"Devoirs faits" ou la poursuite de l'imposture
Le vademecum « Tout savoir sur devoirs faits »
"Devoirs faits", dispositif décidé par le Ministre de l'Education Nationale avec pour objectif de - je cite Eduscol - permettre "à des élèves volontaires de bénéficier, au sein de leur collège, d'une aide appropriée pour effectuer le travail qui est attendu d'eux", se met plus ou moins bien en place dans les établissements. Ceux-ci ont obligation de proposer ce dispositif pour les élèves volontaires.
Disons-le tout net: "Devoirs faits" reste arc-bouté sur une fausse certitude:
celle d'une séparation nécessaire, obligatoire par "tradition", entre le travail en classe et le travail "à côté" (à la maison ou ailleurs mais pas en classe). Un travail scolaire délégué, externalisé.
C'est une imposture.
Une imposture très ancienne qui permet à l'institution, et le ministère actuel est un "modèle" du genre en la matière:
- de plaire à certains parents enfin débarrassés du calvaire de 18/20h. Qui plus est rassurés de savoir leurs enfants occupés à faire leurs devoirs dont ils - mamans et papas- sont très friands et demandeurs;
- de transférer des taches pédagogiques - et si le mot écorche quelques oreilles sensibles, des taches "enseignantes" - à des professeurs en retraite ou en activité et volontaires, mais aussi à des étudiants ou à des infirmières scolaires, auxquelles il est demandé d'aider l'élève à être autonome.
Je cite une fois encore Eduscol
"C'est également un moment privilégié pour l'apprentissage de l'autonomie : il s'agit pour l'élève de questionner les démarches proposées, d'interroger ses propres méthodes, de mettre à l'essai ce qu'il a compris, de réinvestir les apprentissages tout en bénéficiant, au besoin, de l'accompagnement de professionnels aptes à lui apporter toute l'aide nécessaire.
En cela, la mesure Devoirs faits contribue à la réduction des inégalités d'accès au savoir".
Sauf que l'autonomie, ce n'est pas se contenter d' accompagner "au besoin" l'élève dans le "faire ses devoirs" ou dans le "apprendre une leçon".
L'autonomie:
- c’est enseigner la même chose que ce qui a été fait en classe mais autrement ou par quelqu’un d’autre à condition que ce "quelqu'un d'autre" soit enseignant. C'est un "renforcement", une "appropriation";
- c’est préparer, réunir les conditions de la compréhension de la future séance collective : c’est une différenciation en amont de la séance à venir.
- c'est pratiquer "seul", sous l'autorité bienveillante et exigeante du professeur. Du professeur!
- ce n'est en aucun cas faire de l' "autonomie" un isolement rompu de temps à autre lorsque l'élève en fait la demande auprès d'un adulte sans lien aucun avec la séance passée ni à venir.
Voilà, au passage, qui aurait pu faire l'objet d'une réflexion, voire d'une réforme:
donner du temps aux enseignants pour travailler devoirs et leçons avec leurs élèves, ENSEMBLE. Mieux encore: donner des professeurs au temps... Les créations de postes n'étant plus d'actualité, les élèves attendront des jours meilleurs.
C'était pourtant l'objectif de l' "Accompagnement Personnalisé" (entre autres) mis en place par les ministres du quinquennat précédent. "Accompagnement" qui risque de souffrir d'un Nième dispositif ayant été, faut-il le rappeler, déjà imaginé et appliqué en 2007 avec les "devoirs surveillés" destinés à celles et ceux que Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos appelaient les "orphelins de 16h". (Voir ce qu'en disait Claude Lelievre en 2010 via le lien de bas de page).
Toujours est-il que "Devoirs faits", dont j'invite chacun à consulter le "vademecum" proposé en lien ci-dessus, risque fort
- de souffrir d'une mise en place hâtive, sans l'ombre d'un début de concertation;
- d'une impression (certitude?) de "déjà vu et déjà fait" patente;
- de ne pas atteindre ses objectifs par le fait de confier des élèves à des personnels non enseignants, laissant penser que tout un chacun peut encadrer des élèves de la 6e à la 3e.
Ce qui est faux. Ce qui est dangereux. La réalisation d'un "devoir" et l'apprentissage d'une "leçon" sont des procédures et des pratiques ENSEIGNANTES.
Certainement pas une surveillance rapprochée confiée à des étudiants ou à des infirmières scolaires, puisqu'elles seront autorisées à le faire , aussi dévoués et doués soient-ils.
Je souhaite la réussite de TOUT ce qui pourra venir en aide aux élèves en difficultés, de TOUT ce qui pourra réduire les inégalités.
A condition de mettre en œuvre les moyens, TOUS les moyens, nécessaires à la construction d'une Ecole démocratique et émancipatrice en repensant les actes d'apprentissage!
A condition de ne pas copier-coller des dispositifs anciens ayant tous fait la preuve de leur inefficacité absolue!
Christophe Chartreux
https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/260910/les-orphelins-de-16-heures-abandonnes-par-Sarkozy
http://eduscol.education.fr/cid118508/devoirs-faits.html