Question: l’École, au sens restreint du collège et du lycée, n'est-elle pas devenue le reflet des égoïsmes, d'une société "macronienne" qui privilégie l' "avoir" à l' "être", d'un monde qui a adopté une règle pour l'imposer au plus grand nombre, celle de l'accélération des satisfactions de nos pulsions, notamment nos pulsions "consommatoires"?
Tentative de réponse: observons un élève, disons de quatrième d'un collège. Observons-le un mardi -mais ce pourrait être un lundi, ou un jeudi.
Il entre au collège et retrouve la cour animée par quatre-cents pré-adolescents qui s'occupent. Ils s'occupent jusqu'à la sonnerie qui les fait se mettre en rang, par groupe de vingt-cinq en moyenne. Chaque classe, plus ou moins calmement, attend, dans un "couloir" numéroté, dessiné au sol, le professeur qui ne tarde pas à arriver.
Quelques "bonjour Madame/Monsieur" et c'est l'ascension vers les salles de cours. Le silence se fait à l'extérieur. Petit à petit. Place aux savoirs...
Notre élève -appelons-le Pierre- s'installe à sa place. C'est la même depuis la sixième. Il a cette habitude. D'autres pas. Comme tous ses camarades de la classe, comme tous les camarades de toutes les classes, il sort ses affaires. Puis il attend. Selon le professeur ou la matière, il sera silencieux, bavard, attentif, participatif, ennuyé, triste, hilare. Mais il devra, chaque cinquante-cinq minutes, avoir compris ce qui lui aura été déversé. Chaque cinquante-cinq minutes. Pas soixante-trois ni trente-cinq. Non. Quelqu'un, un jour, on a oublié son nom, l'a-t-on seulement connu, a décidé que les enfants de France devaient écouter, répondre, écrire, comprendre au terme de toutes les cinquante-cinq minutes qui rythment la journée de l'enfant/collégien. Je ne connais aucun autre lieu, dans le monde humain, qui divise le temps de cette manière. C'est unique.
Pierre et tous les "Pierre" de France, toutes les "Inès" et "Gaëlle" aussi, vont accumuler des séances tout au long de l'année scolaire, parfois sans la moindre souffrance, se glissant avec délectation dans le gant de velours ou de fer de la discipline nécessaire imposée par le professeur. D'autres subiront ces mêmes moments comme ceux de la torture inquisitoriale. La "question". A peine atténuée par des dispositifs se surajoutant à d'autres, jamais évalués et dont l'efficacité est avant tout politique avant d'être pédagogique.
Cette école-là est celle de la consommation. La Macronie adore cette école. Un très grand nombre d'enfants - je l'ai observé souvent - viennent consommer du cours. Il y a les acheteurs brillants, qui sélectionnent les produits, comprennent les consignes/étiquettes, savent tirer profit des conseils du "vendeur", utilisent les outils mis à leur disposition avec un talent extraordinaire. Il y a ceux qui semblent perdus dans les allées du "magasin", apeurés par l'accumulation de l'offre, par l'incompréhension des directives. On les reconnaît de deux manières ceux-là: ils sont surexcités ou étrangement silencieux et passifs.
Pierre est un consommateur averti. Ses parents ont été et sont restés au courant des secrets de fabrication du "magasin-école". Ils l'aident, chaque soir, le conseillent, le rassurent, l'encouragent, le récompensent. C'est bien.
Et puis il y a les autres qui sortent du "magasin", un jour. Ils en sont même "sortis" depuis fort longtemps. Mais pour eux, on maintient les mêmes règles. Qu'ils ne les comprennent pas n'a qu'une importance relative. L'essentiel n'étant-il pas de consommer, consommer, consommer toutes les cinquante-cinq minutes. En cas d'indigestion, voyez ailleurs!
Mais trêve de métaphore...
L'école en France doit se remettre en question et c'est urgentissime. Elle doit passer d'un monde à l'autre. L'inventer même. Car à force de s'incruster dans la consommation forcée des savoirs, elle va manquer - et faire manquer à des générations - le monde qui commence. Celui d'un ralentissement nécessaire, d'une pause, d'un autre rythme, à commencer par les rythmes scolaires.
Soyons "fous" et - c'est un symbole - qu'on mette fin, vite, aux sonneries agressives scandant des journées découpées en tranches toujours égales...
Une égalité de façade qui cache bien des inégalités dangereuses...
Christophe Chartreux
Note:
Consommatoire: se dit du comportement instinctif déclenché par la conjonction d'un ensemble de stimulus spécifiques et qui sert de conclusion à un comportement appétitif. (Il constitue pour K. Lorenz l'essence même des comportements instinctifs.)
Dictionnaire Larousse