
J'éprouve aujourd'hui une infinie tristesse...
Depuis l'affaire de Créteil - cet adolescent qui a "braqué" son enseignante avec une arme factice, tout cela pour échapper à une punition parentale - des kilomètres de commentaires, d'articles, de réflexions sur les réseaux dits "sociaux" (le Hastag désormais célèbre #PasDeVagues ) ont envahi l'espace médiatique. Tout et n'importe quoi a été dit. Du plus passionnant au plus mensonger.
Le Ministre de l'Intérieur d'abord - ce qui est pour le moins surprenant - puis ceux de l'Education Nationale et de la Justice ont réagi, voire "sur-réagi", à l'incendie provoqué par la vidéo de cette agression dans un lycée de Créteil. Les mesures annoncées très rapidement, tellement rapidement qu'elles provoquèrent une belle empoignade entre le fougueux Castaner et la bien plus sage Belloubet, se contentèrent de nourrir un catalogue sécuritaire. Catalogue connu, déjà utilisé sans résultat. J'affirme ici qu'aucun résultat ne sera obtenu davantage aujourd’hui qu'hier.
Le Ministre de l'Education Nationale a joué sa partition. Politique exclusivement. Il s'agissait d'abord, et sans doute seulement, dans un moment où la Macronie souffre d'un déficit abyssal de confiance comme de résultats, de rassurer les alliés "naturels" d'une Ecole "à l'ancienne", présentée depuis un an et de mi comme "rassurante". Les "ficelles" habituelles ont été réutilisées: déclaration martiale en présence des recteurs, conférence de presse, vidéo tweetée et facebookée, "retour" des 100 lignes, conseils de discipline facilités, travaux d'intérêt général et j'en passe. Vous trouverez facilement l'ensemble en appelant à l'aide votre ami Google. La droite "tradi" est rassurée; l’extrême-droite fait semblant de trouver que tout cela ne va pas assez loin mais applaudit, la Macronie soutient par réflexe pavlovien, les parents sont aux anges tant la propagande fonctionne depuis un an et demi, un nombre certain d'enseignants applaudit. Si l'on peut en comprendre quelques-uns, confrontés à des situations très difficiles que personne n'a jamais niées, j'ai plus de peine avec d'autres dont les combats ne sont certainement pas engagés par un manque de discipline dans leur classe ou de soutien de leur hiérarchie.
Oui j'éprouve, depuis l'apparition de cette vidéo, une infinie tristesse. Qui, jour après jour, va croissante.
Tristesse d'abord pour notre collègue. Evidemment! Manifestement en souffrance, peut-être pas seulement depuis cette inexcusable agression, je lui adresse mon soutien, ma sympathie, ma solidarité totale.
Tristesse ensuite pour cet établissement de Créteil qui a vu fondre sur lui médias et rumeurs diverses. Pour avoir vécu indirectement, en 2013, le même tsunami sur un établissement scolaire, je compatis. C'est d'une extrême violence car nous ne sommes pas préparés à affronter la vague.
Tristesse enfin pour ma chère Ecole si maltraitée depuis un an et demi. Car s'il n'est pas question de laisser passer le geste de cet adolescent - tout en laissant toute liberté au Conseil de discipline, souverain, de décider d'une sanction sans subir AUCUNE pression, d'où qu'elle vienne - les débats qui ont occupé le microcosme "Education" et le macrocosme "Médias" manquent totalement et paresseusement leur cible. L' occasion - malheureuse et inacceptable - de ce "braquage" aurait du permettre à l'institution d'observer ce qui se fait de mieux ailleurs dans et hors de l'Union Européenne en matière de "vie scolaire".
Au lieu de ça, nous n’eûmes droit qu'à un discours POLITICIEN très éloigné des attentes, des urgences nécessaires à l'Ecole. Droit à l'oubli "pratique" de la suppression de 2650 postes dans le secondaire. Droit aussi aux habituelles attaques contre l'héritage de Mai-68, contre les "pédagogistes" - nouvelle catégorie permettant de diviser les pédagogues que sont TOUS les enseignants - contre le laxisme fantasmé plus que réel, contre le passé récent d'un quinquennat honni, d'une Ministre caricaturée même si le Ministre de l'Education Nationale s'est placé dans la lignée de ses prédécesseurs, Najat Vallaud-Belkacem comprise. Tout arrive...
Oui, j'éprouve ces jours derniers une infinie tristesse...
Avec Paulo Freire, néanmoins, j'ose espérer pouvoir, avec tant d'autres, poursuivre ma route sur les chemins qui mènent vers l'ECOLE!
"Enseigner exige joie et espérance. Il y a une relation entre la joie nécessaire à l’activité éducative et l’espérance : l’espérance de ce que, professeur et élèves, nous pouvons ensemble apprendre, enseigner, nous inquiéter, produire, et ensemble également résister aux obstacles à notre allégresse. L’espérance fait partie de la nature humaine."
Paulo Freire - Pédagogie de l'autonomie
Christophe Chartreux