Dans la France du « dégagisme», le débat n’a jamais eu bonne presse. Emmanuel Macron a théorisé le consensus, cette recherche de consensus tant reprochée à son prédécesseur. Il use du cynisme avec délectation. Ce fut encore le cas le 15 janvier dans l'Eure devant 400 maires. Un marathon monologué qui n'a fait qu'entretenir le flou très souvent utilisé par le candidat Macron.
Si quelqu'un a compris ce qu'allaient devenir l'ISF ou les 80 kms/h sur route, alors qu'il ne se gène pas pour m'expliquer. Ce flou, outil de gouvernance en Macronie. Mais les mois ont passé et si le Président Macron n'a manifestement pas changé, les français, eux, ont compris les ressorts de la mise en scène.
Le Président, en ce mardi 15 janvier, s'est même laissé aller, une fois de plus, jusqu'à conseiller de « traverser une rue » pour trouver facilement un emploi. Lui, le Macron triomphant, n'a jamais eu de rues à traverser. Pas de contradiction possible. Jupiter avait parlé et le "débat", à peine ouvert, trouvait là ses limites.
Ce Président n’a décidément rien compris à l’ « esprit français ». Il a perdu le fil de son "roman politique". Aujourd'hui le voilà seul face à un peuple en ébullition.
Nous sommes le pays de la dispute. De la contradiction érigée en principe. Le pays où TOUT est et fait débat. Du prix de la baguette de pain à la géopolitique la plus complexe. Bien fol est celui qui oublierait cela, réduisant le peuple français à un ensemble sans arêtes, sans passions, sans engueulades vite oubliées pour plus vite encore en inventer d’autres.
A la maison ou à la plage, j’ai encore en mémoire ces discussions enflammées entre mon professeur de père et ses amis, professeurs aussi pour la majorité d’entre eux. Au soleil du Maroc, ils s’écharpaient en parlant pédagogie, politique ou sport. Tout, absolument tout était comparé, soupesé, analysé. Le ton montait souvent. Puis tous se retrouvaient dans l’eau de l’Atlantique ou dans la cascade des éclats de rire provoqués par une plaisanterie venant, provisoirement, clore la discussion du jour.
J’ai encore à l'esprit ces émissions de télévision faisant du débat contradictoire leur raison d’être. Ah ces empoignades aux Dossiers de l’écran dont le générique me glaçait d’effroi !
Effacer tout cela, nier cette spécificité française – dans quel autre pays que le nôtre va-t-on jusqu’à nous fâcher sur des sujets aussi improbables et éloignés de nos préoccupations que les ventes d’armes aux États-Unis ou la politique africaine du Président Poutine ? Aucun ! – c’est ne rien comprendre à ce qui façonne la France : le débat contradictoire et tant pis s’il est ponctué par quelques « noms d’oiseaux ». La France, c’est Rabelais au banquet d’Astérix !
Hélas, un candidat devenu président de la République a tenté - et, à mon avis, heureusement échoué - de soumettre l’esprit français au nom du " En même temps ", au nom du " Ni droite ni gauche ", au nom du "dégagisme". Un aplanissement, une monotonie, un lac d’où seraient absentes les plus minuscules vaguelettes. Un pays plat où triompheraient les communicants. Il suffit de suivre les comptes « Twitter » du président de la République et ceux de ses « marcheurs » pour constater tristement la victoire des slogans, des éléments de langage sur les idées. La victoire des phrases creuses - «… Parce que c’est notre projet !!! » - hurlées dans les micros. La victoire de ceux qui parlent fort et qui pensent bas. La victoire des publicistes sur les écrivains. La victoire du spectaculaire sur la discrétion nécessaire à la réflexion longue. La victoire des talk-show où le « show » écrase le « talk ». La victoire de BFM TV et des Grandes Gueules de RMC sur France Culture, même si, dans un sursaut d’intelligence j’espère, cette dernière station de radio a gagné des auditeurs. La victoire de Closer sur Le Monde. La victoire de Tartuffe !
La France n’est en aucun cas ce pays voulu par Emmanuel Macron ! Encore faut-il lui opposer des forces contradictoires, des mouvements d’idées qui deviennent idéaux, une gauche renaissante et force de propositions.
Une gauche qui redonne force et corps aux espérances populaires, qui nourrisse les débats dont le président de la République et ses amis veulent priver le pays, qui rende à la politique ses lettres de noblesse.
Bref autre chose qu'un faux débat, encadré, limité.
A tel point que le citoyen français pourrait croire que tout cela, "c'est de la pipe"...