J'ai regardé, hier soir, "comme des millions de télespectateurs", l'émission "Des paroles et des actes". Depuis quelque temps, les medias, par une hardiesse incommensurable, lui reprochent comme un seul homme "le crime du Fouquet's", attendant de sa part un mea culpa dans l'air du temps, un aveu fracassant, des larmes de crocodile comme on les aime dans ces émissions-confessionnal qui sont devenues le fond de commerce assurant des taux d'audience rcord. Eh bien, nous en avons eu pour notre argent. Pourquoi NS est-il allé au Fouquet's ? Tout simplement parce qu'il était un sdf de l'amour. Sa vie privée volait en éclats. Il vivait - drame plus racinien que cornélien - à la fois la plus grande joie, et la plus grande douleur de sa vie. Sa vie privée, au cas où nous ne l'aurions pas su, foutait le camp. Mais aujourd'hui, tout ça, c'est fini. Il a une famille. Auprès de laquelle il ira fêter, c'est promis, sa douce victoire, si le bon peuple veut bien la lui donner. Dans le public, NKM, la porte-parole au visage de madone, est transfigurée par l'émotion.
Je ne sais pas si l'on mesure la révolution copernicienne à laquelle nous venons d'assister. En direct, un homme étale son immaturité. Des millions de personnes viennent de l'élire président, et lui, il ne peut pas maîtriser un gros chagrin d'amour, qui lui fait faire n'importe quoi, promettre, par exemple, qu'il ira méditer dans un monastère, puis aller s'ébattre avec de gros bonnets du Cac 40 - même s'il n' a mangé que du risotto aux artichauts, signe prémonitoire d'un grand amour à venir pour l'Italie, et symbole, sans doute, d'un "coeur tendre qui hait le néant vaste et noir". Nous avions cru, jusque-là, y compris dans notre petite vie professionnelle, que le travail et la sphère privée n'ont pas à être mélangés, et que la dignité veut que l'on n'étale pas ses tripes en public.
Je ne sais pas si c'est la stratégie dictée par un conseiller en communication qui, ayant étudié l'évolution des medias, ayant vu que les larmes de Poutine lui attirent la sympathie, même s'il a commis des abus qui donnent le vertige, a jugé que NS, prenant le spectateur à témoin de sa faiblesse humaine et de son incontinence sentimentale, parviendrait à retrouvrer un capital de sympathie qui lui fait cruellement défaut. Ou si c'est une caractéristique de ce personnage, qui n'avait pas hésité à affirmer "Carla, c'est du sérieux", et à s'afficher avec le fils de celle-ci sur les épaules, à l'ombre des pyramides d'Egypte...
Quant au reste - les mesures dangereuses et démagogiques, comme celle consistant à donner aux victimes un droit d'appel lors d'un procès, les examens de passage pour les conjoints de travailleurs immigrés, ou le commentaire sur un prof qui a lu à ses élèves un extrait peu approprié - un fait divers récupéré afin de désigner une "brebis galeuse" dans un corps enseignant qui ne lui est pas favorable, nous les laissons à l'appréciation des commentateurs.
De même que la manière qu'il a, comme toujours, de traiter les journalistes, soit de caste, d'élite (quelle injure !), s'ils essaient de faire preuve d'indépendance, soit en copains avec lesquels il instaure - avec leur accord- une complicité peu ragoûtante, et qui lui permet de clore, devant un Franz Olivier Gisbert dans le rôle de faux méchant, avec un sourire de petit squale, un numéro qui lui donnera peut-être un point dans les sondages.