« Moi m'sieur je me réveille tous les matins à 5h15... »
Voici la réponse que m'a donnée, il y a quelques années, un élève de 5ème à la question de savoir à quelle heure se préparaient mes élèves le matin pour partir au collège... Sept autres entendaient la sonnerie à 6h30, onze à 6h45 et les cinq derniers, les chanceux, à 7h. Je laisserai de coté les horaires de retour dans ce collège rural de 400 gamin-e-s.
Il ne s'agit pas d'un sondage. Ce questionnaire et les réponses obtenues n'ont aucune valeur scientifique. Néanmoins cet élève n'est pas unique en France. Je le sais... Ils existent, doivent être performants de 8h à 16h, parfois 17. Encore heureux que leur semaine s'étale sur quatre jours et demi offrant la possibilité de terminer plus tôt ou de commencer, deux fois par semaine, à 9h. Ces deux fois-là, mon élève - nous l'appellerons Antoine - peut faire la grasse matinée jusqu'à 6h ! Le paradis !
Sans verser dans un pathos qui pourrait, à juste titre, m'être reproché, il serait irresponsable de nier ces réalités qui perdurent depuis des décennies dans les collèges. Sans parler de l'organisation des journées ! Celui qui n'a pas VECU un emploi du temps d'élève de classe de 4ème option "européenne" ne sait pas à quel "enfer" il a échappé.
Bien entendu, beaucoup d'élèves - et de parents de ces mêmes élèves - sont très satisfaits d'un tel système. Ces enfants réussissent ; les résultats sont excellents ; la fatigue est amortie par des notes oscillant entre 15 et 20. Tout va très bien dans le meilleur des mondes... Ils sont faits pour le système puisque le système a été construit pour eux.
Mais, tout en félicitant ces brillants enfants, il ne peut nous échapper que d'autres, beaucoup d'autres, accumulent fatigue ET résultats médiocres, voire catastrophiques. Souvent depuis le CP. Ceux-là glisseront doucement vers la sortie du système pour rejoindre les cohortes de décrocheurs ou d'abandonnés sans l'ombre d'un diplôme. Ils disparaissent... On ne les voit plus... Et tout continue d'aller très bien dans ce meilleur des mondes. Les invisibles ne dérangent pas. C'est toujours ça de gagné.
J'appelle depuis longtemps de mes vœux une révolution scolaire à la hauteur des enjeux. Celle-qui a commencé en primaire est, sans l'ombre d'un doute, encore timide, frileuse, prudente. Elle a le mérite incontestable d'avoir ouvert la réflexion. Oh, bien entendu, les revendications des uns ne rejoignent pas toujours les aspirations des autres. Des blocages, des siècles d'habitudes, un zeste de réflexes corporatistes (Mais si!...), un peu de mauvaise foi dans tous les camps, une information mal gérée et une désinformation rampante ont transformé les consensus en champ de bataille. Pourquoi pas ? Le champ de bataille est aussi celui du champ démocratique. Le débat, même vif, doit avoir lieu.
Cette "révolution copernicienne" du collège et DES lycées permettrait, entre autres révolutions, à des milliers d' "Antoine" de se réveiller plus tard, pour travailler dans des établissements plus accueillants. Elle devrait casser, au sens propre du terme, des grilles d'emplois du temps absurdes et - au risque de la polémique - s'il faut que l'enseignant que je suis doive rester plus longtemps sur son lieu de travail mais pour exercer de manière plus détendue et plus efficace pour chacun, alors je serai un "révolutionnaire"! Elle devrait réécrire tous les programmes, refonder tout l'édifice de l'orientation et engager une formation des enseignants en conformité avec les exigences du XXIème siècle.
Alors et alors seulement, les "Antoine" à venir ne me diront plus jamais : "Moi m'sieur je me réveille tous les matins à 5h15...".
Pour rentrer à 19h - circuit de car oblige - faire ses devoirs, apprendre ses leçons et "performer" toujours !
Christophe Chartreux