Alors, si le financement de l’innovation a besoin du crédit, comment éviter de répéter les erreurs du passé qui ont mené à la crise profonde dans laquelle l’économie mondiale est plongée depuis des mois ? Du point de vue strictement financier, les nouveaux systèmes de régulation doivent être orientés vers une « responsabilisation » du crédit, ce qui ne signifie pas qu’il faille fixer des limites règlementaires à l’attribution de crédit pour autant. Cela serait en effet pratiquement impossible, les gouvernements ne possédant pas l’expertise nécessaire pour évaluer quels investissements sont « bons » et lesquels sont « mauvais ». Le taux d’échec des activités radicalement innovantes est en effet très élevé, ce qui pousserait à une restriction des crédits nécessaire à leur développement, pourtant celles ci sont à la base de notre modèle de croissance et sont donc fondamentales. Il faut donc laisser le marché régler cette question comme il l’a toujours fait jusqu’à présent, mais en respectant des limites clairement définies. Il convient plutôt de rétablir le lien entre ceux qui « revendent » les titres de créance et ceux qui supportent le risque de défaut. Edmund Phelps s’est fortement opposé à cette idée lors de son intervention au colloque : selon lui, l’Etat tendrait à établir des règles d’attribution du crédit encourageant la prise en compte des intérêts de tous ceux qui sont concernés par les décisions stratégiques d’une entreprise (et donc principalement ceux des travailleurs). Or, ce « système hypocrite » qu’il désigne aussi par le terme « stakeholderism » est néfaste pour le système capitaliste, car l’entrepreneur ne doit pas avoir besoin d’obtenir l’accord de tous les « stakeholders » pour appliquer des décisions stratégiques innovantes. Cette idée est selon moi assez critiquable, car elle repose sur l’hypothèse erronée que les employés se cantonnent à la simple exécution des décisions innovantes des dirigeants, alors que dans l’entreprise moderne la hiérarchie n’est plus aussi rigide qu’elle ne l’était il y a 20 ou 30 ans, et les entreprises les plus innovantes sont justement celles où les idées peuvent circuler librement, où l’initiative individuelle est encouragée à tous les niveaux. Il serait donc faut de dire qu’aucun consensus entre ceux qui prennent les décisions d’investissements innovants et leurs employés ne peut être trouvé. Les coûts d’ajustements (humains ou financiers) inhérents au processus de destruction créatrice ne doivent pas être interdits, et il serait illusoire de forcer les entreprises à rester dans des schémas fonctionnels dépassés et peu efficaces simplement parce qu’on veut éviter de supporter les coûts de la restructuration d’une activité. Mais ces coûts peuvent être rationnellement évalués, limités et répartis plus équitablement entre « stakeholders » et « shareholders ». Les conséquences de la crise montrent qu’il n’est plus tolérable d’exclure la refondation du système financier. Il est urgent d’agir et d’expliquer et justifier auprès de l’opinion publique les réformes qui seront conduites afin de ne pas nourrir la frustration et le ressentiment qui menacent la cohésion sociale.
Le point qui reste fondamental, comme l’a souligné Howard Davis, est que l’intérêt des gouvernants pour la surveillance et le bon fonctionnement des marchés ne disparaisse pas dès que la situation économique semblera s’améliorer. Un engagement durable des autorités est nécessaire pour permettre la reprise d’une croissance équitable et bénéfique pour le plus grand nombre, et le rôle de la société civile est ici essentiel pour rappeler sans cesse à ceux qui la gouvernent leurs engagements et leurs devoirs.