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Billet de blog 20 mai 2012

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Attentat de Brindisi : stratégie de la tension ?

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Le 23 mai, il y aura exactement vingt ans que, sur la route reliant Capaci et Palerme, le juge Falcone, sa femme et plusieurs hommes de son escorte trouvaient une mort atroce. Un mois plus tard, son principal associé et ami, Paolo Borsellino, trouvait lui aussi la mort au pied de sa maison, dans un attentat à la voiture piégée. Son carnet n'a jamais été retrouvé, a déploré son frère au Salon du Livre de Turin, criant sa douleur et sa colère de voir cette affaire encore irrésolue.

Encore aujourd'hui, les mobiles exacts de ces crimes n'ont pas été éclaircis, les liens très probables entre la Mafia (en l'occurrence Cosa Nostra, la mafia sicilienne) et les plus hauts sommets de l'Etat, soupçonnés, n'ont pas été mis au jour. Pour Piero Grasso, procureur à Palerme, il s'agissait de "miner les institutions" à travers un attentat qui frappe les esprits par son horreur. Car il ne s'agissait pas seulement de se venger d'un juge - qui travaillait désormais à Rome, mais qui avait été à l'origine du maxi-procès - dénigré par les medias et par certains membres de l'appareil judiciaire ; il fallait aussi envoyer un signal fort à ceux qui luttaient contre Tangentopoli...

L'Italie est malheureusement "spécialiste" de ces affaires jamais résolues. L'une des plus emblématiques, que nous fait revivre l'excellent film de Marco Tullio Giordana, "Romanzo di una strage", est l'attentat perpétré le 12 décembre 1969 à la Banque de l'Agriculture à Milan. On ignore toujours si ceux qui ont placé cette bombe, qui a fait 17 morts et environ 80 blessés, a été placée par l'extrême gauche (le militant Pinelli, trouvé mort au pied de la fenêtre de la pièce où il était "interrogé", était suspecté- ou par l'extrême-droite. Ce que l'on sait, c'est que, le commissaire Calabresi, qui menait l'enquête, a été tué de plusieurs balles, par représailles, et que, entre cette date et 1974, 140 attentats ont endeuillé l'Italie, marquant à jamais les "années de plomb".

Le spectre de cette "stratégie de la tension" ressurgit actuellement : il y a peu de temps, l'un des responsables d'Equitalia, l'organisme chargé des impôts, à Gênes, a été "gambizzato" (blessé aux jambes pas plusieurs tirs d'arme à feu). Le gouvernement Monti doit faire face à de nombreuses critiques portant sur les efforts demandés aux Italiens, même les plus modestes. Les suicides de chefs d'entreprise se multiplient, le chiffre des jeunes chômeurs est impressionnant. Dans ce contexte, des humoristes, comme Beppe Grillo, s'attirent les sympathies de certains, mais aussi l'indignation d'autres, lorsqu'il affirme que la mafia "n'étrangle pas les citoyens", alors que l'Etat, oui.

C'est dans ce contexte de doutes et d'inquiétude que sruvient l'attentat contre une école de Brindisi, dans les Pouilles. Une école qui porte le nom de Francesca Morvillo, la femme du juge Falcone. Une école de jeunes filles, spécialisée dans la mode et le tourisme, qui avait reçu récemment le "prix de la légalité" pour son affiche réalisée sur ce thème. Dans la ville, la Caravane de la Légalité doit d'ailleurs passer aujourd'hui. Enfin, l'association "Libera", un réseau qui rachète les biens confisqués aux mafieux, est très active dans la région. La société civile, depuis plusieurs années, se montre d'ailleurs exaspérée par le racket et les intimidations de type mafieux, et s'efforce - parfois sans grand soutien des politiques - de les combattre.

L'Italien entière, de Turin à Catane, en passant par Rome, a réagi unanimement contre cet attentat, qui a fait une jeune victime de seize ans et une blessée grave, toujours entre la vie et la mort. Contrairement au commentaire, hier soir, de ITélé,  disant que l'on a "évité le désastre", cet attentat est ressenti comme une blessure terrible pour la société italienne.

S'agit-il de la Sacra Corona Unita, la mafia des Pouilles,  moins connue que les trois autres (Camorra napolitaine, Cosa Nostra sicilienne et N'drangheta calabraise) ? Celle-ci, certes affaiblie, possède néanmoins des intérêts dans de nombreux secteurs industriels, et n'entend pas céder un pouce de terrain. Récemment, un boss mafieux en prison, Bernardo Provenzano, a tenté de se suicider pour protester contre ses conditions de détention. Certains voudraient abolir l'article 41 bis, instauré par le juge Falcone, et qui définit des conditions d'emprisonnement plus dures pour les mafieux, afin d'éviter qu'ils ne communiquent avec l'extérieur et ne reconstituent leur réseau au sein même de la prison. Car la mafia a toujours prospéré pendant les périodes de flottement et de nouvelle donne politique, afin d'intimider les nouveaux venus et d'afficher sa toute-puissance.

Comme le dit Piero Grasso, pour l'instant, on en est aux hypopthèses, mais c'est du "terrorisme à l'état pur". Il ne faut pas baisser la garde.

Et c'est une jeune lycéenne qui a donné l'exemple, à Brindisi, où l'archevêque, avec indécence, avait décrit le corps martyrisé de Melissa, la petite victime. Nous refusons d'avoir peur, a-t-elle crié, mardi nous retournerons à l'école pour montrer que, unis, nous serons les plus forts.

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