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Billet de blog 1 mars 2009

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L’Etat-entreprise : un mode de gouvernement inspiré de l’idéologie néolibérale

Si, par « gouvernement », on désigne une activité qui consiste à mettre en oeuvre les « procédés par lesquels on dirige, à travers une administration étatique la conduite des hommes » (M. Foucault), le gouvernement mis en place par Nicolas Sarkozy relève d’une logique spécifique dont l’analyse permet d’éclairer la nature « manageriale » et les nombreuses menaces qu’elle représente pour les libertés.

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Si, par « gouvernement », on désigne une activité qui consiste à mettre en oeuvre les « procédés par lesquels on dirige, à travers une administration étatique la conduite des hommes » (M. Foucault), le gouvernement mis en place par Nicolas Sarkozy relève d’une logique spécifique dont l’analyse permet d’éclairer la nature « manageriale » et les nombreuses menaces qu’elle représente pour les libertés.

L’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy semble, à bien des égards, avoir modifié radicalement le mode d’exercice du pouvoir gouvernemental. Pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle annonce, un nouveau projet de loi, un nouveau discours ne nous rappelle qu’un nouveau type de rationalité politique et sociale dicte les choix gouvernementaux quotidiens. Cette rationalité résulte d’une application des principes économiques généralement associés à l’économie de marché capitaliste (poursuite des intérêts individuels, mise en concurrence des acteurs sur les marchés, recherche du profit) à la sphère sociale et politique.On peut la résumer comme transposition directe des mécanismes et des logiques régissant les interactions des agents économiques sur les marchés au cœur des domaines politiques et sociaux. Alors qu’on pourrait considérer paradoxal d’appliquer ces idées à une méthode de gouvernement étatique (puisque les économistes libéraux dénoncent l’intervention de l’Etat dans l’économie car elle est jugée inefficace), il n’en est rien en réalité: nous avons affaire ici à un réengagement politique de l’Etat (en témoigne le volontarisme présidentiel affiché) sur de nouvelles bases, avec de nouvelles méthodes et de nouveaux objectifs. La culture du résultat, la valorisation du mérite et la juste rémunération du travail, la recherche de l’efficacité et de la réduction des couts de fonctionnement du lourd appareil administratif français (au nom de l’impératif d’équilibre budgétaire)… autant de thèmes centraux du discours sarkozyste directement issus du discours néolibéral.

Lorsque les relations complexes qu’implique la quête du pouvoir au sein de la sphère politique sont assimilés aux rouages d’un marché où prévaut l’intérêt économique individuel, peut-on s’étonner de constater que l’Etat lui-même est géré comme une entreprise ? Le politique a emprunté aux PDG leurs stratégies de communication et leurs modes de gestion des ressources humaines tout en adoptant leur culture du chiffre. En éducation, en politique de gestion de l’immigration, tout comme sur n’importe quel marché, ce qui compte pour l’Etat-entreprise c’est le résultat. La gestion néolibérale de l’entreprise favorise la soumission de celle-ci à la logique du pouvoir financier, ce qui n’a fait qu’accentuer la disciplinarisation des salariés soumis à des exigences de résultats de plus en plus élevées. On valorise donc avant tout la perception qu’ont les actionnaires/citoyens des succès ou des échecs des actions entreprises, grâce à de savantes mises en scène de l’action politique et à l’imposition de normes de « rentabilité » toujours plus élevées. La popularité des hommes et femmes politiques est mesurée presque quotidiennement par des sondages, et fluctue souvent de façon aussi irrationnelle et imprévisible que cours des actions des entreprises quottées en bourse. La tyrannie de « l’opinion publique » impose à l’action politique les mêmes contraintes que celles auxquelles l’actionnariat soumet les dirigeants d’entreprises. Et le politique, tout comme le manager, cède au court-termisme, bien souvent au détriment de toute cohérence politique et idéologique. De plus, la logique du « management par objectifs » et la recherche de l’efficacité de toute action légitime un recours accru aux « experts » et aux « commissions » au détriment des élus, la légitimité issue de la compétence technique ayant supplanté la légitimité électorale. Non seulement le président de la république a favorisé une extrême concentration du pouvoir décisionnel, mais il est frappant de constater la prééminence de ses différents conseillers personnels (par définition nommés et non élus) sur les ministres compétents dans l’élaboration des décisions politiques, quel que soit le domaine d’action concerné.

Il nous est permis de penser que la méthode de gouvernement que nous avons décrite rencontre d’autant moins de résistance qu’une grande partie de la société contemporaine a déjà interiorisé les idées et les valeurs qui la fondent. Pour s’assurer l’assentiment des citoyens, les gouvernants n’ont ici pas besoin de limiter les libertés politiques, puisque toutes les actions qu’ils entreprennent relèvent d’une logique que chaque individu a, dans une certaine mesure, déjà fait sienne. Au sein même de l’entreprise, chacune des actions pour lesquelles les employés sont rémunérés sont en effet dictées par la culture du résultat, la recherche du profit maximal et de l’efficacité, et contraintes par des limites temporelles et budgétaires définies. C’est sur son lieu de travail que chaque individu interiorise ce qui est devenu une véritable méthode de « gouvernement de soi-même », et qui nous est aujourd’hui imposée dans les domaines politiques et sociaux.

Or, les idéaux du libre marché et de la libre entreprise, s’ils trouvent quelque justification dans le domaine économique, peuvent se révéler extrêmement pervers et liberticides une fois transposés dans le champ du politique.

A titre d’exemple, prenons un domaine où l’action entreprise par le gouvernement est devenue un symbole du « volontarisme politique » de Nicolas Sarkozy : la gestion de l’immigration (mais on pourrait citer également la gestion des hôpitaux, etc.). Afin de mettre en œuvre la « rupture » annoncée lors de la campagne électorale du printemps 2007, Nicolas Sarkozy a mis en place (dès 2002) un important dispositif légal et administratif destiné à gérer les flux d’immigrés et favoriser ce qu’il a nommé « l’immigration choisie » plutôt que « l’immigration subie ». La logique de sa politique d’immigration est habilement décortiquée par un ouvrage récemment publié par l’association « Cette France là » aux éditions La découverte. La conclusion que l’on peut en tirer est la suivante : des objectifs chiffrés transmis à Brice Hortefeux dans la lettre de mission qui lui a été adressée lors de son arrivée au ministère jusqu’au rôle assigné aux préfets, policiers et juges dans la mise en œuvre de ceux-ci, l’intégralité du principe de rationalisation de la gestion qui gouverne l’action de l’appareil administratif est directement tiré des méthodes de management appliquées au sein des entreprises.

(à suivre...)

Lire à ce sujet:

- "La nouvelle raison du monde", P. Dardot et C. Laval, Ed. La découverte

- "Cette france là", association Cette france là, Ed. La découverte

- The wrecking crew: how conservatives rule, Thomas Frank, metropolitan books, 2008

- The predator state, James K. Galbraith, Free press, 2008.

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