A huit ans, torturée par la mère une journée entière. Le NON-AVEU
Il s'agit effectivement d'un des traumatismes les plus saillants de ma vie, la torture exercée sur moi par la mère dix heures durant... Un des événements de ma vie dont les conséquences à tous les niveaux ont été les plus lourdes...
Mais néanmoins ne comptez pas sur moi pour vous livrer les détails sordides de cette "histoire" (j'ai déjà donné pour soi-disant me "guérir" !). Ce ne sont pas ces détails qui sont "intéressants" pour un récit comme celui-là où je veux dire de l'intérieur et à hauteur d'enfant ce qui peut se passer pour l'enfant, ce qu'il ressent quand il est confronté à de tels sévices... Mes ressentis d'enfant...
Je parlerai ensuite de ce qui peut se passer pour un adulte qui a eu une enfance de cette sorte... tout en ne faisant qu'effleurer le sujet, en dire l'essentiel, du moins pour le moment... car j'aurais trop à dire.
Et puis dire comment il reste encore possible malgré tout de vivre enfin épanoui(e), parler du potentiel de croissance qui existe en chacun de nous... qui s'appelle résilience... mais je n'aime pas trop les mots qui finissent par être banalisés à force d'être utilisés à tort et à travers.
C'est mon expérience, liée à ce que j'ai subi une très grande partie de ma vie... la mienne d'expérience, car chacun a un vécu différent et de fait des ressources différentes...
Mais je peux affirmer que cela est de l'ordre du possible, et je le sais parce que je l'ai vécu et je le vis encore !
Et si cela peut concerner quelques un(e)s, directement ou indirectement... et pour mieux comprendre peut-être...
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Quelques mots sur mon enfance, avant la torture, mon enfance après la torture...
De graves maltraitances tout au long, mettant ma vie en jeu parfois, des incestes (très précoces et dont j'ai même une preuve écrite de la main du père, qui devait être assez inconscient de ce qu'il faisait !). Incestes père et mère (séparément, jamais ensemble... et cela vaut pour tous les autres sévices).
Des expériences médicales, des tortures, des viols aussi, de la part de certains médecins, à l'instigation de la mère... manipulatrice patentée, se faisant passer pour une des leurs et m'amenant à eux pour des maladies qui n'existaient que dans son imagination.
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Alors que je n'avais que 7 ans, même si je ne pouvais pas comprendre tous les mots que j'entendais, je comprenais néanmoins que la plus proche famille se comportait de manière monstrueuse envers d'autres personnes.
Et sans doute que mes propres souffrances me permettaient une certaine empathie avec ces personnes victimes des agissements de la famille. Et un jour j'ai décidé que jamais je ne deviendrai comme eux, tellement cela me faisait horreur... Je ne sais trop avec quels mots je me disais cela mais ma décision était sans appel !
Et puis quand je serais grande je ferai tout ce que je pourrai pour qu'il n'y ait plus aucun enfant qui vive ce que je vivais...
Comment dans ce contexte aurais-je pu garder encore un espoir si à un moment je ne m'étais pas dit qu'il devait y avoir en chacun au moins une petite parcelle de "bon"... et je suis partie tout au long de mon enfance à la recherche de cette moindre petite parcelle que je pouvais encore trouver chez les quelques personnes présentes dans ma vie... une parcelle à laquelle je pouvais m'accrocher.
Peu de temps après, j'étais dans la cour de l'école, en récréation, adossée à un mur, et une idée m'est venue : arrêter de parler. Ne plus parler pour empêcher la mère de rentrer dans ma tête, qu'elle ne sache plus rien de moi, que je devienne inatteignable pour qu'elle arrête de me faire du mal... pour qu'elle puisse arrêter aussi de me trouver plein de maladies justifiant d'aller chez tous ces médecins. Mais aussi pour protéger mes pensées secrètes, celles dont je viens de parler justement, qu'elles ne risquent pas d'être détruites...
Que c'était difficile au début de me taire complètement, pour toujours, de tout garder à l'intérieur... mais quand même je ne devais déjà plus parler beaucoup parce qu'il ne m'a fallu que quelques jours pour arriver à me taire presque complètement. Et maintenant quand je parlais c'était à l'école quand je devais réciter une poésie par exemple, là c'était possible, car ce n'était pas mes mots à moi, c'était moins dangereux. Mais pour tout le reste, à l'école, à la maison, partout, peu importait ce qu'on me demandait, juste ce que je pouvais dire c'était : "j'sais pas..."
Recommencer à parler à nouveau, une fois devenue adulte, sera beaucoup plus long et difficile. Les mots étaient restés tellement longtemps uniquement dans ma tête, sous forme de pensées jamais communiquées verbalement, que j'avais comme perdu l'accès au langage parlé.
Un an plus tard, comme néanmoins me taire ne suffisait encore pas, pour compléter l'"arsenal" j'ai imaginé que la solution était de montrer autre chose que ce qui se passait pour moi. Si j'étais un peu contente il fallait que je me montre triste. Si j'avais très mal je devais sourire. Les humiliations de la part du père surtout, odieuses, insupportables et continuelles devaient me faire rire. Si je devais bouger le bras j'allais tourner la tête... Au début je voulais juste inverser, et j'espérais qu'ils n'allaient plus rien comprendre de moi.
Mais je devais toujours embrouiller plus pour me protéger vraiment, et là c'est devenu très compliqué. Et j'ai fini par ne plus savoir que j'embrouillais, cela se faisait tout seul, et c'était de plus en plus le mélange en moi-même.
Et un peu plus tard aussi j'ai commencé à déconstruire les phrases, les mots que j'entendais, mot après mot, lettre après lettre, les réduisant de plus en plus jusqu'à ce qu'ils n'aient plus de sens et qu'ils deviennent moins menaçants...
Protections efficaces ? je ne sais pas... sans doute, mais sans doute aussi se retournant de leur part contre moi d'autres manières... et en tout cas ce processus m'a rapidement échappé, et poussé de plus en plus loin, complexifié sans que je m'en rende compte, j'ai fini par m'y perdre moi-même, par me perdre moi-même !
Et cela prendra beaucoup de temps... beaucoup plus tard... pour cesser d'emmêler, et pouvoir démêler tout ce que j'avais tant emmêlé.
Mais il est vrai que mélangée, oui je l'étais déjà puisque les parents depuis le commencement avaient nommé de travers tout ce que je manifestais, tout ce que je faisais, et avaient interprété tout à l'envers. Alors qu'aucun de mes rythmes naturels et de mes besoins les plus élémentaires n'avaient jamais été respectés. Alors que les parents se comportaient de manière si souvent absurde dans l'ensemble de leur vie.
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A 8 ans, torturée par la mère durant une dizaine d'heures
Mes souvenirs d'enfant sur ce traumatisme-là sont très précis... et je dirai quelques mots plus tard de la raison qui m'a fait tout mémoriser à ce point.
C'était un jeudi matin, jour sans école, dans l'entrée de l'appartement, une entrée carrée, sans fenêtre, toutjours inquiétante... et la mère avait fermé toutes les portes, il n'y avait juste qu'une petite lumière... Et elle avait fini par me demander si je lui avais volé de l'argent. Une mise en scène de sa part (et d'autant qu'aujourd'hui, grâce à Internet, j'ai pu vérifier ce qui m'avait été dit il y a quelques années qu'à cet époque le billet que j'étais censée lui avoir pris n'existait plus depuis déjà bien longtemps).
Elle avait décidé de me faire avouer et je savais bien que rien ne pourrait l'en empêcher. D'emblée j'avais été pétrifiée. Elle voulait absolument une réponse et moi je ne pouvais pas parler.
Bien sûr j'en avais vu d'autres ! Mais là, aussitôt j'avais senti que ça allait être bien pire que tout ce que j'avais connu avant... et dès les premiers instants je m'étais mise en "résistance". Oui, "résistance" c'est bien le mot !
Ainsi a débuté cette journée de torture. La journée entière, avec une interruption seulement durant le temps du déjeuner où le père rentrait du travail. De mon lit où elle m'avait mise je les entendais manger à la cuisine... comme si de rien n'était. Tout paraissait absolument normal pour eux......... et moi j'étais perdue, hébétée par tout ce qui s'était passé......... et j'avais tellement peur du moment où le père retournerait au travail !
Je dois lui répondre, la mère à un moment pourrait encore se contenter de oui ou de non. Mais moi je ne peux pas. Chaque fois que la mère arrête j'essaie de dire mais je n'y arrive pas, alors la mère recommence. Et à chaque fois je me dis que je vais répondre dès que la mère arrêtera... et ce n'est toujours pas possible, et ça sans fin toute la journée. La fois suivante, comme toutes les autres, aucun son ne pourra sortir... je lutte ainsi pendant des heures, entrecoupées de courts silences où elle attend ma réponse... debout toute la journée, nue face à la mère, espérant toujours y arriver.
Répondre... Quand j'arrive à penser un peu je vois qu'il n'y a pas de réponse. Si je dis non, la mère ne me croira pas, et tout sera pire, si je dis oui, qu'est-ce qui arrivera ? la mère peut me tuer.
En réalité je n'avais pas d'issue.
J'ai de plus en plus mal, de plus en plus, c'est horrible... et pourtant pas un mouvement de recul, pas un mouvement de protection, pas un cri ne s'échappe, pas une larme... rien... Ne rien montrer. Que la mère ne voie rien de ce qu'elle me fait... j'ai tellement peur de ce qui va se passer si un seul instant je n'arrive plus à résister et qu'elle le voie, si elle le voit ça va être affreux. Tenir, résister... jusqu'au bout............
Je n'ai plus aucune idée du temps qui passe, ça peut encore durer, encore et encore, quand est-ce que ce sera la fin............ Et moi je n'ai plus de force, je commence à ne plus faire assez attention à ce qu'elle me fait. Si elle continue encore je sens que je vais devenir folle, que je serai à un endroit en moi où tout sera fou et où plus personne ne pourra plus jamais aller pour me faire du mal, puisque je ne sentirai plus rien... Oui j'ai envie de devenir folle... que je devienne folle !
Je ne savais pas que c'était le soir et que le père allait bientôt rentrer.
Et tout d'un coup la mère arrête... j'ai encore plus peur... Qu'est-ce qui va se passer ??? Quand est-ce que ça va recommencer ??? Mais le temps dure encore, je ne sais pas ce qu'elle fait, elle a l'air de ranger... peut-être quand même que ça va être fini...
La mère me met au lit, et c'est à ce moment que, horrifiée, je vois comment je suis sur tout son corps... juste un instant avant qu'elle le recouvre précipitamment du drap. Qu’est ce qui m'est arrivé ? Je le sais pourtant mais je ne savais pas que c'était comme ça. J'ai vu, mais je ne sais plus ce que j'ai vu, je ne sais même plus si c'est mon corps... c'est terrible, et je ne sais tout d'un coup plus rien de ce qui se passe en moi.
Le père rentre, la mère dit que je suis malade, que je suis au lit. Moi aussi je me dis que je suis malade, sans doute... je ne sais plus trop.
Le père ne saura rien de ce qui s'est passé, ça restera un secret entre la mère et la fille... un très lourd secret.
Je les entends à nouveau tous à table, de loin à travers la cloison. Je suis seule, j'ai mal, tout est vide en moi, je ne suis plus vraiment là.
Le temps, pendant des jours, seule dans cette chambre fermée toute la journée, au lit, est une éternité.
Est-ce que je pense ? Un peu, mais très peu. Qu'est-ce qu'il se passe pour moi ? Rien... il ne se passe plus rien. Le vide... Et je n'ai que très peu de souvenirs de ces interminables journées.
J'entends seulement la mère se déplacer dans la maison, j'écoute tous ses pas, je guette, terrorisée dès qu'ils se rapprochent... je me dépêche, le plus silencieusement possible, d'aller aux toilettes quand les pas sont un peu loin et que je ne peux vraiment plus faire autrement... je ne veux surtout pas voir la mère... mais surtout en plus de la peur je veux encore moins que la mère voie comment je suis, j'ai honte, et puis encore encore plus je ne veux surtout pas lui faire le plaisir de voir mon corps tel qu'elle l'a "détruit"...
Presque pas de pensées, mais néanmoins une qui est lancinante : la mère ne pourra plus jamais être une mère... tout simplement parce qu'une mère ne fait pas ça ! Et j'ai bien du mal à réaliser que c'est fini, qu'elle ne sera plus jamais une mère...
Elle n'avait jamais été une mère, mais sans que je me pose la question jusque là. Mais là c'était vraiment fini. Ce n'était pas un rejet de ma part, mais c'était en moi comme : non, une mère ne peut pas faire ça, ça n'est pas possible !!! C'était comme quelque chose d'incongru d'associer ce qu'elle avait fait (à l'époque je ne connaissais pas le mot "torture") au mot de maman !!!
Cette personne, effectivement, n'avait jamais été une maman, non elle ne ressemblait en aucune façon à une maman. Une mère, je ne le savais pas à cette époque, c'est un lien bien particulier, non je n'avais jamais ressenti ce lien.
Et puis au bout de nombreux jours où mon corps est revenu un peu comme avant, mais en même temps je sens qu'il ne redeviendra jamais comme avant, la mère décide que je peux retourner à l'école.
Les plaies ont cicatrisé... mais une déchirure à l'omoplate me fait encore très mal... et ne guérira jamais vraiment et j'en souffrirai tout le reste de ma vie.
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Mon retour à l'école... enfin ! Je suis dans la cour de récréation. Tout est comme dans du coton. Je vois à peine les autres enfants... J'entends les bruits, mais à peine aussi, ils semblent venir de très loin. Je me sens très seule, et comme entourée de coton moi aussi.
Puis, devant moi j'ai l'impression d'un grand trou noir, et que je suis tout au bord d'un précipice... et c'est comme si je ressortais de ce trou.
Je sens que ce qui m'est arrivé, personne ne peut le comprendre, je sais que personne ne connaît ça. Que personne ne peut connaître ce trou noir d'où je viens. Que c'est interdit de le connaître. Et que je connais un secret que je n'aurais pas dû connaître, que je n'avais pas le droit d'aller là, et que je n'ai pas le droit de le dire ! Personne ne doit savoir et si je le disais personne ne pourrait comprendre ce que je dirais.
Je sens bien que je ne suis plus comme les autres, et que je ne serai jamais plus comme les autres, que je ne pourrai jamais plus revenir avec eux. Plus rien n'a vraiment d'importance, plus rien n'est vraiment réel. Tout ce qui avait existé avant dans ma vie, je ne m'en rappelle plus vraiment. Et je me dis qu'ils ne verront jamais plus mon sourire. Je me sens absolument seule au monde...
A l'école alors que mes résultats étaient plutôt brillants jusque là et que j'avais même sauté une classe (au moins à l'école ce que j'apprenais avait du sens, et apprendre encore et encore mettait à distance plus ou moins tout ce que je subissais par ailleurs), je me suis trouvée complètement dépassée, toute l'année qui a suivi j'ai été la dernière de la classe... zéro presque partout (peut-être qu'aujourd'hui on se poserait des questions sur ce brusque changement, mais là personne ne s'en est soucié). Je ne comprenais plus rien à ce que l'institutrice disait, à ce qu'il y avait écrit dans mes livres. Je ne comprenais plus rien à rien !
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Maintenant que c'est fini je suis tout le temps avec la peur que ça recommence, et cette peur elle ne me quitte jamais, elle est tout le temps là... alors pour que ça ne recommence pas il faut absolument que j'y pense tous les jours, que je n'oublie jamais, que je me rappelle tous les jours de tout ce qui s'est passé. Si j'oublie je ne pourrai pas me méfier assez quand ça recommencera. Et tous les jours, c'est tous les jours, je ne dois jamais oublier... Je sais désormais de quoi elle est capable, et maintenant que je sais je ne la laisserai pas recommencer !
Et ces souvenirs je m'y accrochais comme à une bouée de sauvetage... et le fait est que tous les jours de ma vie jusqu'en 2007, soit 54 ans après ces faits terribles, je continuai d'y penser encore chaque jour... Ne jamais oublier j'en avais vraiment besoin pour garder un minimum de sécurité...
Mais y penser c'était aussi une manière de m'en délester jour après jour, comme un réservoir plein qui pourrait déborder petit à petit.
Effectivement j'avais presque tout mémorisé sauf... cette vision de mon corps avant qu'elle mette le drap sur moi... Cette vision insoutenable, répugnante même... ne m'est revenue, comme un boomerang, qu'une trentaine d'années plus tard.
Oui, j'avais presque tout mémorisé... jusqu'à mon moment dans la cour d'école à mon retour... Ensuite tout ce qui a pu se passer en moi durant les années qui ont suivi m'a échappé... je me détruisais à petit feu... et là aussi c'est vers la trentaine que toutes ces années sont remontées au jour... avec une énorme souffrance...
Fuguer... comme j'y ai souvent pensé. Je retournais sans cesse dans ma tête les moyens de m'échapper, mais je me sentais bien impuissante, j'étais trop petite... et je me sentais alors prise au piège.
Dans les bois, dans un trou laissé par un obus, je pourrais me cacher... oui, mais toute seule comment pourrais-je manger ? Ne pas avoir trop froid ? Et sûrement je ne pourrais pas me cacher tout le temps, on me verrait et je serais rattrapée. Non, ça n'est pas possible, un enfant ne peut pas vivre tout seul, et ce que je veux c'est ne jamais revenir chez les parents. Ca ne sert à rien de partir si je risque d'être rattrapée. Et d'ailleurs ce serait encore pire après.
Si j'étais là avec la mère c'était parce que je ne pouvais vraiment pas faire autrement. Ce n'était pas une histoire que je me racontais, c'était la réalité qu'elle ne pouvait plus être une mère, je savais très profondément en moi qu'une mère ne pouvait pas faire ça. Comment je supportais d'être encore avec elle, qu'est-ce qui se passait pour moi ? Je n'en sais rien, à part la peur continuelle. Mes sensations étaient massives et tout était fermé, massivement fermé, je ne sais presque rien de ce qui se passait à l'intérieur de moi. Mais je crois qu'il y a un seuil d'inhumanité au-delà duquel se produit l’irréversible.
J'étais totalement meurtrie, submergée, les repères du réel n'existaient plus, hors du temps, dans le désespoir... absente même à moi, retirée encore plus loin en moi.
Je n’ai pas cédé, dans cette sorte de lutte à mort. D'emblée une terreur absolue m'avait envahie et rien ne pouvait plus se faire de ma part. Mais pendant longtemps j'ai pensé que j'avais eu tort, que j'aurais dû avouer, qu'elle aurait arrêté... et je me sentais responsable. Non ce n'est pas vrai, il n'y avait pas de réponse possible... elle voulait posséder mon aveu... Pourquoi ? seule elle pouvait le savoir !
Mais je sais maintenant que si j'avais avoué, je serais morte psychiquement, déstructurée. J'ai préservé mon humanité... il ne restait peut-être plus grand-chose de moi-même à l'intérieur, mais ce qui restait elle ne l'aurait pas ! La position que j'avais prise était du côté de la vie, de mon intégrité psychique. Et pourtant la limite, vers la fin, n'était plus bien loin. C'était tellement de justesse que dans ma vie d'adulte la fragilité a longtemps été là. Le risque du chaos, de passer de l'autre côté de la frontière m'a souvent inquiétée.
Je me suis mise dès le premier instant en état de résistance, mon comportement en défense était sans doute déjà bien inscrit en moi, mais je crois que j'ai perçu là instantanément la gravité de ce qui se passait.
J'ai mis toute mon énergie sans faillir un instant, j'ai résisté au-delà du possible, et aujourd'hui je me demande encore comment j'ai pu lui faire face ainsi pendant des heures en lui cachant totalement cette douleur atroce.
Bien plus tard, quand je serai adulte, il me faudra beaucoup de temps et de travail pour pouvoir, peu à peu, lâcher ma "résistance" qui était une protection bien sûr, mais tellement poussée à l'extrême qu'elle m'empêchait de vivre... ce dont j'avais tout à fait conscience. Résister, oui, quand c'est nécessaire et indispensable... mais pas tout le temps, pas avec tout le monde ! Cesser de résister autant était incontournable pour que je puisse vivre libre !
Et ce travail ne peut pas se faire seul... mais j'en reparlerai par la suite.
Ces réflexions bien évidemment je ne me les suis pas faîtes durant ces heures de torture... c'est bien plus tard que j'ai pu comprendre ce qui s'était passé en moi pour que je ne puisse pas dire oui ou non. La seule chose dont j'avais au moins conscience c'était de ne surtout pas lui donner le plaisir de me voir souffrir. Je connaissais déjà tellement cela de moi, et notamment lors des humiliations que le père m'infligeait. Ne jamais leur donner le plaisir de me voir souffrir, et c'était de ma dignité qu'il s'agissait !
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Concernant ma vie d'adulte le calvaire a continué... d'autres manières
Comment enfant aurais-je pu savoir que ce que je vivais n'était pas normal alors que les abus n'étaient pas vus, ou déniés et non reconnus comme abus... et encore moins dénoncés et sanctionnés...
Je n'avais jamais vu vivre d'autres familles que la mienne... extrêmement restreinte (ils ont eu la bonne idée, mais sans doute ne l'ont-ils pas choisi... de ne pas faire d'enfants. Au moins ceux-là n'auront pas souffert). Mais pour moi petite fille un univers très restreint. La famille vivait en milieu fermé. Même les fenêtres étaient obturées par des rideaux opaques. Très isolée... et privée de toute autonomie.
Et très vite, pour moi devenue adulte, j'ai su que je n'avais rien de ce que j'avais vécu enfant qui était utilisable, rien car rien n'avait de sens, n'avait jamais eu de sens... J'étais désemparée, par des choses tellement banales pour les autres... Et quand parfois je tentais d'être aidée, personne ne comprenait, personne ne pouvait mesurer l'ampleur de mes difficultés, ni voir dans quelle insécurité cela me mettait.
Et avec ce rien, conscient, il a fallu tant bien que mal que je m'adapte comme je pouvais... J'ai pris à bras le corps tout ce que j'avais à "apprendre"... mais pour autant, apprendre tout toute seule n'était pas simple... même si j'avais eu l'habitude d'apprendre de manière très solitaire.
J'ai su faire, peu à peu, mais il subsistait beaucoup de lacunes, de grandes failles que seule je connaissais, mais que seule je ne pouvais pas combler... Pour les autres je paraissais bien organisée mais c’était extérieur à moi et bien précaire. Oui, adaptée en apparence...mais si les autres se leurraient sur moi, moi je savais à quel point c'était le chaos à l'intérieur de moi, je savais comme le moindre des actes de ma vie et de ma vie dans le monde, et avec les autres exigeait de moi... et j'étais vraiment très seule avec cela.
Ma révolte, bien légitime pourtant, et dès mon plus jeune âge, avait très tôt été scellée sous une lourde chappe de plomb... et je ne risquais pas de pouvoir me rebeller... Mais je n'avais jamais su non plus que j'aurais eu le droit de me rebeller... si tant est que le remède n'aurait pas été pire que le mal !
Je n'avais non plus rien dans ma besace pour savoir comment éviter d'être la proie des "pervers". Les seuls hommes que j'avais connus étaient ceux de ma famille... et les médecins choisis par la mère... vraiment pas une référence !
Et avec le premier homme un vrai désastre... qui a duré vingt ans. Là non plus je ne savais pas que tout ce que je subissais avec lui n'était pas du tout normal. Je ne savais pas qu'il n'y avait aucune raison valable pour qu'un homme traite sa femme de cette manière ! A cette époque on n'en parlait pas !!!
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Et malheureusement je n'avais toujours rien appris sur les relations entre homme et femme... et avec le deuxième homme ce sera encore pire ! Séducteur, manipulateur, totalement pervers... escroc aussi et je n'y échapperai pas, mes économies de toute une vie disparues, sans doute à l'étranger, en quelques semaines. Que n'avais-je pas su que dans la "vraie" vie il y avait aussi des hommes de cette espèce, pour pouvoir m'en éloigner avant qu'il ne soit trop tard ! A cette époque on n'en parlait jamais ! Treize ans passés avec lui, puis dix ans passés à divorcer.
Harcèlements continuels, de jour comme de nuit, privations de sommeil, colères pour tout et n'importe quoi, demandes irréalisables, humiliations de toutes sortes, violences, viols... jamais un instant de répit !
Tellement que, arrivée à bout de forces, alors que j'envisageais de le quitter, les séquelles des tortures que la mère avait infligé à mon omoplate, restée très fragile depuis, ont "flambé"... Et cela peu à peu s'est étendu à l'épaule... puis à l'autre épaule qui devait travailler pour deux... puis... partout dans mon corps... avec des douleurs 24 heures sur 24 et que même la morphine ne pouvait pas atténuer...
Et là l'esclavage ! Car il faut dire que c'était lui qui m'employait ! Tout ce que je ne pouvais plus faire il me l'imposait d'autant plus... de jour comme de nuit. Durant six ans cela a été atroce... Et il jouissait du fait que l'assurance maladie me payait alors qu'il me faisait travailler gratuitement ! Il me le répétait souvent.
Et puis sont venus s'ajouter des comportements menaçants, où d'un moment à l'autre je risquais ma vie de plus en plus souvent. Plus un moment où je n'aie pas peur de mourir !
Comment partir ! Seule, dans l'état de délabrement physique auquel j'en étais arrivée ! Plus d'argent assuré puisqu'il m'avait tout pris ! Et c'est lors d'un contrôle de l'assurance maladie, comme tous les six mois, que le médecin, surpris que mon état continue à s'aggraver à ce point, m'a posé une question "banale"... mais non, pas banale du tout ! : "Qu'est-ce qui se passe dans votre vie ?" Première fois que quelqu'un se donnait la peine de "s'intéresser à ma personne". D'aller juste un peu plus loin que la maladie envahissante ! J'ai dit, en très peu de mots... et enfin un ballon d'oxygène !!! Il a accéléré ma mise en invalidité pour que je puisse disposer le plus vite possible d'un minimum de revenu assuré pour pouvoir partir ! Et là j'ai pu commencer à m'y préparer !
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Ce que je dois dire aussi c'est que j'étais en
psychothérapie si l'on peut appeler cela ainsi...
et que ma "psychothérapeute auto proclamée" et qui n'avait sans doute qu'une formation minimale, connaissait par le menu tout ce que je subissais de la part de mon mari... puisqu'elle m'imposait chaque fois de dire tout tout tout. C'était cela selon elle qui était thérapeutique !
Elle le connaissait, puisque bien entendu là aussi il avait "pénétré" mon espace privé... et tout en faisant semblant de m'aider elle était davantage sous la magie de cet homme "séduisant" et qui avait un métier "valorisé". Mais je ne me rendais pas compte que durant les séances c'était avec lui qu'elle était, pas vraiment avec moi... elle se fichait pas mal de ce qui se passait pour moi !
Jamais elle ne m'a si peu que ce soit aidée à prendre conscience qu'il était en train de me détruire... alors que dans l'état où j'étais je n'avais plus conscience de grand-chose ! C'est d'ailleurs ce que souvent les personnes qui voient de l'extérieur ce qui se passe ne comprennent pas, c'est qu'à un moment nous ne sommes plus capable de la moindre lucidité sur la gravité de ce qui nous arrive tellement notre état mental finit par être atteint ! Le contact avec nous-même devient minime ! Si quelqu'un n'intervient pas il n'y a plus beaucoup de chance pour qu'on puisse en prendre l'initiative... nous n'avons souvent plus aucune initiative possible !
Et pour en revenir au sujet de la torture par la mère, c'est à cette époque que j'avais tenté de lui en parler pour la première fois... justement alors que mon état physique se dégradait de plus en plus. Et là... traitement de choc ! Par surprise la fois suivante elle m'a imposé de raconter tout dans les moindres détails de ce qu'avait fait la mère ! C'était horrible ! Mais elle me disait que c'était thérapeutique ! Et pourtant j'allais encore plus mal la fois suivante. Mais c'était selon elle parce que je ne l'avais pas encore dit assez... et il a fallu que je recommence à dire ! Et encore et encore d'autres fois, car plus je le dirai plus j'irai mieux... alors que ce qui se passait était exactement le contraire ! Inconsciente de ce qu'elle faisait, totalement incompétente... tandis que mon état mental se dégradait de plus en plus ! Elle aussi en réalité était en train de me détruire... mais de manière plus feutrée, sous couvert de thérapie !
25 ans de prétendue thérapie avec elle, elle m'avait mise sous son emprise et mettait en place tout ce qu'elle pouvait pour m'empêcher d'arrêter ! 25 ans de perdus pour être aidée réellement alors que j'y avais mis, moi, tellement d'énergie !
Mais j'ai fini par réussir à la quitter... malgré ses relances... J'avais 58 ans !
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Porter plainte, contre qui ? Il y en a eu trop ! Quand j'étais enfant, il arrivait quand j'étais absente de l'école trop longtemps (et il faut dire qu'aller à l'école et apprendre tout ce que je pouvais était un peu ma soupape de sécurité, ce qui dérangeait ma mère. Donc tous les prétextes étaient bons pour me garder à la maison) une assistante sociale venait chez nous. Visite de principe car la mère savait très bien la manipuler. Sa visite rendait chaque fois la mère très inquiète, aussi je savais pourquoi cette personne était là. Et parfois elle devait voir, mais (et je ne le savais pas du tout à l'époque) une personne de la famille était assez haut placée... aussi les investigations ne pouvaient pas aller bien loin... malgré mes regards appuyés en espérant quelque chose... Il n'y a jamais eu que d'elle que je pouvais espérer un tout petit peu, mais rien n'est jamais arrivé.
Alors il ne m'est jamais venu à l'idée ensuite d'attendre quelque chose de la société, je n'ai jamais fait l'expérience d'un procès à un moment ou à un autre. Mais quand je lis tout ce qui est écrit dans Médiapart, je me dis que je me suis au moins épargnée cela !
Et bien sûr c'est très regrettable que nous ne puissions pas nous défendre en justice ! Et je ne me résoudrai pas à ce que cela ne change pas ! Enfin !
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Je vais m'arrêter là et aborder dans le billet qui suit (Vivre avec un(e) partenaire maltraitant(e)) différents aspects concernant ce qui se passe pour les femmes (pour les hommes aussi parfois) quand nous sommes sous l'emprise d'un ou d'une partenaire qui nous maltraite... les idées reçues, la difficulté à partir, et comment c'est après être parti(e)...
Et la résilience possible !