Et l'élève dans tout ça ?
TOUT projet éducatif d'envergure sera ambitieux ou ne sera pas. Il devra lever les verrous qui bloquent notre école. Que risquons-nous ? Rien ! Et pour renverser ces tabous, il faut un guide, une petite étoile, celle qui guide sur les routes difficiles. Cette étoile a un visage : celui de l'ELEVE ! Entre autres bien évidemment !
Mais quel élève? Celui que connaît l' administration centrale, c' est l' élève moyen. Celui qui serait tout à la fois :
• le lycéen d' Henri IV à Paris
• le jeune beur de Clichy sous Bois
• la petite fille surdouée de Carpentras
• le grand espoir du basket au lycée de Vichy
• la petite dyslexique du CM1 de Riom
• le fou d' informatique du lycée professionnel de Dieppe
• la jeune chinoise sans papiers depuis trois mois à Besançon
• la petite ado de Lyon qui ne rêve que de la Star Ac'
• le génie hyper actif de la maternelle de Melle
• le bon-en-maths-mauvais-en-français (ou inversement) de La Rochelle
• le rebelle décrocheur de Gennevilliers
• le jeune violoncelliste d' Orléans
• etc...
Ils sont 12 millions comme ça et chacun est un cas particulier. La Loi d' orientation de 1989 a permis de passer d'une logique de l' offre de formation à une logique centrée sur l' élève (beaucoup plus que l' "élève au centre du système", formule tant reprise et décriée) et sur la réponse à ses besoins. Les intentions sont là mais l'Education n'en a pas tiré les conséquences. Et tout particulièrement, elle a «oublié» de prendre les mesures nécessaires à la personnalisation de l' enseignement.
La personnalisation consisterait à fonder l' ensemble de la structure et du fonctionnement d' un établissement scolaire sur la base de ce qui est nécessaire pour la progression optimale de tous, en identifiant et en respectant les différences. Chaque situation particulière devra être prise en compte (surdoués; hyper actifs; handicapés; jeunes artistes; enfants vivant une situation familiale particulière; etc...). Nous évoluons aujourd' hui dans une logique inverse, les élèves ayant pour fonction de remplir des cases administrativement créées alors qu' il faudra construire et déconstruire les cases suivant le besoin des élèves.
Pour personnaliser, l' enseignant devra être formé pour apprendre à détecter les différences, à adapter son enseignement par des pédagogies différenciées qui ont fait leurs preuves. Tel enfant de CP a peut être besoin de la méthode globale pour apprendre à lire; tel autre aura besoin de la syllabique, d' autres encore de méthodes mixtes. Construire une méthode pédagogique en fonction de nos élèves plutôt que de plaquer la même méthode à tous. Voilà une autre proposition à porter. C'est une révolution, non pas du "système", mais du logiciel qui lui sert de moteur.
Dernière étape à franchir : modifier l' organisation des établissements en fonction de chaque élève. Et c' est possible! Cela consisterait à généraliser une forme de « discrimination positive » dont voici quelques illustrations :
• tel élève a besoin quelques temps d' un encadrement individuel ou d'un tutorat,
• tel autre a besoin d'un travail en petits groupes (c'est ainsi que fonctionnent les cours de langues pour adultes, avec des résultats remarquables),
• pour tel cours ou telle activité, le travail en classe a lieu d'être,
• pour tels autres, le travail en classe n'a pas lieu d'être,
• la vitesse de chacun, que ce soit la vitesse choisie par l'enseignant comme celle subie par l'élève, doit être modulable. Et dans ce cas là, le redoublement, dont l'inefficacité est unanimement reconnue aujourd' hui, n'a plus lieu d'être non plus.
La mise en place d'enseignement personnalisé, comme cela existe dans la formation continue, pourrait être expérimentée pour l'apprentissage de l'anglais. Ce qui, soit dit en passant, permettrait d'atteindre l'objectif défini pour les langues vivantes par l'audit de modernisation de 2006 (!!) : (que tout le monde fait mine de ne pas connaître) : « 100 pour 100 des lycéens français doivent avoir obtenu leur certification B2 (utilisateur autonome) à l' horizon 2010 dans au moins une langue vivante ». (Source : Rapport sur la grille horaire des enseignements au lycée général et technologique : mission d'audit de modernisation. Inspection Générale des finances, Inspection Générale de l' Education Nationale, La Documentation Française 2006)
Dans le système actuel, avec notre mode d' organisation des établissements scolaires, avec nos impératifs d'enseignement et avec nos habitudes, malgré 1000 heures d'enseignement tout au long de la scolarité, l'objectif fixé par cet audit est tout simplement utopique. Comme beaucoup d'autres !
Christophe Chartreux