Chronique syndicale et sociale du confinement 2
Ce que je craignais est arrivé, ma petite loutre de 15 mois s’est choppé une fièvre d’enfer, il délire sur moi en fin d’après-midi au jour 2 du confinement. A part la fermeture des crèches, rien n’a été dit sur la façon dont on doit s’inquiéter pour les plus jeunes. On laisse passer la soirée, il s’endort, mais se réveille une, puis deux, puis trois fois dans la nuit. Et il hurle. Vers 4h30 du matin, il hurle, il est brûlant, affleure les 40°, ne veut pas manger, ne peut pas se rendormir. Il halète et respire de façon irrégulière. Ça ressemble aux bronchiolites qu’il a fait au début de l’hiver. Il faut raison garder, mais quel autre choix que d’aller à l’hôpital ? A la dernière bronchiolite, on s’était fait engueuler d’avoir trainé.
On le met dans une couverture, il fait froid et on saute dans la voiture. A Saint-Gaudens, le parking de l’hôpital est vide. Les urgences sont à peine éclairées. On tape à la porte comme on tape à une maison où on ignore si qqn est là. Une voiture s’allume, on demande à distance, si les urgences fonctionnent, le monsieur désigne un bouton. On sonne, « oui ? » « Notre bébé d’un an a une forte fièvre et il respire difficilement ». La petite loutre crie toujours, collée tel un lézard sur moi ou son père en alternance, cherchant un évident réconfort, qu’on ne peut lui apporter. La salle d’attente est vide. Un siège sur deux comporte une feuille avec l’inscription « distance de sécurité ». Un infirmier arrive assez vite et nous dit qu’il va nous faire entrer par une autre porte « spécial Covid 19 ». Je m’étonne qu’on ne vérifie pas s’il n’a pas autre chose que ce virus. Mon compagnon me dit : « c’est par précaution ». Nous voilà dehors cherchant une entrée qu’on ne voie pas dans le noir. Elle n’est pas éclairée et pas au bout d’un chemin. Elle est située à côté de l’entrée pompier, il faut marcher sur l’herbe pour y accéder. Elle semble irréelle à l’instar de la situation sociale du pays, bientôt du monde. Personne ne vient ouvrir. La petite loutre pèse sur les bras. On retourne sonner à l’entrée principale « ah oui, on vous a oublié ». La porte s’ouvre enfin, on nous demande de rester dans un SAS sans plus d’indications. 20 minutes d’attente sans information, on a éteint la lumière pour faciliter le sommeil du malade. Une médecin seule finit par arriver. « Vous êtes deux, ce n’est pas possible, y en a un qui sort. » Je reste seule avec le bébé. Ça dure 15 minutes, elle vérifie : « pas de bronchiolite », « pas d’otite », il ne siffle pas, il est très chaud, mais les dents n’ont pas l’air de sortir. Elle conclue « il a un virus ». « C’est-à-dire ? », « ben vu la période, sûrement le Covid 19, mais on ne teste plus. » Devant mon air éberlué, elle devient plus affirmative : « Il a le Covid 19, suspicion très forte et vous aussi, plus tous ceux qui vivent avec vous. » Conclusion : il n’y a rien à faire sauf du paracétamol. On repart avec 4 masques et une ordonnance de paracétamol et le doute d’avoir ou pas cette maladie.
L’annonce ne change pas grand-chose, on est déjà confiné et la petite loutre n’a été mise en contact avec personne à risque depuis la fermeture de la crèche. On va redoubler d’attention au moment d’aller faire les courses. Mais cette aventure a créé un trouble. Elle s’ajoute au fait que nous commençons à connaitre des gens qui sont malades du COVID, parfois testés, parfois pas. Des profs qui étaient en classe encore vendredi dernier, courbatures, pression aux poumons. Un copain à la retraite de ma mère, qui vit en Alsace. Un copain me dit qu’il est invité à son 2ème enterrement, c’est déjà plus grave. Des conseillers municipaux que ma sœur, fonctionnaire territoriale a fréquenté durant le vote du 1er tour. Le tout dans plusieurs régions.
Il y a un trouble, parce que depuis mardi, on discute à la maison et avec les copains ailleurs du nombre de personnes dans les rues. Courses de ravitaillement. Leclerc est rempli de monde, en groupe et parfois pour des courses étonnantes dans la situation. Sur le terrain de basket du village, trois jeunes jouent au basket. Une copine à Saint-Denis constate que sa rue est plus vide et masculine que d’habitude mais qu’elle n’est pas vide. Un copain sur Aubervilliers rapporte que des gens jouent au foot. A Paris, un autre copain constate que le sacré cœur est encore visité par des touristes.
Pourquoi certains respectent le confinement et d’autres pas ? C’est questionnant cette résistance à croire que ça ne peut pas nous arriver à nous – sans même faire mention de certaines théories complotistes. Daria me raconte comment elle est passée pour la dingue de service quand elle a demandé l’annulation des cours du GRETA en maroquinerie où elle a repris des études, il a fallu que le ministère qui s’occupe de formation professionnelle officialise l’interdiction des cours le samedi soir, pour que dimanche soir, on leur annonce l’annulation. Profs comme étudiants, personne ne semblait y croire, comme si le virus n’était qu’un lointain phénomène.
Pas la peine d’avoir fait des grandes études pour savoir que 65 millions de personne ne reçoivent pas une information de la même manière. On constate que les contradictions du gouvernement ajoutées à la fracture sociale n’ont pas aidé à faire entendre un message simple : confinez-vous, isolez-vous pour freiner la propagation et pour que la médecine puisse gérer les cas dans la durée. Il y a de quoi faire tout un cours de philo sur le rôle des lois dans une société.
Une fois dépassée l’idée que c’était une forme de grippe, deux autres phénomènes sociaux sont à discuter : une probable honte sociale et un fatalisme médical certain.
« Qu’as-tu fait toi si tu l’as ? » Cette honte sociale intégrée a fait que les premiers touchés ne l’ont pas dit ou n’ont pas prêtés attention à ce qu’il aurait fallu faire. Pas question de se voir mis à part pour ça, pointer du doigt. Surtout qu’au début quand il était question de la maladie, personne ne semblait y croire.
L’autre aspect, plus grave et appelé à s’inscrire dans la durée, je l’appelle le fatalisme médical, je devrais écrire « fatalisme face à la médecine : « de toute façon, on ne peut rien pour nous ». Ce sentiment, on le trouve dans les lieux populaires délaissés. Ces quartiers sont déjà tellement maltraités en matière de médecine que nombre de gens ne croient pas qu’elle puisse et veuille les sauver. Quand ils sortent, ils semblent parfois braver l’interdit comme on brave la mort sociale que nous impose cette société, qui pourrait devenir mort réelle dans la situation actuelle.
Les contradictions du gouvernement concernent d’ailleurs en grande partie le peuple. Amère situation qui fait qu’une partie des travailleurs pauvres doivent continuer à travailler en présentiel et souvent sans les protections nécessaires. Doivent, parce que souvent ils font des métiers utiles au sens du besoin vital de la société, qu’on pense aux préparateurs de commande, aux éboueurs, aux paysans, à la distribution de nourriture, aux personnels de ménage… Que des métiers sous-payés par rapport à leur utilité sociale. Chronique d’une société à l’envers.
La maladie est transclasse, mais si on ne dit rien, les classes populaires paieront un lourd tribut à la fin, parce qu’une partie ne peut tout simplement pas se confiner, parce que la médecine est si mal implantée dans nos quartiers et dans nos campagnes, et parce que si un tri doit avoir lieu, c’est les riches qui en bénéficieront. C’est déjà comme ça, la pandémie ne peut qu’aggraver une telle situation.
Amis, il faut dire aux copains de se confiner et nous qui sommes confinées, il faut continuer de revendiquer.
Et surtout il ne faudra pas oublier !