A propos des programmes scolaires...
La notion de « programme » doit être profondément transformée...
Une réflexion doit être menée autour de la notion de discipline scolaire et derrière elle, la question des « programmes ». Deux pistes peuvent être explorées : - D’une part, scinder les programmes traditionnels en « unités » présentant une cohérence soit de contenu, soit de compétence (démarche proche de la mise en œuvre des « unités de valeurs » à l’Université au début des années soixante-dix) - D’autre part, la piste plus ambitieuse proposée par Edgar Morin consistant à articuler les enseignements des disciplines autour de grandes questions que se pose tout être humain : l’identité terrienne, la condition humaine, qu’est-ce que comprendre un phénomène, comment se construit le savoir, etc. ? Rappelons qu’en mars 1998, au moment de la consultation nationale « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? », Edgar Morin avait proposé au Ministère de l’Éducation nationale l’organisation de journées thématiques qui ont regroupé plus d’une soixantaine d’enseignants et de chercheurs de renom. L’idée de départ – qu’Edgar Morin défend inlassablement – était de prouver qu’une autre façon de considérer les savoirs et leur enseignement était possible. Les réalités et problématiques du monde d’aujourd’hui sont multidimensionnelles et complexes. Or leur enseignement se fait à partir de disciplines compartimentées, elles-mêmes souvent fragmentées en spécialités disjointes : l’élève étant supposé opérer de lui-même des liens, des articulations. Or, le défi est au contraire de permettre à chaque humain d’accéder à cette culture complexe en proposant une cohérence d’ensemble. Les disciplines ne sont pas un objectif en soi, elles sont des outils intellectuels pour penser le Monde. Le savoir (dispensé par l’École) doit répondre aux questions essentielles de la conscience humaine : qui sommes-nous, d’où venons-nous, où sommes-nous, comment fonctionne le monde, comment évolue-t-il ? Comme le souligne Edgar Morin, ces journées avait pour objet de relever un défi : « favoriser l’émergence de nouvelles humanités à partir des deux polarités complémentaires et non antagonistes, la culture scientifique et la culture humaniste » ; permettre ainsi à chaque humain « de se reconnaître humain et de reconnaître en autrui un être humain complexe ; de devenir apte à se situer dans son monde, sur la terre, dans son histoire, dans sa société ». (Le défi du XXIe siècle. Relier les connaissances, p. 15).
Treize ans après, l’analyse garde toute sa pertinence ; treize ans après, l’École est inchangée. L’élève subit un enseignement toujours aussi fragmenté et une journée de collégien ressemble à un inventaire à la Prévert : calcul algébrique, étude du devoir argumenté, exercices de flûte -aujourd'hui de chant choral-, dialogue en anglais… se succèdent au gré des emplois du temps. Qu’a « construit » ce collégien au terme de sa journée ? La question lui est-elle d’ailleurs posée
Placer la question du sens au cœur de la rénovation à mener est une urgence. On se doute des réticences (pour ne pas dire plus) que cela engendrerait : nous avons déjà souligné – pour la simple inscription des matières dans les perspectives du Socle commun – combien les territoires disciplines résistent. C’est un processus de longue haleine qu’il conviendrait d’initier : refonder cette École du XXIème siècle ne peut s’envisager que sur une dizaine d’années, et donc obtenir l’adhésion du corps social pour que les alternances politiques ne viennent pas altérer le processus. Et pourtant, dans les deux cas, les bénéfices d’une telle révolution scolaire seraient considérables. Il s’agirait de permettre à l’élève d’être dans une spirale positive de construction des savoirs : - l’élève peut continuer d’avancer dans les matières où il réussit sans s’ennuyer à refaire la même chose là où il échoue. En cas de difficultés, l’élève va à son rythme ; - cela « remixe » les groupes et oblige à tisser des liens plus nombreux avec d’autres d’âges très différents.
Pour le développement de « matières» ouvrant la voie à la diversité En arts plastiques, musique, langues étrangères (autres?...), des élèves d’âges différents seront regroupés pour échanger, comparer, confronter leurs talents. Un élève n’est pas différent d’un autre uniquement par l’âge. Il l’est aussi par ses qualités propres et un enfant de 11 ans peut avoir beaucoup plus de possibilités en arts plastiques, en musique, en langues (voire dans toutes les autres matières) qu’un autre de 14 ou 15 ans. L’inverse est évidemment vrai. Tous ces temps de rencontres, de dialogues informels seront facilités par :
- d’autres rythmes scolaires hebdomadaires et annuels. Repenser les vacances d’été en les organisant par zones n’est pas une utopie, avec néanmoins les réserves que pose cette utopie aux parents divorcés ne vivant pas dans les mêmes régions. - Quant à l’organisation au quotidien, et en distinguant le primaire du secondaire, après une large consultation des chrono-biologistes, des personnels éducatifs et fédérations de parents d’élèves, il faudra notamment se poser la question de savoir s’il est bien raisonnable de continuer à encadrer (au sens propre du terme) les élèves de collège dans un emploi du temps de 32 heures (!!!) réparties sur cinq jours avec une heure pour déjeuner et, en collèges ruraux (très nombreux), le car de 17h07 à ne surtout pas manquer… Et un retour à la maison aux environs de 19h pour ceux en fin de parcours... Les pistes que nous lançons ici sont à étudier très en détail avec les professionnels concernés car les questions sont multiples :
- comment organiser ces enseignements pour ne pas recréer de nouveaux cloisonnements ?
- à partir de thématiques ?
- d’un projet pluridisciplinaire d’une Unité éducative ?
- d’un concours impulsé par le ministère mettant les établissements en concurrence pour la réalisation concrète du projet ?
Il peut s’agir également de modules tournés vers une thématique nécessitant la collaboration de plusieurs disciplines : module de civilisation anglaise, allemande ou espagnole ; module d’expression orale… La richesse des projets déjà en œuvre dans de nombreuses écoles montre que l’imagination, la capacité à innover et à créer et l’énergie pédagogique ne manquent pas : il suffirait d’une politique volontariste pour accélérer le mouvement
Christophe Chartreux www.profencampagne.com