L'Ecole, au sens large, semble avoir oublié quelques aspects pourtant essentiels sans lesquels il ne peut exister de "plaisir d'apprendre", pour reprendre le joli titre d'un livre de Philippe Meirieu. Ces aspects étant la "gourmandise", le "désir" et la "volupté" de COMPRENDRE!
Des milliers d'enseignants, chaque jour, inventent, imaginent, créent et recréent pour offrir à leurs élèves des "moments d'être", ces moments où, comme par miracle, les murs de la salle de classe s'effondrent pour laisser place à un autre lieu, indéfinissable, invisible ou visible aux seuls participants. Un lieu et un moment partagés : ceux du bonheur d'apprendre, de comprendre et, donc, de toucher au plus près le trésor offert à nos élèves : la LIBERTE!
La liberté, seul outil nécessaire permettant de contourner, d'écraser même, les fatalités, les destins écrits d'avance, les têtes baissées devant l'échec, la résignation et ce sentiment atroce de ne pouvoir jamais accéder aux savoirs toujours réservés aux mêmes, aux mêmes mais pas à tous. Au point de désigner par avance et très tôt - dès le CP pour quelques décideurs; on croit cauchemarder, mais non c'est bien notre réalité contemporaine - ceux qui seront les meilleurs sans jamais se soucier de ceux qui seront "les autres" et qu'on n'ose même plus qualifier! Me revient en mémoire cette phrase de François Dubet:
“Il est toujours plus aisé de dire comment on sélectionne les meilleurs que de dire ce que l’on fait des autres”.
De tous ces "autres" qui, happés par une société qu'on leur présente comme "idéale" mais n'étant que celle de la "consommation/pulsion", du jeu vidéo à outrance, des émissions de télévisions plus stupides les unes que les autres, iront grossir les rangs des décrocheurs (dont le nombre a très sensiblement baissé grâce - il faut le dire - au travail accompli par Najat Vallaud-Belkacem, insultée sur tous les réseaux sociaux sans qu'aucune sanction ait jamais été prise, ses équipes et les enseignants). Décrocheurs "en difficultés majeures", abandonnés sur le bord de la route tracée par et pour d'autres: les initiés. Ceux-là auront perdu le goût... La gourmandise leur sera inconnue, interdite. Eux qui avalent leur soupe vespérale à la grimace des devoirs à la maison que, de mauvaises notes en mauvaises notes, ils ne font même plus. Et qu'ils ne feront pas davantage par l'intermédiaire de constructions hâtives confiées à un encadrement maigrichon.
Mais voilà. Notre Ecole aujourd'hui semble vouloir fabriquer des "modèles". Et si possible des "modèles" qui aiment souffrir, qui savent courber l'échine, garder le silence, lever la main, comprendre vite... Que dis-je "comprendre"? Apprendre par coeur pour répéter, répéter, répéter... Hors les "fondamentaux" - jamais abandonnés! - point de salut! En 55 minutes pour le collège, multipliées au quotidien par d'autres 55 minutes. Tu n'as pas eu le temps de comprendre l'accord du participe passé avec avoir ? Tant pis ! Va essayer de comprendre quelques phrases d'anglais puis les inégalités des systèmes de santé dans le monde (programmes de 5ème). Puis tant d'autres choses que tu ne comprendras pas parce que tu n'as plus d'appétit, plus de plaisir... Parce que quelque part, je-ne-sais où, il a été décidé que la "gourmandise pédagogique" était un bien vilain défaut.
Heureusement, et je le dis et le pense avec sincérité, des milliers de collègues, en maternelle, primaire et secondaire, accomplissent chaque jour, chaque heure, chaque minute des miracles. Oui des MIRACLES ! Dans la difficulté, minés parfois par le découragement, ils y reviennent. Les uns transformant leurs cours en happening insensés, les autres en toute discrétion laissant leurs élèves investir l'espace des savoirs, les accompagnant dans la découverte d'îles merveilleusement inconnues. Il n'existe pas de méthodes idéales, uniques pour redonner du goût aux savoirs à transmettre. Mais il est quelque chose qui ne peut pas ne pas être présent, toujours: la passion du "Maître". Elle doit se voir et surtout se transmettre. Jamais l'élève ne saisira le plaisir d'apprendre si face à lui se trouve un Maitre désabusé, découragé, aigri parfois, uniquement soucieux de son confort et étant persuadé que "le silence est la condition de l'attention quand elle n'est que la condition du sommeil", étant persuadé, et l'ayant été par des discours récurrents jamais contredits alors qu'ils auraient du l'être, qu'il suffirait de quelques mesures dites de "bon sens" appuyées sur des "études" dont on ne sait jamais rien!
Et pourtant...
Le bonheur d'aller à l'Ecole existe. En plus de trente ans de métier, j'ai TOUJOURS rejoint mon poste avec le sourire et l'ai quitté le soir avec l'ENVIE de le retrouver vite! Il faut aller le chercher, ce bonheur! Et, après l'avoir trouvé, le faire partager loin de toutes "bisounourseries" démagogiques.
Le partager pour élever l'élève vers ce qu'il saura vous rendre: le sourire et ce bonheur à lui, lu dans ses yeux, d'avoir appris et d'avoir compris!
Voilà l'école que je connais. Que je défends... Jour après jour...
Qu'on m'en empêche, si c'est un crime...
Christophe Chartreux