La France s'offre donc, en pleine trève de Noël, un débat déchirant sur un sujet hautement - et seulement? - symbolique:
la déchéance de nationalité envisagée pour les bi nationaux nés français. (La possibilité de déchéance existant déjà pour les bi nationaux nés "non français").
Tout cela faisant suite aux attentats du 13 novembre et inclus dans un ensemble plus vaste communément appelé "Etat d'urgence".
Une loi inutile et sans doute sans effets
Je l'ai dit et le redis: cette loi, si, elle est adoptée, ne sera d'aucune utilité directe, efficace, contre le terrorisme. D'autant moins contre ce terrorisme-là, qui a changé de "nature", les auteurs d'attentats venant commettre leurs crimes pour tuer ET pour mourir.
Cette proposition de loi a donc "valeur" de symbole et uniquement de symbole. Personne, y compris les initiateurs comme les défenseurs de cette proposition, n'imagine une seule seconde que ce texte empêchera un ou des kamikazes de se faire exploser au milieu d'une foule ou de déclencher des tirs de Kalachnikovs dans un lieu public. Dans un pays bouleversé, d'abord en janvier, puis en novembre, le symbole peut être rassurant. C'est, avec quelques calculs politiques à peine sous entendus, le seul objectif de ce futur texte.
De quoi parle-t-on exactement?
Les débats, les talk-show, les éditoriaux, les experts, bref tout ce que la France compte d'éminents spécialistes et observateurs nous abreuvent - c'est leur rôle et il faut écouter toutes les opinions - de commentaires. Chaque journal télévisé y va de son micro-trottoir dans le but de "faire réagir" les français. C'est, là encore, une excellente initiative, surtout lorsqu'il s'agit de donner à des concitoyens qu'on n'entend ni ne voit absolument jamais en "temps ordinaires" l'occasion d'exister et de se rappeler au bon souvenir des "oublieux" que nous sommes trop souvent.
Hélas ces débats et réactions "sur le vif" souffrent d'un déficit de clarté, de précision et les questions comme les réponses n'offrent que rarement l'occasion de se faire une idée claire du sujet.
Mais quel est donc ce sujet?
Une proposition de loi permettant la déchance de nationalité pour les bi nationaux nés français ayant commis des crimes de masses dans le cadre d'une activité terroriste, tout cela dans un pays déclaré en état d'urgence après un vote au Parlement, état d'urgence voté à une écrasante majorité. Cette déchéance ne pouvant être prononcée par des juges qu'au terme de la peine effectuée par l'individu, c'est à dire 25 ou 30 ans après les faits pour lesquels il aura été condamné, toujours par des juges et aux assises. A condition bien évidemment d'avoir pu capturer vivante la personne impliquée. (Rien à voir, il faut quand même le signaler, avec ce que propose le FN dans son "programme").
Ces seules précisions démontrent bien que cette loi, si elle était votée, serait d'une inutilité opérationnelle totale. Mais est-ce le but de cette loi d'avoir cette utilité-là?
Rappelons aussi, c'est nécessaire, de quel état d'urgence nous parlons, dans le cadre du projet de réforme constitutionnelle que j'engage chacune et chacun à lire avec grande attention:
- l'article 1, qui ne porte que sur l'état d'urgence, suit un avis du Conseil d'Etat affirmant que ce régime peut être constitutionnalisé, faisant passer un régime d'exception, plus ou moins régularisé et ouvrant la porte à toutes les dérives excessives imaginables, jamais très en phase avec une démocratie, à un texte encadré dans et par la Constitution. En clair, le Conseil d'Etat souhaite mettre un terme à un régime dérogatoire en encadrant strictement les conditions de mise en route de l'état d'urgence.
- l'article 2 est celui proposant la déchéance étendue aux bi nationaux nés français (cette possibilité existant déjà pour les bi nationanux nés "non français", créant de fait une rupture d'égalité entre français; mais n'alourdissons pas le dossier déjà lourd), proposition inscrite elle aussi dans le projet de réforme constitutionnelle. Cette déchéance, dit l'article, "ne sera possible qu'en cas de crime (les délits ne sont pas concernés) terroriste après décision de justice exécutoire". Et, Manuel Valls l'a rappelé, au terme de l'éxécution de la peine prononcée.
Cet article 2 suit, lui aussi, l'avis demandé au Conseil d'Etat.
D'autres mesures sont proposées. Je n'en citerai que quelques unes:
- extension des protections accordées aux témoins;
- peines alourdies pour les trafiquants d'armes;
- diverses mesures concernant les perquisitions, écoutes, captations informatiques désormais plus "judiciarisées" car contrôlées par les juges de la liberté et de la détention;
Le gouvernement a également refusé la proposition de Laurent Wauquiez sur l' "internement des fichés S".
Et maintenant?
Les débats vont se poursuivre. Quelques semaines, quelques mois. Le plus grand danger n'est pas le contenu de cette loi (à condition d'en parler sur les bases réelles qui la soutiennent).
Le plus grand danger est de voir bien d'autres sujets beaucoup plus importants que celui-là, qui ne concernera qu'une microscopique quantité d'individus, peut-être même aucun, disparaitre sous le flots des commentaires n'intéressant que modérément les français plus préoccupés par l'emploi, l'avenir de leurs enfants ou leur pouvoir d'achat.
Prenons garde à ne pas dissimuler au peuple, derrière tel ou tel rideau de fumée, les préoccupations qui sont les siennes. Il pourrait se réveiller fâché.
Parlons d'état d'urgence, de déchéance... Avec rigueur et précision...
Sans oublier, JAMAIS, "les essentiels"...
Christophe Chartreux