Françoise Laborde, présentatrice télé, a sorti un bouquin qui a pour titre « Ca va mieux en le disant ». Ca va sans rire. Sa plume se veut volontiers insolente, iconoclaste. Mais, toutefois, n’exagérons rien, ce n’est pas du Beaumarchais. La verve de cette speakerine est en effet au service des puissants. Le style ne peut pas ne pas s’en ressentir. Reste que, dans le monde inventif qui est le sien, bien à l’abri du besoin, Françoise Laborde brocarde les cheminots au nom de l’intérêt public et du « sens du collectif » (pages 95 à 98). Mais, cela va bien au-delà de la volée de bois verts contre des salariés qui défendent leur régime spécial de retraite plus avantageux que le régime général. « Alors que, nous, salariés du privé ou assimilés-cotisons déjà plus longtemps avec des décotes bien plus substantielles » s’ébroue t-elle. Nous sommes heureux d’apprendre au détour de cette phrase que Françoise Laborde se considère comme une salariée. C’est de bon augure car l’équité dont on nous a rebattu les oreilles ne commanderait-elle pas, maintenant que nous avons aligné notre régime de retraite sur le sien, d’aligner nos rémunérations sur la sienne. Au passage, Françoise Laborde qui dénie aux cheminots tout esprit de solidarité avec les autres semble oublier qu’en 2003, les cheminots ont fait grève plusieurs jours pour le retrait de la réforme du régime général initié par Fillon, lequel s’évertuait à dire que les cheminots n’étaient pas concernés par cette réforme du régime général, don t elle-même semble pâtir. Mais la mémoire historique de madame Laborde ne s’arrête pas à un passé si proche. « La SNCF se targue d’être un modèle de solidarité sociale, mais nul n’ose rappeler que les trains de la mort qui emmenaient juifs et résistants vers les camps d’extermination n’ont jamais été stoppés par les grévistes et sont toujours arrivés à l’heure, leur prestation payée, rubis sur l’ongle, par les nazis.Sans les trains français, comment la déportation aurait-elle pu avoir lieu ? Les cheminots héros de la Résistance dans la Bataille du rail, voilà une imposture historique extrapolée et véhiculée par les « camarades » après la guerre ; Rappelant cela, je sais que je vais pas me faire des copains » écrit-elle, tout de go.
Mais si Madame Laborde, en écrivant ces lignes, vous vous faîtes bien voir, au contraire. Et j’espère que le nabot monstrueux vous a chaudement recommandé pour cet exercice d’historienne aux ordres. Tout d’abord, puisqu’il est fait référence au film la Bataille du Rail, rappelons que ce film fait honneur, non pas aux « camarades », mais au mouvement « résistance-fer » qui fut animé par le polytechnicien Louis Armand, chef de service matériel et traction de la région Ouest, qui allait devenir ensuite Président de la SNCF. (Un autre polytechnicien, Jean-Guy Bernard, membre de ce réseau, a été fusillé par les nazis en février 1944). S’agissant des grèves, elles se sont répétées à la SNCF, quasi quotidiennement à compter du 1er mai 1944. Le 14 juillet 1944, les débrayages sont massifs dans les ateliers et dépôts de la région parisienne.
Les grèves et manifestations du 14 juillet, face aux nazis, provoquent l’arrestation de 9 cheminots de Vitry. Dans les jours qui suivent, d’autres agents de la SNCF sont arrêtés. Au total, fin juillet, 19 cheminots syndicalistes sont au cachot pour faits de grève. Et c’est ainsi que la grève générale insurrectionnelle de la région parisienne commencera, à la SNCF, dès le 10 août 1944. Madame Laborde tient-elle pour insignifiant le fait que les grèves étaient illégales, les syndicats interdits et que, pour l’exemple, des dirigeants syndicalistes cheminots, tels Pierre Sémard ou Jean Catelas, furent exécutés par les nazis ? Qu’importe, elle nous serinera que, pendant la guerre, les trains roulaient, y compris les trains de la mort. Cela a fait l’objet de procès de familles contre la SNCF. Parmi elles, la famille d’Alain Lipietz.Ce dernier s’explique : « Envoyé spécial du 15 juin rappelait qu’alors que la direction privait « naturellement » les déportés juifs d’eau, de nourriture et d’air, pendant des dizaines d’heures (sans ordre en ce sens ni de Vichy ni des nazis), les cheminots braquaient sur leurs wagons surchauffés les pompes des gares afin de les rafraîchir un peu… Charles Tillon raconte comment, à Montluçon, en 1943, une manif de cheminots, après avoir bloqué dix fois la locomotive, permit la libération totale d’un train de déportés (des requis du STO). Un mécano de Montauban, Léon Bronchart, a refusé de conduire un train de déporté : il fut mis à pied de la SNCF et réintégré à la Libération. Le 12 août 1944, tous les dépôts de la SNCF parisienne sont en grève insurrectionnelle. On se bat à Austerlitz. Le même jour, la SNCF envoie tranquillement la facture du train de transfèrement de mes parents à la préfecture de Haute-Garonne. Les FFI de Ravanel paieront sans barguigner...». (Alain Lipietz, l’Humanité du 13 juillet 2006 – repris dans Wikipedia). Ces propos devraient faire réfléchir cette speakerine, historienne d’un jour et la faire descendre de son piedestal.