On dit le projet de loi « 4D » (pour Décentralisation, Déconcentration, Différenciation et Décomplexification) sur le point d’être enterré avant même d’avoir vu le jour. Il n’y aurait pas là de quoi s’en attrister car à ces 4D, c’est un cinquième D pour « déception » qu’il aurait fallu ajouter.
En effet, le projet de loi, promis depuis la fin du grand débat national pour le printemps 2019, avait suscité beaucoup d’espoir chez les élus locaux. Son but premier était en effet de promouvoir une nouvelle forme de décentralisation en consacrant le principe de différenciation territoriale basée sur la prise en compte des spécificités locales dans le développement des politiques publiques.
« L’époque n’est plus à l’uniformité de l’application des politiques publiques sur le territoire, mais au soutien des initiatives, des expériences, des innovations. »
Jacqueline Gourault lors du lancement de la première concertation régionale pour l’élaboration du projet de loi 3D le 6 février 2020
Ce texte aurait pu être une chance pour les outre – mer, et en particulier pour la Réunion, qui, privée de sa capacité à exercer son pouvoir normatif délégué par le fameux alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution, pourrait tout de même grandement bénéficier, dans tant de domaines, du principe de différentiation. A commencer par une gestion territorialisée en matière sanitaire réclamée depuis le début de la crise COVID par de nombreux élus et citoyens réunionnais, notamment à l’occasion des débats autour de la fermeture de l’aéroport ou de l’annonce du couvre – feu de dernière minute de la Saint – Sylvestre. Il aura en effet fallu pas moins d’une crise sanitaire pour se rendre compte que des décisions prises à Paris n’étaient pas forcément adaptées au contexte des outre –mer. Mais passons…
La loi 4D tant attendue ne sera finalement pas un « nouvel acte de la décentralisation » comme concédé par le Premier Ministre Jean Castex dans un entretien au Monde en date du 9 janvier : « Ce n’est pas uniquement un texte de décentralisation, c’est un texte qui vise à donner plus de respiration, à rendre le service public plus efficient et plus adaptable en fonction des collectivités […] Ce n’est donc pas une révolution ou un nouvel acte de la décentralisation dans ce contexte de crise. »
Au programme, transfert de routes nationales aux départements et régions, remplacement du conseil de surveillance des ARS par un conseil d’administration présidée par le préfet, et non pas par le président de région comme le demandaient de nombreux élus locaux à la suite de la gestion calamiteuse de la crise COVID dans de nombreux territoires. Une nouveauté à noter pour les intercommunalités : la possibilité de disposer de l’ensemble des outils du logement, tels que les aides à la pierre, le contingent préfectoral pour reloger les personnes prioritaires au titre du droit au logement opposable et l’hébergement d’urgence. Enfin, l’élargissement de l’expérimentation de la recentralisation du financement du RSA, une possibilité déjà adoptée par la Réunion, la Guyane et Mayotte ainsi que la Seine Saint – Denis.*
Rien de transcendant donc sous le soleil des tropiques. Mais cela ne veut pas dire pour autant que les outre - mers ne disposent pas d'opportunités réglementaires intéressantes pour prendre leur destin en main dans les années qui arrivent.
Le droit à l’expérimentation
Le droit à l’expérimentation a été introduit par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 et permet aux collectivités territoriales de déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives et réglementaires régissant l’exercice de leur compétence. Jugé trop rigide, la procédure n’a été utilisée que quatre fois en France dont trois expérimentations qui ont été généralisées (le RSA, la tarification sociale de l’eau et l’accès à l’apprentissage jusqu’à 30 ans).
Un projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, tout aussi important quoique plus discret, adopté par le Sénat le 3 novembre 2020, proposait de faciliter le recours aux expérimentations par un accès sur simple délibération après autorisation du préfet. Le texte prévoyait aussi la possibilité pour les collectivités de pérenniser l’exercice d’une compétence à l’issue de la période d’expérimentation « dans le respect du principe d’égalité ». Actuellement en examen en commission à l’Assemblée Nationale, il semble malheureusement stagner dans les tuyaux législatifs depuis plusieurs mois.
Le droit à la différenciation territoriale
Le « projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » présenté en conseil des ministres le 9 mai 2018 visait à inscrire le droit à la différenciation territoriale dans la Constitution. Ce droit permet à des collectivités d’exercer, de façon pérenne, des compétences dont ne dispose pas l’ensemble des collectivités afin de tenir compte des enjeux territoriaux qui leur sont propres (hors compétences régaliennes telles que justice, défense, monnaie, libertés publiques etc.). L’exposé des motifs prenait le cas emblématique du président du conseil exécutif corse ayant déclaré que ‘rester dans le giron de la République, ce n’est pas perdre son âme ni son identité’. Ce projet de loi n’a jamais été adopté. Plus récemment, un projet de loi organique et un projet de loi constitutionnel « Pour le plein exercice des libertés locales », adoptés par le Sénat le 20 octobre 2020, proposaient de consacrer constitutionnellement le principe de différenciation territoriale.
Ces principes du droit à l’expérimentation et du droit à la différentiation territoriale s’inscrivent dans la continuité des revendications des collectivités ultramarines mais aussi plus largement de l’ensemble des collectivités françaises, avec l’exemple de la création de la communauté européenne d’Alsace le 1er janvier 2021.
Les deux projets de lois, proposés par des sénateurs Les Républicains, sont restés en arrêt en raison de leur trop grande similitude avec le projet de loi 4D porté par le gouvernement. Et malgré leur potentiel pour les collectivités ultramarines, les deux projets souffraient également d’un manque de précisions que n’avaient pas manqué de faire remarquer Karine Lebon (GDR), Philippe Naillet (Socialistes) et Jean – Hugues Ratenon (LFI) dans un courrier au Ministre des Outre – Mer en novembre 2020.
Si les outre - mer avaient finalement peu à espérer de la loi 4D, qui ne sera - si elle voit finalement le jour - qu’un texte sans relief, les prochains mois pourraient donc néanmoins ouvrir des perspectives intéressantes en matière réglementaire pour nos collectivités locales, à condition bien sûr qu’elles veuillent s’en emparer.
{ * Ce paragraphe a été modifié suite au retrait du transfert de la médecine scolaire aux départements dans le nouveau projet de loi transmis au Conseil d'Etat le 18 février 2021 }