Un billet - par ailleurs fort intéressant - posté sur Mediapart définit le dernier film de Nanni Moretti comme une «farce du pouvoir». Je ne serais pas aussi tranchée, et pour moi, le film n'a rien d'une farce, pas plus qu'il n'a de parenté avec la Commedia dell'arte.
Il est plus nuancé que cela. Piccoli, incarnant de manière extraordinaire les angoisses du pape fraîchement élu, est avant tout un homme écrasé par une responsabilité qui le dépasse. Et il n'est pas le seul : le monologue intérieur des autres "papables", leur peur d'être élu, dit que beaucoup partagent ce sentiment. Sauf que Melville - comment ne pas penser à Bartelby et à son fameux "j'aimerais mieux pas" - transgresse la règle de l'acceptation, pousse un cri déchirant et disparaît du balcon d'où il est censé bénir la foule en liesse.
Convoquée pour le soigner, la psychanalyse, incarnée par Nanni Moretti, mais aussi par son épouse, elle aussi psychanalyste, échoue à le soigner : d'abord parce qu'un pape n'a le droit de parler de presque rien, ensuite parce que celle-ci n'est peut-être pas le remède-miracle auquel on veut tenter de nous faire croire. C'est dans une fuite-vacance-errance dans les rues de Rome que Melville part en quête de lui-même, fera maintes rencontres, se souviendra de sa passion pour le théâtre, rencontrera des femmes, des mères de famille, elles aussi avec leurs doutes, leurs questions, leurs problèmes. Film du doute quasi absolu...
Dans quelle mesure Nanni Moretti nous parle-t-il de lui-même dans ce film, comme dans "Journal intime" ? Sans doute pense-t-il à son propre engagement, aux "rondes citoyennes", à un certain désenchantement ? A la peur face au vieillissement, à la fragilité et à l'impuissance qu'il entraîne ? Et cependant, ce pape plein de sagesse a parfois, dans son regard, la naïveté et l'émerveillement d'un enfant.
Le bonheur que donne ce film tient à la fois à sa mélancolie et à la finesse de son humour (Moretti ne manque d'ailleurs pas de l'exercer sur lui-même, cet humour), au va-et-vient incessant entre gravité et refus de se prendre au sérieux, entre cocasserie et tragédie existentielle. A son refus de toute idéologie comme de tout manichéisme. A sa légèreté, qui lui fait survoler avec grâce des abîmes.