chloe.morin

Etudiante (SciencesPo. / London school of economics)

Abonné·e de Mediapart

27 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 janvier 2009

chloe.morin

Etudiante (SciencesPo. / London school of economics)

Abonné·e de Mediapart

Quel avenir pour l'économie du développement?

Lors de son intervention au colloque « Nouveau monde, nouveau capitalisme » qui s’est tenu à Paris le vendredi 9 janvier, Ellen Johnson-Sirleaf (Présidente du Liberia), a rappelé la tragédie que pourrait représenter pour les économies des pays émergents une réaction inappropriée des pays développés face à la crise (c’est à dire un retour vers le protectionnisme, une diminution des investissements dans les pays fragiles qui en ont cruellement besoin, etc.).

chloe.morin

Etudiante (SciencesPo. / London school of economics)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors de son intervention au colloque « Nouveau monde, nouveau capitalisme » qui s’est tenu à Paris le vendredi 9 janvier, Ellen Johnson-Sirleaf (Présidente du Liberia), a rappelé la tragédie que pourrait représenter pour les économies des pays émergents une réaction inappropriée des pays développés face à la crise (c’est à dire un retour vers le protectionnisme, une diminution des investissements dans les pays fragiles qui en ont cruellement besoin, etc.). S’il paraît évident que tous les pays seront affectés par la crise économique actuelle, il ne faut pas oublier qu’ils le seront très inégalement. En effet, les économies émergentes, beaucoup plus fragiles que les nôtres et reposant sur des équilibres souvent instables, en subiront l’impact de plein fouet, sans disposer des ressources nécessaires pour en limiter les conséquences sociales.

Le débat public sur la pauvreté et le développement, malgré son importance fondamentale et sa grande complexité, a trop souffert ces dernières années de l’opposition entre tenants d’une aide massive aux pays en développement et partisans d’un développement par une croissance économique soutenue et d’un renforcement des libertés et des mécanismes démocratiques dans des pays émergents trop souvent victimes de la corruption de leurs dirigeants. Ces deux « pôles » sont incarnés par Jeffrey Sachs (directeur de l’institut de la terre à l’université de Columbia, auteur de The end of poverty, partisan d’investissements massifs des pays développés dans les économies les plus pauvres) et William Easterly ( de la New York University, auteur de The White Man’s Burden, qui plaide pour concentrer nos efforts sur le renforcement des libertés et du marché afin de générer une croissance soutenue dans les pays pauvres). Non pas que ces économistes reconnus ne fournissent pas une foule d’arguments solides à l’appui des thèses qu’ils défendent, bien au contraire. La corruption des gouvernements, qui affaiblit l’impact bénéfique des investissements réalisés dans les pays en détournant une partie de ces capitaux ou en les utilisant inefficacement, est un souci majeur. Il est donc évidemment primordial d’établir des mécanismes de contrôle efficace pour remédier à cela, sans pour autant décourager l’aide au développement. De la même façon, il serait illusoire de penser que le marché et l’argent seuls sont à même de sortir les pays pauvres de la misère : il faut un espace de libertés politiques qui permette l’initiative individuelle (l’innovation et la possibilité d’entreprendre restant les principaux moteurs de la croissance) et l’exclusion des plus démunis ne peut être limitée qu’à travers la confrontation démocratique des préférences dans le processus décisionnel. Il me semble donc qu’une partie du débat acharné qui confronte Sachs et Easterly depuis des années (et dont la virulence des attaques portées par l’un et l’autre par interview et articles interposés témoigne) est artificielle et contribue à discréditer les économistes et diminuer la confiance que les gouvernants leur accordent.

C’est d’ailleurs l’avis exposé par Esther Duflo (économiste titulaire de la toute nouvelle chaire Savoir contre pauvreté au Collège de France) lors de sa leçon inaugurale du jeudi 8 janvier. Elle propose une « troisième voie » qui, malgré la modestie avec laquelle elle a été exposée (que je voudrais ici saluer), pourrait bien ranimer la flamme de l’espoir vacillante en ces temps de crise, à défaut d’apporter une solution miracle aux problèmes des pays en développement. Esther Duflo préconise une approche liant constamment toute politique de développement (ex : le microcrédit) à une évaluation de ses effets au moyen d’outils sophistiqués et d’enquêtes de terrain. La science économique telle qu’elle la conçoit ne cesse de se rapprocher d’une science à part entière, s’éloignant de la théorie pure pour analyser la vie des pauvres sous tous ses aspects et en déduire les meilleurs moyens de leur apporter notre aide dans une perspective durable.

Loin d’abandonner la quête extrêmement difficile qui consiste à rechercher l’origine et les mécanismes complexes d’une croissance économique équilibrée, Esther Duflo compte apporter modestement sa contribution à l’innovation sociale en mettant les politiques de développement à l’épreuve de la réalité de leur impact, en tirant les leçons des échecs constatés et en recommençant inlassablement.

Admettre qu’une révolution ou une solution miracle est impossible pour lutter contre la pauvreté ne doit pas nous détourner de l’objectif noble qu’est l’éradication d’une misère humaine obscène et encore trop répandue : telle est la première leçon d’Esther Duflo. Il me semble qu’elle méritait d’être relayée.
(Voir à ce sujet l’article sur la leçon inaugurale d’Esther Duflo au collège de France dans Le Monde daté du samedi 10 janvier 2008, ainsi que l'article publié sur mediapart à ce sujet. )

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.