historique ou littéraire a été brocardée, surtout au sein du Front national » [2]. Pour l’essayiste, cette inculture rime avec illégitimité politique. Eric Zemmour ajoutait qu’« avec ses graphiques, ses courbes, ses chiffrages au milliard d’euros près, Marine Le Pen ressemble parfois à un Bourgeois gentilhomme de l’énarchie »[3]. Une comparaison assassine qu’affectionne l’inventeur du « populisme lettré ». Eric Zemmour foudroyait la présidente du Front National avec une rare violence. Mais il y a pire. Il achevait les Le Pen de la sorte : « [Marine Le Pen] a toujours pesté contre la médiocrité de l’entourage paternel : “Pourquoi attire-t-on toujours les plus cons ?” lui demandait jadis la jeune fille. » [4]
Eric Zemmour n’en restera pas là. Dans son dernier ouvrage, La France n’a pas dit son dernier mot, il a de nouveau enterré la candidate du Rassemblement National. Au cours d’un déjeuner en tête-à-tête avec Marine Le Pen, le polémiste la blâme pour son échec cuisant au débat d’entre-deux-tours de 2017 : « Pardon, mais tu as été lamentable. Tu nous as humiliés. Puisqu’on est de la même famille, si ma sœur fait n’importe quoi je lui dis »[5]. On connaît la suite. Après avoir encaissé l’échec du premier tour dimanche dernier, Eric Zemmour a rapidement appelé à voter pour sa « sœur ».
Dès lors, l’appel d’Eric Zemmour à voter Marine Le Pen sonne comme un reniement. Selon lui, Marine Le Pen est inapte à devenir Présidente de la République. Voter pour elle revient à élire une inculte qui en plus d’incarner « le Bourgeois gentilhomme de l’énarchie » a été « lamentable ». Ce ne sont là que ses mots. Alors est-ce là tout le peu de considération qu’il porte à la plus haute fonction ?
C’est que, sans s’en rendre compte, Eric Zemmour a déroulé le tapis rouge à tous les détracteurs de l’extrême-droite. Avec ses attaques répétées contre la dirigeante du RN, il a soigneusement fourni à ses opposants politiques les raisons qui rendent Marine Le Pen illégitime à devenir Présidente de la République. Celles-ci vont de son incompétence en matière économique à son impréparation pour un débat crucial d’entre deux tours, en passant par une inculture crasse. La palette est large. Eric Zemmour n’a pas retenu ses coups. Jamais politique de gauche comme de droite n’aurait osé proférer de telles paroles.
Alors on ne peut qu’être choqué par ce ralliement d’Eric Zemmour à Marine Le Pen. On serait tenté d’y voir le signe d’un certain opportunisme. Espère-t-il un poste de ministre en cas d’élection ? Lui a-t-elle promis Matignon ?
Nous imaginons aisément ce qu’il nous répondrait. Qu’il n’est plus polémiste, mais candidat. Le changement de costumes a bon dos. Déjà lors de la campagne, il n’assumait pas son passé d’essayiste. Et pour cause. Son œuvre est embarrassante. Celui qui prône le courage n’a pas celui d’assumer ses écrits. Peu importe. Ses insultes contre Marine Le Pen sont gravées dans ses livres. Il n’y a que deux hypothèses. Soit, il a affabulé ses discussions avec Marine Le Pen. Auquel cas, on se demandera s’il faut faire confiance à un homme capable de mentir pour vendre ses livres. Soit il a bel et bien insulté Marine Le Pen. Alors il se renie pour servir ses intérêts. Il nous prouve que son appel à voter RN offre le choix : le mensonge ou le reniement.
Les électeurs d’Eric Zemmour pourront donc trouver dans les écrits leur héraut toutes les raisons de se détourner du vote pour Marine Le Pen le 24 avril prochain. Et les autres savoureront la virulence des termes qu’ils ne pourront jamais employer.
[1] Eric ZEMMOUR, La France n’a pas dit son dernier mot, Ed. Rubempré, 2021, p. 22.
[2] Eric ZEMMOUR, Le bûcher des vaniteux, Ed. Albin Michel, 2012, p. 27.
[3] Eric ZEMMOUR, Le bûcher des vaniteux, op. cit., p.324.
[4] Eric ZEMMOUR, Le bûcher des vaniteux, op. cit., p.324.
[5] Eric ZEMMOUR, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p. 23