Quelles compétences pour le monde de demain / quelles incidences sur la pédagogie (notation, travail collaboratif, promotion de la créativité etc...)
C'est là une question difficile, "casse-gueule". Car même les plus grands chercheurs "prospectivistes" peinent à dessiner les contours de ce que pourraient être les métiers de demain. Et quand je dis demain, c'est à horizon 30/50 ans. C'est à dire les générations qui nous succèderont immédiatement.
Autre écueil à cette question: "... pour le monde de demain". Certes, mais encore faudrait-il savoir quel monde nous voulons. Et puis, voulons-nous toutes et tous le même monde? Je ne crois pas. Donc il faudrait d'abord s'accorder sur ce "monde de demain" dont dépendront alors les compétences à développer avec leurs incidences sur les pédagogies.
Je fais le choix - mais il est personnel - de me placer dans la perspective suivante:
un monde où le numérique prendra de plus en plus de place - c'est incontournable sauf catastrophe industrielle mondiale - mais un monde dans lequel l'humain, les idées, la raison, l'éducation, le soin (bienveillance/prévention/soin/guérison), la consommation raisonné et l'écologie sauront trouver les moyens de mettre le numérique - et toutes les découvertes dont nous n'avons même pas encore connaissance à ce jour - à leur service. Et non l'inverse.
Alors quelles compétences/connaissances (ce n'est pas la même chose) dans la perspective de ce monde-là ?
La maîtrise de ce que l'on appelle un peu paresseusement les "fondamentaux" - lire/écrire/compter - restera une base éternelle. Sauf découverte extraordinaire permettant de transférer ces compétences de l' acquis à l'inné.
Mais d'autres compétences seront à acquérir dès le plus jeune âge et à développer tout au long de la scolarité. J'en dresse une liste TRES personnelle:
- le travail collaboratif;
- la compréhension - pas forcément l'apprentissage - du "codage" informatique;
- le regard sur les autres: les étrangers/les malades/les sans-abri... Toutes celles et ceux en danger quelconque. Le soin (le "care"), l'empathie, le partage. C'est une "compétence" perdue de vue, broyée par l'individualisme, le culte du succès rapide. Et pas n'importe quel succès: celui qui se construit sur l'échec des autres;
- l'ouverture sur LES autres mondes. Il est inconcevable que les enfants de demain entrent dans l'age adulte et celui du travail sans avoir jamais mis les pieds, pour un séjour dépassant trois mois, dans un ou des pays étrangers. Il y a le "Tour de France" des Compagnons du devoir. Il devrait exister un "Tour du monde" des enfants;
- l'apprentissage DES curiosités. La (ou les) curiosité(s) est innée. Tous les enfants sont curieux. Hélas, notre système éducatif - je ne parle ici que de la France - ralentit ces curiosités, voire les sanctionne. Qui n'a pas connu cet élève intéressé par un domaine particulier mais qui ne fait pas partie du "programme" ou n'est pas enseigné du tout? Avec cette curiosité développée se renforcera la créativité, une autre compétence souvent bridée et qui pourtant développe les relations avec les autres car on ne crée pas pour soi mais pour les autres. Parfois même AVEC les autres. Cette créativité qu'on associe souvent aux "4 C": pensée critique, communication, collaboration, créativité.
- Et puis - je ne sais s'il s'agit d'une compétence - le monde de demain sera celui DES apprentissages tout au long de la vie. Avec le plus important et le plus ancien qui soit: " Γνῶθι σεαυτόν/Gnoti seauton"... Connais-toi toi-même.
Quant aux pédagogies de demain, elles devront faire la part belle :
- aux construction de PROJETS en commun. C'est une manière de contrebalancer l'individualisme sensé contribuer de manière quasi "magique" au bonheur collectif. Ce qui est un leurre absolu, évidemment. Il faut construire du COMMUN! (Avec création de LIEUX permettant la construction de ce commun);
- à l'utilisation de TOUS les outils de travail: du stylo au Tableau interactif en passant par les possibilité offertes par le numérique;
- au travail collaboratif entre les enseignants (pour la France il s'agirait d'une révolution des esprits et des habitudes. Bon courage! )
- à l'externalisation des séances. J'entends par là: faire SORTIR élèves et enseignants de l'établissement scolaire pour aller travailler "in vivo";
- à des aller-retour avec les responsables d'éducation populaire qui ont beaucoup à transmettre. L'Ecole n'est pas et ne doit plus être la seule à permettre le développement et la compréhension d'un sujet.
- à l'aide à la reconnaissance de la vérité. Aujourd'hui, l'enfant/élève est très souvent bien plus dans l’attractivité. Les théories du complot sont BEAUCOUP plus attractives que la vérité. Hélas!
- à la déconstruction d'acquis très ancrés. Exemple emprunté à Philippe Meirieu :
Qu'est ce qu'un sujet dans une phrase ? Réponse souvent exigée : celui qui fait l'action.
Oui mais à la voix passive? Ah, là il subit l'action.
Très bien. A la voix pronominale ? Eh bien il fait et subit l'action (Ca se complique)
Et là, une petite voix au fond de la classe:
"Et dans la phrase: "Pierre reçoit une gifle" ?
Grand silence...
En général, l'enseignant élude par une pirouette.
Tout cela pour illustrer la nécessité de la déconstruction de bien des acquis ancrés (les grammairiens agrégés d'Henri-IV vont lever les bras au ciel mais pourtant...)
A ce sujet (et d'autres), on peut lire "Apprendre à résister" d'Olivier Houdé.- à des pédagogies autres que celles auxquelles nous sommes habitués: un professeur de lettres serait bien avisé d'assister à des cours d'EPS ou à des entrainements collectifs d'enfants dans un club sportif. Il y a beaucoup à apprendre des disciplines qui ne sont pas celles dans lesquelles nous sommes confortablement enfermés/cloisonnés. (J'ai eu la chance d'entraîner à haut niveau des équipes de jeunes volleyeurs/euses. Ce me fut TRES utile pendant ma carrière de professeur de Français/Histoire-géo).
- à des pédagogies observées à l'étranger. Tout enseignant DEVRAIT dans son cursus de formation initiale ou continue effectuer un séjour d'au moins un mois dans un établissement à l'étranger. Le professeur français se croit TRES SOUVENT détenteur de la meilleure pédagogie du monde et faisant partie de la meilleure Ecole du monde. Or, ce n'est pas vrai.
Enfin la notation, sur laquelle je serai TRES bref :
Evaluation au "cas par cas" :
La note chiffrée peut être très utile pour certains travaux
L'évaluation par compétences peut l'être pour d'autres
L'évaluation par les pairs est un exercice intéressant lui aussi
La non évaluation s'impose parfois. On n'est pas obligé de tout évaluer toujours
Je ne suis pas un "ayatollah " de telle ou telle forme d'évaluation.
Christophe Chartreux