Voici des extraits du discours que Monseigneur Francesco Montenegro, évêque d'Agrigente, a tenu le 3 mars aux habitants de Lampedusa :
" Je suis ici pour vous dire de ne pas vous sentir seuls, en ce moment si difficile et épuisant pour tous, pour vous encourager et vous remercier du témoignage que vous donnez.
Merci, parce que votre coeur continue à rester ouvert à des gens qui veulent vivre. Parce que, une fois de plus, vous démontrez que nous arrivez à ne pas vous laisser emprisonner, même si les craintes peuvent être légitimes, par la peur de ce que la vie et l'Histoire vous demandent, et dont le coût est de plus en plus élevé. Parce que vous êtes en train de traduire, en gestes concrets, ce que dit une page de l'Evangile : 'J'étais étranger, j'étais nu, j'avais soif de liberté... et vous m'avez accueilli.' Je sais que tout cela n'est pas facile, et vous dire ces choses-là, croyez-moi, ce n'est pas vous répéter des politesses de circonstance qui ne serviraient qu'à vous faire tenir tranquilles. (...)
On continue à traiter comme une urgence passagère un problème grave qui -il faut le reconnaître - n'est pas facile à résoudre. On ne peut pas garder les yeux fermés ou feindre que seule la force (l'interdiction), puisse obtenir l'effet désiré. Les problèmes de l'Afrique sont les problèmes de tous, de même que les problèmes de Lampedusa et de Linosa ne sont pas seulement les vôtres, mais ceux de tous. Et cet événement, que l'on a comparé à un exode biblique, ne pourra être résolu avec la ronde des navires le long de la Méditerranée. De l'autre côté, il y a des gens qui veulent vivre, qui veulent manger, qui veulent voir leur dignité reconnue. Et si, dans ces pays, on en est arrivé là, il y a sans doute aussi une part de responsabilité chez ceux qui se sont souciés de coloniser et de créer des rapports avantageux pour nous, qui sommes de ce côté-ci, oubliant l'exigence de ces populations."
(Il se demande ensuite si les autorités n'auraient pas davantage réagi s'il ne s'agissait pas de deux petites îles, mais d'une grande ville du "continent", et rappelle les préjugés dont les Italiens ont eux-même été victimes quand ils ont massivement émigré en Amérique.)
"Mais je vous parle comme votre Evêque, et je ne peux pas ne pas prendre en main l'Evangile et vous rappeler que notre foi nous demande des comportements cohérents par rapport à ce que nous croyons. Elle nous demande de la solidarité, même si celle-ci implique des renoncements et des risques. Elle demande de la justice, mais elle dit aussi que notre coeur doit être accueillant. Elle nous rappelle que nous sommes ceux des béatitudes (quelle page dérangeante !) et que, en les acceptant, nous croyons que l'égoïsme absurde ne peut jamais l'emporter, mais que ce qui l'emporte toujours est l'amour, qui est tel s'il sait se faire miséricorde et compassion. C'est presque un pari, mais qui vaut la peine d'être fait.
Jean-Paul II disait que 'lorsqu'une nation a le courage de s'ouvrir aux migrations, elle est récompensée par un bien-être accru, par un solide renouveau social et par une vigoureuse poussée vers des objectifs économiques et humains inédits.' Le jour de la Saint Gerland, dans la cathédrale, j'ai dit, en pensant à vous et en demandant de prier pour vous, que 'Dieu est en train de nous parler, Dieu est en train de frapper à nos portes, il nous fait toucher du doigt les misères du Tiers-monde pour lequel nous avons si souvent prié. Aujourd'hui, c'est notre territoire qui est concerné par une mission qui passe par l'accueil, le dialogue, l'intégration, la capacité de se découvrir frères.' Et tout cela doit être vécu avec foi, et 'malheureusement' (mais faut-il s'en plaindre ?) la foi fait sauter les paradigmes de la normalité et de la routine.
(...) Vous êtes, nous sommes, même si beaucoup nous traitent de 'rêveurs', constructeurs d'un monde nouveau et différent. Les préjugés, l'accentuation et le refus de la différence, les intérêts partisans, la finance effrénée, la logique des pharaons de l'ancienne Egypte, la politique à courte vue, aussi bien mondiale que nationale, conduisent le monde à se révolter. Marie, dans son Magnificat, dit que finalement, la révolution, la vraie, celle de Dieu, sans armes et sans violence, a commencé. Rangeons-nous de son côté : c'est celui de la justice ! Le monde peut être différent. Ceux qui ont eu un grand coeur y ont cru et ont apporté leur contribution à cette époque : Mère Thérésa, Jean-Paul II, Gandhi.
Que Lampedusa et Linosa deviennent des phares de la civilisation, portes et lieux de rencontre et d'amitié, espace où Dieu et l'homme - de quelque couleur qu'il soit - puissent retrouver la joie de la promenade, chaque après-midi. Que ceux qui veulent un exemple de vie différente regardent du côté de Lampedusa et de Linosa. Face à l'amour, même le coeur du méchant (mais qui sont les vrais "gentils" ?) peut changer. Vos îles sont petites, mais que votre coeur soit grand, comme celui du Christ, aussi grand que le monde. Et l'aube nouvelle poindra."