Emmanuel Macron a récemment tenu les propos suivants, au sujet de l'immigration.
Il faudrait d'après lui:
- "préparer notre pays aux défis contemporains qui font peur";
- "armer" la France pour l'aider à contrer les conséquences des immigrations présentes et à venir;
- se défier - conseil donné à ses ministres - des "bons sentiments".
Et le Président de la République de placer sur le même plan:
lutte contre la délinquance, agressions, cambriolages et immigration illégale.
Le vocabulaire guerrier ("armer la France") et la mise en lumière très fréquente de la "peur" que susciteraient les défis - migratoires - à venir sont particulièrement signifiants d'une vision macronienne de la France face à ces défis. Politicienne également sans aucun doute.
Mais arrêtons-nous plus particulièrement sur les "bons sentiments" dont il conviendrait de se défier.
De quels "bons sentiments" parlait le Chef de l'Etat? S'il s'agit de ceux animant les membres des associations venant en aide aux migrants risquant leur vie en Méditerranée - et la perdant souvent: 34 361 mots ces quinze dernières années - alors il est difficile de suivre la pensée d'Emmanuel Macron. Doit-on détourner le regard et laisser se noyer ces malheureux africains fuyant guerres, famines, maladies, misère et autres tragédies qu'aucun ministre ne connaîtra heureusement jamais? Il semble bien que ce soit là le conseil subliminal contenu dans les propos du chef de l'Etat. Ce qui est proprement scandaleux.
https://www.courrierinternational.com/une/il-manifesto-publie-les-noms-des-34-361-migrants-morts-en-mediterranee
Emmanuel Macron, lecteur pourtant de Paul Ricoeur, est donc fâché avec les "bons sentiments". Souvenons-nous de ce jeune demandeur d'emploi auquel le Président conseilla de traverser la rue pour trouver un emploi. Pas de pitié, pas de compassion. "Je traverse et la rue et je vous en trouve, moi, du travail". Depuis, ce jeune homme traverse, non pas la rue, mais la France pour des emplois de saisonnier précaire. De l'autre coté de la rue, il n'a jamais trouvé le moindre travail stable.
Récemment encore, une association - dirigée par un proche d'Emmanuel Macron - a eu une idée: ouvrir ou réouvrir 1000 cafés pour créer ou recréer de la convivialité dans 1000 communes de moins de 3500 habitants. Pourquoi pas? Mais ces "bons sentiments", très macroniens ceux-là, renvoient au "rural" l'image d'un individu capable de se socialiser uniquement par le biais de débits de boissons. Il ne lui est pas proposé, en revanche, l'ouverture d'écoles ni de bibliothèques, ni d'autres activités à caractère culturel. Les associer à l'idée des "1000 bistrots" aurait pourtant complété les "bons sentiments" générés par l'idée de création de cafés et n'aurait pas enfermé l'habitant des campagnes dans une caricature encore trop souvent véhiculée.
Etrange Président que celui qui nous gouverne. Politicien, tacticien mais sans une once d'humanité.
Alors, conseillons-lui de relire Paul Ricoeur, son 'philosophe de chevet". Et de le lire plus attentivement qu'il ne le fit.
Ricoeur, qui désigna les migrants comme ces "invisibles sociaux", rappelant à très juste titre que nous avons oublié ceci:
avoir été "étrangers nous-mêmes". (1)
S'en souvenir plus souvent... Un "bon sentiment" n'est-ce pas?
Christophe Chartreux
(1) Paul Ricœur, « Étranger, moi-même », in : Semaines Sociales de France, L’immigration, Bayard Éditions, Centurion, Paris, 1998, pp. 93-106