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Billet de blog 12 mars 2020

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Un air de liberté à Pierrefitte

Impressions de campagne à Pierrefitte sur Seine en Seine-Saint-Denis. C’est un beau meeting.  Ça ne ressemble pas à ce qu’on voit à la télé. L’école Jean Jaurès a été décorée aux couleurs de la liste de « Pierrefitte, Debout et Insoumise », le visage de Farid Aïd s’affiche sur les murs, aux côtés de son équipe.

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Pierrefitte, lève-toi. 

C’est un beau meeting. 

Ça ne ressemble pas à ce qu’on voit à la télé. L’école Jean Jaurès de Pierrefitte sur Seine a été décorée aux couleurs de la liste de « Pierrefitte, Debout et Insoumise », le visage de Farid Aïd s’affiche sur les murs, aux côtés de son équipe. 

L’enjeu est de reprendre la municipalité aux socialistes qui la détiennent depuis 2008, et qui sont explosés sur trois listes et d’éviter que la ville ne passe à droite, dont les idées sont rassemblées sur une seule liste. 

Ça ne commence pas à l’heure, mais il y a du monde, plusieurs centaines, de quoi remplir largement une cantine scolaire, qui déborde un peu lors des premières prises de parole. Ce monde, c’est Pierrefitte avec tous ses âges, ses traditions, ses contradictions et ses similarités. On sent les gens joyeux et sereins. Ils et elles n’ont pas grand-chose à perdre. Marie et Mourad sont à l’animation, bien apprêtés. Ils ont une liste d’intervenant-e-s, « figures locales », « figures nationales », « soutiens » et candidats. 

Comme ailleurs s’y joue le fait de dénoncer les politiques capitalistes, en revanche, sur Pierrefitte, la gauche a réussi à s’unir. La liste est appuyée sur les moyens du vieux PCF qui a dirigé la ville jusqu’en 2008 (contacts, habitudes, local). Les jeunes militant-e-s France Insoumise dynamitent la campagne par une fougue et une envie politiques propres à un mouvement montant. A ces deux forces s’adjoignent le parti de gauche, dont le représentant national s’est déplacé, Ensemble et le PRG, plus leurs rassemblements déjà existants : Front de Gauche et La Gauche Debout et Citoyenne. 

Pierrefitte devient ainsi un laboratoire de ce que pourrait advenir la fusion de toutes ces forces. Le meeting illustre bien ça. 

Les prises de parole sont aussi variées que les présent-e-s. S’alternent des travailleurs de la ville, des Pierrefittoises de naissance, des députés, des élus des villes alentours, des candidates. Chaque parole est propre et aucune ne se ressemble. Il y a cet agent municipal qui n’a pas l’habitude de parler mais déclare son amour au projet de Farid. Il y a les politiques – que des hommes d’ailleurs comme une photo du temps qui va disparaitre - qui parlent longtemps et nationalisent les enjeux. Pierrefitte, cette ville de 30 000 habitant-e-s, parait soudain le centre du monde. Il y a les élus, via la voix de Karine Saintipoly, qui terminent leurs mandats qui racontent la dégradation démocratique opérée par la municipalité actuelle. Il y a les enfants de Pierrefitte devenus grands, qui rappellent le quasi-désert culturel qu’est devenue la ville, l’abandon des jeunes, on parle de l’état des écoles, grâce à Séhade Morad, parent d’élève forcenée qui lutte depuis des années, des besoins en solidarité. Beaucoup de femmes dans les prises de parole comme une photo du temps qui arrive. 

Il est question d’écologie et de quartiers populaires mouroirs. L’espoir qui souffle sur la salle est étonnant dans une ville, où certes les habitant-e-s et les travailleur-se-s n’ont jamais manqué d’imagination, mais où le désespoir est grand. La rue de Paris (rue principale) est décriée pour le nombre de marchand de sommeil qui s’y enrichissent et de camés qui y vivent, alors que les commerces périclitent. Les quartiers sont isolés les uns des autres. La culture y est réduite à portion congrue malgré le grand nombre d’associations et le travail du Centre Culturel Communal, dirigé par Jacques Mathey. Celui-ci est d’ailleurs célébré quasi amoureusement par Mohammed Diaouné, jeune candidat, dans une prise de parole très forte sur la nécessité de se lever dans les quartiers populaires et de prendre le pouvoir. Le nombre de mètres carrés de verdure par habitant a baissé, à cause du bétonnage des espaces verts à tout va (et pas pour construire des HLMs, ni des institutions). Pierrefitte est un village qui se meurt. 

Pourtant la liste donne à voir ce qui serait possible si on mettait l’imagination au pouvoir comme disaient les grévistes de Mai 68. C’est là que plane l’ombre des anciens. Il ne faudrait pas idéaliser l’ancien Pierrefitte, mais beaucoup ont à dire sur les destructions opérées par la municipalité socialiste et son absence de vision pour la ville. Le nom de Daniel Bioton, qui fut maire communiste de 1971 à 1998, est évoqué, voire invoqué comme le souvenir d’une ville florissante. La présence de celle qui lui a succédé Catherine hanriot, la dernière maire communiste, est saluée. Enfin est rendu hommage à François Colombani, 1er adjoint des deux et fondateur d’une association mémorielle de la ville Le Chat Sans Queue, décédé en juillet soudainement, que Farid Aïd décrit comme son mentor et son premier directeur de campagne. Une employée municipale me dira après « Bioton et Colombani, c’étaient des figures, les gens les connaissaient et ils connaissaient les gens. » Elle m’expliquera longuement comment elle, qui était éducatrice, s’est retrouvée à l’accueil d’un espace municipal, et comment les socialistes ont détruit progressivement le fonctionnement des centres de quartiers pour centraliser les activités. La ville a abandonné le système avec des centres de quartier qui accueillent tous les âges, qui gèrent leur budget et organise des temps et sorties communes entre quartier qui permettent aux jeunes des différentes parties de la ville de se rencontrer (et donc d’éviter la guerre des « gangs » selon elle). Elle décrit une ville compartimentée. On parle aussi du studio d’enregistrement, créé sous le mandat de Hanriot, qui n’existe plus mais dont les locaux et le matériel doivent toujours occuper une salle des Fortes-Terres (centre municipal en haut de la butte pinson). 

C’est drôle parce que cette liste qui rassemble des traditions différentes et beaucoup de nouvelles militantes et nouveaux militants semble faire rejaillir l’âme du communisme municipal des grandes périodes. Comme une locomotive qu’on avait laissé sur une voie de garage, qu’on réanime soudainement mais avec de l’énergie renouvelable et plus du charbon.

C’est ce mélange des traditions que j’ai trouvé beau, il me fait penser à l’expérience kurde où tous les morceaux de la société sont associés. Hier dans la salle, il y avait des femmes et des hommes de tous les âges, il y avait des gens de traditions politiques de gauche, cultuelles et culturelles aussi variées que l’est Pierrefitte. On assistait aussi, enfin, à la prise du pouvoir politique par ces enfants des dernières immigrations. Les discours du maire de Stains Azzedine Taïbi, et de Bally Bagayoko, adjoint de Saint-Denis étaient là pour en témoigner, eux qui ont connu, comme Farid Aïd, une période peu glorieuse en termes de représentation. 

Il y avait aussi un peu de naïveté, mais appelons-la fraicheur, car sans elle, je doute que la campagne qu’ils ont faite aurait été possible. La campagne a reposé sur des dizaines de rencontre qui leur ont permis d’élaborer un programme. Ces rencontres avec des anciens et des jeunes en âge ou en connaissance de Pierrefitte est, me semble-t-il, un gage de quelque chose. Je me suis demandée si Farid Aïd, cet enfant du quartier des Joncherolles, éducateur sur la cité des Fauvettes, militant PCF, avait consciemment synthétisé dans sa campagne cette discontinuité – continuité qu’il incarne à lui seul et qui constitue son propre parcours politique. En s’inscrivant dans une forme de renouveau tout en s’appuyant sur les expériences ratées comme réussies de Pierrefittois, anciens élus, travailleurs divers, acteurs de mouvements sociaux, etc., on peut avoir l’espoir qu’ils saisissent et surmontent une partie des difficultés propres à l‘exercice d’un pouvoir municipal usant. Mais aussi que comme ils et elles l’ont annoncé, ils-elles avancent avec les habitant-e-s et non malgré eux-elles. C’est un enjeu de taille quand on a en tête les foutaises de la démocratie participative, y compris dans des mairies communistes. 

Il y aura beaucoup à faire s’ils-elles gagnent ces élections, un travail immense attend les futur-e-s élu-e-s, mais vu l’état des quartiers populaires, qu’est-ce qu’il y a à perdre encore ? En attendant, le meeting s’est terminé sur un coup à boire. Alors trinquons aux anciens, aux anciennes et aux futur-e-s. 

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