J'ai annoncé - c'était il y a quelques années ; 2006 ou 2007 - à une de mes classes de troisième que nous allions bientôt entamer toute une séquence fondée sur des textes poétiques. Tollé immédiat !
«Vous allez nous parler de quatrains et d'alexandrins ? L'horreur ! »
Pourquoi diable les dégoûte-t-on à ce point en les bombardant de techniques ? Pour les rassurer, je leur ai lu ceci :
Un hémisphère dans une chevelure
Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.
Charles Baudelaire, Petits Poèmes en Proses
«La vache, c'est beau ! Il était drôlement amoureux ! C' est de la poésie ça ?», demanda, circonspecte, Stéphanie.
Oui Stéphanie, c'est de la poésie. C'est même toute absence d'utilisation de techniques, du moins en apparence, qui fait que ce texte n'est que poésie.
Nous en reparlerons...
Christophe Chartreux