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Billet de blog 10 juillet 2022

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Les heures de travail d'une professeure des écoles

En décembre, nous avons subi une humiliation supplémentaire proférée sur une chaîne qui se veut être d’information. Suite à celle-ci, j'ai écrit une réaction, que je partage car les stéréotypes et préjugés concernant les professeurs ne cessent de circuler, et qu'ils ont souvent comme origine le temps sous-estimé que l'on consacre à notre travail.

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Le 5 décembre 2021 au soir, je vis circuler sur les réseaux sociaux une image. Celle d’un homme, se revendiquant journaliste, qui laissait défiler sur son diaporama un texte d’une piètre qualité devant le public d'une "grande" chaîne d’information. Vérification faite, ce passage a bien été télévisé. Si je ne l'ai pas retrouvé ce jour, voici une réaction d'un professeur des écoles, publiée sur Franceinfo. Vous pouvez y voir, en plus d'un écrit d'une belle qualité, une photographie de la présentation du journaliste. Voici ce que l'on peut y lire:

Temps de travail

Rappel 35H =1607H/an

Professeur des écoles = 972H/an

Agrégé: 540H/an

Pour ajouter une couche de révolte, en bas de l’écran, un bandeau affirmait: « Profs absents: un fléau pour l’Education nationale». Suite à cette vision pathétique, j’ai écrit un texte, que je voulais recopier ici, pour exprimer une colère qui ne cesse d’être alimentée ces derniers temps par les paroles de notre gouvernement et de notre Président.

<< Voici un texte écrit pour mes collègues et moi-même, parce que je suis en colère. Je suis maitresse et je travaille au minimum 1836 heures par année.

Précisons les choses. Je travaille 24 heures par semaine devant toute ma classe, à cela j'ajoute une heure que je consacre uniquement à mes élèves en difficulté ainsi qu'une heure de réunion et/ou de formation. Mais à ces 26 heures hebdomadaires, il faut ajouter un temps de travail personnel. Je commence par celui qui précède mes heures de classe et y succède.  Chaque jour, j'arrive à l'avance à l'école afin de préparer ma classe, il me faut environ une demie-heure le matin consacrée aux photocopies et à la préparation des ateliers auxquels vont participer mes élèves. Une seconde demie-heure est prise sur ma pause déjeuner pour avancer sur mes corrections et préparer ma classe pour les cours de l'après-midi. De plus, je passe à minima deux heures par jour d'école à corriger ma soixantaine de copies et de cahiers, à ajuster les cours du lendemain aux difficultés que les enfants ont rencontrées le jour même, etc. Parfois, je travaille de 16h30 à 22h pour que tout soit fin prêt, tout en me réservant une petite heure de pause pour rentrer chez moi et manger. Comme je ne souhaite pas qu'on me reproche une quelconque exagération je prends, comme base pour effectuer mon calcul, 2 heures de travail par soir. 2h + 0,5h + 0,5h = 3 heures de travail supplémentaires par jour d'école. Les effectuant chaque lundi, mardi, jeudi et vendredi, cela me fait 3h x 4 (jours) + 26h = 38 heures par semaine. Nous haussons donc le temps de travail annoncé par le journaliste.

Les mercredis et les week-ends nous travaillons aussi car, aussi surprenant que ce soit, les cours ne se préparent pas en un claquement de doigts. "Diantre, qu’est-ce donc que cette information? N’avez-vous donc pas un manuel que l’on vous offre en début de carrière, qui vous donne toutes les informations indispensables à l’enseignement? Vous n’avez pas juste à le photocopier et à distribuer les exercices aux élèves, attendant sagement à votre bureau qu’ils viennent vous demander de bien vouloir les corriger?". Et bien cette question que l’on m’a vraiment posée, avec une syntaxe différente, j’y ai répondu que non, cela n’existe pas. C’est pourquoi il me faut en moyenne 9 heures de travail personnel partagées entre le mercredi, le samedi et le dimanche. D’après des calculs bien plus poussés que ceux du journaliste, ma semaine de travail compte alors 47 heures. Ce qui amène ma quantité d’heures de travail à 47h x 36 semaines d’école annuelles = 1692 heures par an.

« Oh mais oui, mais vous êtes sans cesse en vacances!». A cette observation qui m'a été faite une dizaine de fois en des termes différents durant ma courte carrière et qui manque d’une analyse pertinente de la situation, je réponds souvent que les vacances scolaires sont un temps de congés pour les enfants et non pour les enseignants. En réalité, les petites vacances servent en partie à programmer les séquences et les séances pour la prochaine période, à fabriquer les jeux pédagogiques soi-même (parce que l’Education nationale a un budget proche du néant), à préparer les livrets scolaires... néanmoins, je profite de ces petites vacances, pour retrouver une vie plus sociale les week-ends et me reposer un peu plus en semaine. Sur une quinzaine de jours considérés par beaucoup comme des congés, je divise plus que par 4 mon temps de travail effectué lors des semaines d'école. Je compte 21 heures en sous-estimant encore une fois ce nombre. 21 heures x 4 petites vacances par an, cela fait 84 heures consacrées à mes cours par année.

« Oui mais arrêtez donc de vous plaindre, vous avez deux mois de grandes vacances! Vous êtes plus en vacances qu'au travail ». Encore une absurdité émanant des préjugés et des stéréotypes véhiculés sur ma profession, à laquelle je réponds que je ne me plains pas, j'essaie seulement de présenter une réalité face aux attaques émises dans un contexte d’ignorance totale de mon travail. Et puis, effectivement, il y a les vacances d’été. A la fin de l’année scolaire, je range ma classe et prépare quelques affichages, je réfléchis à quels projets mettre en place pour l’année suivante, je vérifie mes commandes de matériel, je prépare la rentrée prochaine… et oui il est vrai que vers le 14 juillet, j'active le mode "vacances", le vrai, celui qui ne comporte pas de travail caché. Je souffle après ces longues semaines, je profite des week-ends avec mon conjoint, je reprends une vie sociale souvent abandonnée lors des dernières semaines d’école, là où les jours sont bien plus chargés. Parfois même, je voyage. Tout cela fait énormément de bien. Et puis vers le 10 août je me remets à travailler parce qu’il faut de nouveau planifier mon année, préparer les projets plus précisément, faire de l’administratif, rédiger les programmations et les progressions avec mes collègues, aller aux réunions de pré-rentrée... je peux compter au grand minimum 60 heures pour le travail qui succède à la fin de l'année scolaire et celui qui précède la rentrée.

Alors cela fait au plus bas 60 + 84 + 1692 = 1836 heures de travail par année. Si je ne m’abuse, cela s’approcherait du double du nombre d’heures que notre cher journaliste nous a décomptées pour notre travail, avec une condescendance folle. Cela dépasse également les 1607 heures annuelles de travail comptées pour les personnes effectuant les 35h par semaine, si tenté de croire que ce temps n'est jamais dépassé dans les autres professions. 

Alors oui, 1836 heures, c’est peut être moins de travail que ce que fournit un agriculteur, un soignant, ou certains salariés dont les heures supplémentaires sont payées une fois sur 3 et j'en passe, mais c’est toujours plus que les 900 heures et des poussières annoncées par ce journaliste, encouragé par la chaîne d'information sur laquelle il se présente. D’ailleurs, si je comptais seulement le temps de ses passages à la télévision, 10 minutes par jour, même x 52 semaines et x 7 jours, cela ne ferait pas énormément d’heures travaillées par année! Mais je sais qu’un travail ne se mesure pas seulement à ce que l’on voit. Quoique, dans ce cas précis, je me demande bien combien de minutes a demandé la préparation de ce temps de parole, qui n’a visiblement consisté qu'à calculer un produit en croix et produire un diaporama. Apparemment, les professeurs, trop peu infériorisés ces temps-ci, avaient besoin de trouver lors de ce court temps télévisé, le droit à une énième humiliation. Et cela n'a été que le début, voire la suite, d'un déferlement de jugements infondés touchant notre profession qui sont encore émis par une partie de la sphère médiatique et politique. >>

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