Depuis les chocs pétroliers des années 1970, les parents savent que le diplôme "compte", que l’échec scolaire conduit à des impasses, que certaines orientations précoces sont des voies de garage. Ces mêmes parents veulent que l’école prépare au monde du travail. Nous sommes entrés dans la culture anxieuse du résultat.
De fait, l’école devient elle aussi l’objet de jugements de la part des élèves et des parents. La mondialisation, à travers les expériences Erasmus entre autres, pousse à comparer son école à celle des pays voisins. Pour que ces comparaisons, devenues légitimes, soient utiles, encore faut-il les apprécier en étudiant les mesures sérieuses de compétences acquises par les élèves du monde entier sur les bancs de leurs écoles respectives.
Un livre, déjà ancien, L’élitisme républicain, L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, de Christian Baudelot et Roger Establet, Seuil, Paris 2009, proposait d’analyser ces compétences en s’appuyant sur les enquêtes menées par le programme PISA. La plupart des difficultés du système éducatif français était soulignée par ce travail :
- élitisme républicain;
- culture du classement;
- élimination précoce;
- tolérance aux inégalités et leur reproduction.
Sous le masque de l' "égalité républicaine", que la droite et le macronisme - c'est la même famille - s'évertuent à idéologiquement appeler "égalitarisme", c’est bien une aristocratie inavouée qui fait tourner le moteur de notre école. L’école française est très et trop tôt, sélective. Elle demeure prisonnière, au XXIème siècle, de ses objectifs hérités du XIXème : distinguer une petite élite sans se soucier d’élever significativement le niveau des autres. La méritocratie reste une course aux meilleures positions pour certains. Pour d’autres, les plus nombreux, elle se traduit par une relégation rapide et coûteuse sur le marché du travail. C'est exactement vers cette école que les "réformes" actuellement mises en place veulent nous amener. Une école qui a pourtant très largement échoué, sinon évidemment pour les meilleurs dont une infime minorité était issue des familles populaires. Ces derniers servant de "caution" à un système qui commençait et va recommencer à les éliminer très tôt.
Les résultats, incontestables quoique contestés, sont peu brillants, comparativement aux autres pays riches et développés, pour cette France qui a longtemps cru - croit toujours ? - que son école est la meilleure du monde :
- elle compte un taux très élevé de jeunes en échec;
- elle ne fournit pas des élites assez étoffées pour répondre aux besoins de la nouvelle donne économique;
- elle n’est ni juste ni efficace.
En somme, une école à l’image de la société qui l’entoure : élitiste et inégalitaire. Une société où l’on continue de croire que les intérêts de l’élite ne sont pas ceux de la masse quand, partout ailleurs, tout porte à penser que l’élite est novatrice et abondante si la masse est bien formée et l’échec le plus rare possible. Ironie de l’Histoire de l’école en France : elle ne parvient même plus à former cette élite pour laquelle elle est pourtant organisée.
Les enquêtes PISA, on le sait, ne font pourtant pas l’unanimité. Les responsables politiques les maintiennent dans une semi confidentialité ; les enseignants se méfient de la culture de l’évaluation, qu’ils pratiquent pourtant quotidiennement ; les médias n’en publient que le classement général, spectaculaire mais simplificateur. Le fond des enquêtes PISA reste confidentiel et seulement connu des experts. Ce livre rendait enfin publics les résultats de ces enquêtes.
Il permettait aussi un détour par l’étranger quand le débat français sur l’école reste une « affaire de famille », un huis-clos prisonnier des passions politiques et des héritages idéologiques hexagonaux. Il suffit d'observer la mise en place de l' "école Blanquer". Tout est à rebours de ce qui se fait de mieux chez nos voisins européens et ce n'est pas en plaquant la méthode de Singapour en mathématiques que nous sortirons les élèves français de leur étouffement.
Les comparaisons établies par les enquêtes PISA permettent de constater et de comprendre pourquoi et comment d’autres pays font autrement et mieux que nous. Sans conclure qu’il suffit de les imiter, la France n’étant ni la Finlande ni la Corée du sud, on peut en revanche identifier les principes généraux qui pourraient présider à l’amélioration de notre système éducatif.
Que nous apprend PISA de ce point de vue ?
1- Les efforts de démocratisation sont payants. La massification de l’enseignement a abouti à une réduction des inégalités sociales;
2- Malgré la crise économique qui a sévi ces dernières années, la valorisation des titres scolaires est loin d’être mauvaise;
3- Les pays les meilleurs sont les plus riches et ils sont les plus riches parce qu’ils sont scolairement les meilleurs;
4- Le niveau a monté ! (Sans quoi la crise serait bien pire). Les écarts ont diminué dans l’accès au sommet même s’il demeure une masse d’échecs initiaux trop importante. Même si l'écart entre les "meilleurs" et les "moins bons" a augmenté, ce qui ne peut surprendre dans un système sélectivement élitiste.
5- En ce début de XXIème siècle, justice et efficacité sont condamnées à marcher main dans la main ou à décroitre de concert. Les pays qui occupent les premiers rangs en matière d’efficacité sont ceux qui limitent le plus les inégalités.
Que faut-il en déduire pour le système éducatif français ? Un ordre de priorités en haut duquel se situent le sort de l’école obligatoire et la définition du tronc commun. Ceci sans passer sous silence les problèmes persistants et ce à tous les étages :
- en haut, la dichotomie entre Grandes Ecoles et Universités. Obstacle corporatiste à une vraie recherche fondamentale. Or seule la recherche peut sortir de l’impasse un pays aussi riche en capital économique et culturel que la France;
- au milieu et « en bas », les orientations dans l’enseignement technique sont en contradiction avec les sanctions économiques. Ce sont les formations industrielles qui permettent d’entrer dans une véritable carrière professionnelle. Les formations « tertiaires » obligent en revanche les jeunes à inventer des itinéraires sans rapport avec leur formation de départ. Or ces formations sont aujourd’hui en France les plus nombreuses.
On pourrait pointer bien d’autres problèmes encore. Mais ce que montre PISA, c’est que la France n’a pas su se doter d’un véritable tronc commun assurant une formation élevée au plus "mauvais" élève sortant du plus "mauvais" de nos collèges. Elle s’accommode d’un modèle produisant des bataillons d’élèves en échec et d’une élite trop rare quand les transformations de l’économie exigent des élites plus nombreuses et des qualifications plus élevées pour l’ENSEMBLE de la population.
En clair, l’école française est numéro 1 dans le monde pour 20% de ses élèves et l’une des plus mauvaises pour 80%. On tutoie la Finlande et la Corée du sud pour les meilleurs. On voisine avec la Turquie et le Mexique, dans les profondeurs des classements, pour les plus "mauvais".
C’est en s’attaquant à la définition du tronc commun et à l’ambition de l’école obligatoire qu’on mettra fin au gâchis de « capital humain » qui caractérise notre système éducatif. Gâchis alimenté par l’élitisme dynastique mais aussi par le sexisme : gagnantes au premier étage, les filles se placent très mal au troisième. Dans le palier médian, elles sont, beaucoup plus que les garçons, victimes des orientations tertiaires.
Autant de débats passionnants et passionnés qu'hélas la politique actuelle du gouvernement en matière d'éducation risque fort de ramener aux années 1970 quand il faudrait urgemment nous projeter vers un futur à assurer pour nos élèves.
Christophe Chartreux