Actuellement divers associations, intellectuels, politiques, ministres mettent une grande pression autour du Printemps de Bourges pour qu'il déprogramme le rappeur Orelsan. En cause, un texte vieux de deux ans de cet auteur intitulé Sale Pute, texte de fiction où le personnage insulte violement sa copine qui vient de le tromper. Cette chanson n'est pas disponible sur les disques du rappeur (qui jugeait le texte trop violent) et n'est pas chantée sur scène. Mais Christine Albanel demande quand même la censure.
Ce débat entre censure et liberté est récurrent. La France hésite fréquement entre ses deux héritages, une vision très libérale (au sens politique, et pas économique) venue des Lumières, une plus conservatrice (et plus puissante) héritée de notre vieille tradition en matière de censure et d'appel systématique à l'Etat pour régler tous les conflits.
D'autres pays ont d'ailleurs une conception plus libérale que le notre, qui revendique pourtant régulièrement son héritage voltérien. La censure des propos négationnistes est incompréhensible outre-Atlantique. Chomsky a ainsi défendu la liberté de publication pour Faurisson. Cette position est très peu défendue en France, mis à part par Robert Ménard (ex directeur de RSF) qui à d'ailleurs été violement pris à parti à l'époque.
Si on peut refuser cette position limite (auquel personnellement je souscris n'aimant pas transformer des idiots en martyr de la liberté d'expression et victimes de la censure étatique), le silence des intellectuels attachés aux libertés (de création artistique, d'opinion et d'expression) est surprenant. La France a pourtant été plusieurs fois condamnées par la plus timide Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) et des procès cassés par la Cour de Cassation dans le cadre de la défense de la liberté d'expression.
Ce fut le cas dans le procès Vanneste (qui avait affirmé que l'homosexualité était moralement inférieure), dont la relaxe était tout à fait logique. Si les propos de ce dernier étaient condamnables moralement et politiquement (l'UMP l'a quand mêmeinvesti comme candidat aux municipales de Tourcoing malgré ses propos !), ils ne l'étaient pas juridiquement car la Cour de Cassation ne considéraient pas ces propos comme une injure (voir l'analyse de Maître Eolas à l'époque de la décision de la Cour de Cass'). Les électeurs ne s'y sont heureusement pas trompés en l'éliminant dès le premier tour des municipales ce triste personnage.
Sur le cas Orelsan, l'indignation est tout à fait inappropriée. Il s'agit d'une oeuvre de l'esprit, un texte sur les sentiments que ressent un mari trompé et en aucun cas d'une apologie personnelle de la violence conjugale (le clip et l'auteur sont explicites sur ce point).
On peut comprendre que ce texte puisse susciter des sentiments viscéraux et instinctifs de rejets. Mais il faut savoir prendre du recul et ne pas rester sur ces ressentiment instinctif. Accepter ne signifiant bien sur pas approuver. Lors de la polémique sur l'ouvrage Rose Bonbon (qui évoquait la vie d'un pédophile), sur les caricatures islamophobes (où l'on assimilait explicitement les musulmans à des terroristes), la polémique sur Siné ou sur le film Baise moi, des intellectuels avaient su défendre les auteurs au nom des libertés de création artistique, d'opinion et d'expression, libertés premières. Aujourd'hui leur silence est assourdissant mis à part de rares voix discordantes.
Si Orelsan écrivait des livres et pas des textes de rap, aurait il eut le droit d'être défendu par nos élites ?