
Sous couvert (comme toujours) de bons sentiments – en l’occurrence l’égalité de traitement des religions – voilà que des apprentis sorciers imaginent de regrouper le calendrier des fêtes chrétiennes en une pochette-surprise dont chaque salarié serait libre de faire le meilleur usage.
Nul besoin d’être grand clerc pour pressentir ce qui se dissimule sous l’habit d’Arlequin de cette innovation. Nous serions enfin libérés de l’arbitraire chrétien et de l’héritage d’un passé révolu qui ne préoccupe plus qu’une poignée de grincheux attardés. Au même titre que n’importe quel RTT, un précieux capital de temps disponible nous serait ainsi restitué au service de nos petites commodités et de l’assouvissement de nos chers désirs. À bas l’odieuse servitude des siècles !
Il n’est pas innocent que ce faux débat lancé par quelques poissons-pilotes se soit instauré au moment de la loi Macron. Comme chacun sait, le temps est un grand dévoreur d’argent, l’adversaire atavique de la finance, l’empêcheur le plus coriace de faire des ronds. Dans le cadre de l’offensive généralisée contre tout ce qui fait obstacle à l’ouverture 24/7 du temple mondial de la consommation, les jours fériés représentent - de même que les dimanches et le calendrier scolaire - autant de verrous à faire sauter.
Au passage, l’idée que les Français seraient décidément d’irréductibles fainéants continue d’être instillée dans l’opinion en dépit d’études à répétition qui prouvent au contraire que notre taux de productivité est l’un des meilleurs d’Europe. Ce « bon résultat » est d’ailleurs à mettre en rapport avec notre art éprouvé de l’alternance entre labeur et loisir. Dans un monde ultra mécanisé, il se pourrait même que cette différence marque la frontière ultime entre l’humain et la machine.
La dernière tentative de toucher au calendrier remonte à la Révolution française. On m’accordera que par-delà les références aux journées de terreur, Floréal, Thermidor et autre Nivôse avaient bien fière allure et pas seulement en vertu de la patte poétique de Fabre d’Eglantine.
Ces allusions bucoliques et météorologiques constituaient un hommage à la France rurale d’alors et sans doute plus encore aux fêtes païennes d’avant l’ère chrétienne. L’expérience dura quatorze ans. Napoléon mit un terme à l’audace en revenant au bon vieux calendrier grégorien, le seul soit dit en passant à harmoniser au terme de savants calculs deux rythmes, celui de la lune, caractéristique des calendriers juifs et musulmans, et celui du soleil à portée plus universaliste.
En dernier ressort, toute velléité de modification du calendrier demeure politique et rationnelle. Que les thuriféraires du libre marché aillent par conséquent au bout de leur logique. Ils pourraient notamment proposer de remplacer Noël par le culte du Veau d’or et Pâques par une dévotion aux marchands du temple. Nous aurions alors un exemple édifiant de la dilution de sens que notre époque, jamais à court de contradictions, ne cesse par ailleurs de déplorer.