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Billet de blog 29 décembre 2015

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La fin de la communauté de destin

Après la liesse du mois de décembre, la victoire historique des nationalistes, la Corse se retrouve le nez dans ce qu'elle a produit, et ça ne sent pas très bon. Manifestations racistes, coups de pression, les perchistes des médias nationaux s'en sont donné à coeur joie. Comment expliquer le décalage entre ces deux séquences de l'histoire immédiate de l'île?

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Une victoire électorale symbolique
Beaucoup d'encre a coulé depuis l'arrivée des nationalistes institutionnalistes au perchoir de l'Assemblée de Corse, le 13 décembre 2015. On a assisté à une volée de tweets assassins contre le discours de Jean Guy Talamoni, nouveau président de l’exécutif nationaliste, sous prétexte qu'il était dit en corse, dans une assemblée où son prédécesseur, le très franchouillard élu PCF Dominique Bucchini, s'est exprimé dans la même langue sans que quiconque s'en préoccupe pendant des années. 
Comme d'habitude, en critiquant les nationalistes corses avec un discours républicain, donc nationaliste français, la classe politique française fait le job pour lequel elle est payée : écarter les vrais débats politiques. http://www.europe1.fr/politique/regionales-les-discours-en-corse-ne-plaisent-pas-aux-politiques-du-continent-2638491
A l'heure où le Premier Ministre PS tient un discours réactionnaire, sécuritaire, met en place des réformes contre les travailleurs et les prolétaires en général dans son propre pays, quoi de plus normal ?
Le vrai débat, en réalité, est que ces dernières élections en Corse furent d'une rare indigence.
Les récentes élections sont une immense chape de plomb sur les réalités sociales de la Corse. On parle volontiers de foncier, de PADDUC, de dépossessions multiples...Quand dans tous ces quartiers peu de gens sont propriétaires. Que les choses soient dites : jamais on a autant parlé de politique locale, gestionnaire, et jamais il n'a été aussi évident que ces élections ne changeraient rien. Les nationalistes se sont engagés à « faire le job », à mettre fin à la gabegie clientéliste, bref à mettre en place l’austérité, tout en se proclamant anti-austérité.

Petr'Antò Tomasi, figure montante du nationalisme gestionnaire © Corse-Matin


D’autre part, les pouvoirs de la CTC (Assemblée de Corse) restent très limités, pour aller vite, une sorte de grande chambre de commerce et d’industrie. Ainsi par exemple, l’évidente complicité des flics aux descentes racistes sur le quartier de l’Empereur, acte politique s’il en est, ne dépend pas de la responsabilité de la CTC, mais bien de celle du ministère de l’intérieur.

Quand on rentre dans une institution elle nous performe, nous change. On va dire qu’en ce moment on rêve moins grand, on ne  nous parle plus de « libération », on nous parle simplement de « solution politique». On est content quand on nous agite un jouet, et ce jouet, c’est l’Assemblée de Corse, « notre maison », paraît-il. D’un coup nous devrions être super mobilisés, passionnés sur les déchets, le foncier,…non pas que savoir quand on va venir récupérer nos poubelles ne soit pas intéressant. Mais en pleine crise économique, n'y a t-il vraiment que cela à discuter?

Dans ce contexte, la victoire des nationalistes est fondamentalement symbolique. Cette symbolique a ses pots cassés et ses lendemains qui déchantent.
Ce que 50 ans de luttes ont installé comme rapport de force avec l'Etat et les clans survivra-t-il à deux ans de législature ? On verra ça. Interrogés à ce sujet, Alanu Ferrandi et Petru Alessandri, membres du « commando Erignac », disaient récemment : «  le mouvement de base est devenu une coquille vide, dépourvue de ses militants. Le déplacement de la lutte vers l'action institutionnelle a dépossédé les structures militantes de leur engagement politique, et de leur volonté d'émancipation ».

De la communauté de destin à la communauté de droit divin
Si les partis français n’ont jamais eu de problème avec l’exploitation capitaliste, on ne peut pas en dire autant des nationalistes. Il a donc fallu changer de langage pour arriver au pouvoir, liquider les vieilles habitudes. On le verra, au delà des mots, le silence de toute la gauche nationaliste donne positivement le vertige. Elle explique aussi que personne, à ce jour, n’ait été capable de répondre aux récentes manifestations.

On parle désormais de communauté de droit sur cette terre, comme si les autres n'en faisaient pas réellement partie. Exit la communauté de destin, vieux concept créé par les nationalistes dans la lignée de l’indépendantisme algérien, pour affirmer que le peuple corse n’avait ni couleur ni origines, mais un destin et une vocation commune à exister par la lutte.

Illustration 2
Ah, les années 80... © A fiumara


Place désormais à la « communauté majoritaire » qui s'arrange avec les minoritaires : française, et « maghrébine », ou musulmane, enfin ce qui arrange, peut être pourrait on dire simplement « communauté des manutentionnaires » ? On parle d'émigration, d'immigration, on parle de se soucier de sauver la Corse, en oubliant presque qui fait tourner la Corse, qui travaille. Qui remplit les cuisines du pays, qui déplace les cuisines équipées : 77% des ouvriers en Corse sont issus de l’immigration. Pas par une prédisposition naturelle au chagrin, mais bien par les salaires odieux pratiqués ici.

Pendant longtemps, l'anticolonialisme était un front simple, qui coupait la Corse en deux : colon et colonisé. Le colon n’ayant plus de fondement (un peu d’humour), la réalité est désormais plus complexe, dans une société où la libération du joug de l'Etat actuel n'est plus un enjeu central politique.
Désormais, la classe politique est unie. Elle a bien raison, vu son homogénéité : dans une tendance vieille comme le clanisme : la représentation électorale en Corse, est faite de noms corses. Sans céder aux sirènes libérales du quota, il suffit de prendre les noms des présidents de la CTC pour s'en assurer. Il suffit aussi d'écouter le (non) discours politique qui a mené les natios aux rênes de la Corse pour le comprendre : un discours 100% communautaire, avec en tête de proue, Jean Guy Talamoni, nouveau président de l'exécutif, rendant hommage dans son discours à ses prédécesseurs pourtant trempés dans le clanisme jusqu'au cou.
La scène tragi-comique de l'hymne en est le plus brillant exemple : voyant un troupeau d'élus, toutes tendances politiques confondues, se lever à l'appel de l'hymne corse. D'un comique abouti, la scène fera rire jaune des militants qui voient – peut-être- la retransmission Via Stella de derrière les barreaux des plus belles prisons françaises.

Le nationalisme  corse, médiateur de la société.
Comment expliquer cela sur le continent ou ailleurs ? Tout ce qui touchait à la politique, tout ce qui politise les « jeunes » depuis quarante ans, c'est le nationalisme. Tous les autres mouvements politiques n’étaient que des morts-vivants à la solde de la paix sociale. Le nationalisme a ses gauchistes, ses fachos, ses patrons organisés, ses employés syndiqués, ses chants d'émancipation, son combat culturel... Ne pas s'intéresser au nationalisme en Corse, c'est ne pas s'intéresser à « la politique », comme on dit, c'est accepter la société insulaire dans toute ses injustices, ou c'est vouloir s'en barrer au plus vite.

D’autre part, tenir la violence de rue, c'était aussi s'attribuer toutes les formes de la violence politique. Pour exemple, l'inénarrable affaire des Clandestini Corsi, groupe de lycéens auteur de quelques tentatives d'attentats contre des jeunes « maghrébins » de leur quartier, bombardés prisonniers politiques au détour d'un communiqué du FLNC loin d'avoir soulevé l"indignation de Corciu Matin pourtant enclin à s'indigner pour n'importe quoi. C'est un fait, l'intégration par le nationalisme des marges a marché.

De la génération punk des années 80 à Aiacciu à celle de « ICC » racistes de Bastia du nouveau millénaire, tout ce qui pouvait naître de contestataire a été étouffé, avalé, dégluti. A titre d'exemple on pourrait parler de ce qui s'était passé dans le quartier de San Ghjuvanni à Aiacciu il y a dix ans: des coups de pression policières, des réactions en série par des groupes de jeunes prolétaires du coin, souvent « arabes » malgré eux, allaient déboucher sur un communiqué politique, dans la Casa di u Populu maison associative de gauche nationaliste installée dans le quartier. A la suite de ces évènements, on a même vu le groupe de rap local, Mafia 2A, opérer un virage culturaliste, écrire une chanson sur Pasquale Paoli, le « Babbu di a Patria », l’emblème de la Nation corse du XVIII° siècle. De quoi faire rêver les éducs spé du continent.

Ici il n'est pas question de critiquer cela, d'accuser des méchants flics sociaux d'avoir fait de la récup'. C'est le signe de ce qu'était le mouvement nationaliste, dans toute sa fonction unificatrice de toute contestation. Le fait est que cette stratégie a vécu et n'a pas d'avenir : il n'y a plus de tampon entre l'Etat et le peuple. Quant au tampon entre le peuple et le patronat, il est au creux de la vague, face à la toute puissance du patronat mafieux.

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