Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption (OCLCIFF) pensent avoir mis la main sur un lieu d’acheminement de fonds et d’archivages non officiels des évadés fiscaux d’une filiale suisse du Crédit-Mutuel-CIC. Un appartement à deux pas de la Gare de Lyon aurait servi de boîte postale et de rendez-vous clandestins en vue de transferts occultes d’argent. Il est vrai que l’agence du Crédit-Mutuel la plus proche se trouve à plusieurs centaines de mètres de là, précisément à Reuilly-Saint-Antoine. Pas vraiment la porte à côté, et pas sûr non plus que les petites transactions de cette clientèle particulière bénéficient au guichet du coin, même avec la banque à qui parler, d’un niveau de compréhension adéquat.
En tout état de cause, le procédé présente d’intéressantes similitudes avec celui utilisé par les dealers qui recourent à des « nourrices » rétribuées pour abriter leur trafic. Dans le cas qui nous occupe, la question se pose de savoir quelle dénomination choisir pour caractériser la combine sans céder à de basses comparaisons ni à des raccourcis infâmes eu égard au prestige des institutions visées.
Nurse nous paraît un tantinet so british, nounou quelque peu familier, duègne et chaperon dégagent un parfum désuet. Reste une locution qui présente l’avantage du chic sans la ringardise du chèque : gouvernante. Oui, si par le plus grand des bavardages d’autres abris de ce genre venaient à être contrôlés, nous proposons de recourir à cette honorable appellation qui évoque la rectitude morale des dames vouées à éduquer les enfants des autres.
En ces temps d’embrouillaminis, gouvernante est un nom franc du collier, un nom qui sonne aussi clair qu’une pièce en or tombée dans une tirelire en forme de cochon rose, un nom qui éveille d’autres noms, d’autres intérêts associés, un nom qui a surtout l’infini mérite de situer le siège véritable du pouvoir. Au lendemain de la Libération, le prix que nos aînés avaient eu à payer les prédisposait à fort bien saisir ces nuances. Ils décrétèrent la mise sous tutelle de la finance, afin d’abattre le mur de l’argent, dans la même période où la presse libre renaissait. Est-il besoin de rappeler que le Crédit-Mutuel est le groupe de presse à la tête du plus grand nombre de journaux en France, vingt-deux titres au total ?
Que s’est-il passé entre temps ? Celui qui n’était pas encore Président de la République mais premier secrétaire du parti socialiste, avançait une explication plausible dans un ouvrage paru en 2006 (1) : « Une haute bourgeoisie s’est renouvelée au moment où la gauche arrivait aux responsabilités en 1981. (…) C’est l’appareil d’Etat qui a fourni au capitalisme ses nouveaux dirigeants.(…) Venus d’une culture du service public, ils ont accédé au statut de nouveaux riches, parlant en maîtres aux politiques qui les avaient nommés. »
De renoncements en reniements, la France atteignit un sommet dans la capitulation devant les puissances d’argent en l’année 2008. 360 milliards d’euros furent levés afin de renflouer les banques prises dans la tourmente. Un montant, supérieur au budget annuel de la nation, accordé sans contrepartie. Depuis, tout va mieux, merci pour elles. Aux dernières nouvelles, les six premiers groupes bancaires français affichent 14,3 milliards d’euros de résultat net cumulé. Jusqu’au prochain crach ? Des gouvernantes, on vous dit.
(1) - François Hollande, devoirs de Vérité, Stock, Paris 2006, p 159-161