chris

Abonné·e de Mediapart

94 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 novembre 2015

chris

Abonné·e de Mediapart

Nous ne pouvons plus vivre comme avant!

Nous ne pouvons plus vivre comme avant!... Partout, après les tragédies de janvier puis de novembre, nous avons dit, nous avons crié: "Nous n'avons pas peur. Nous devons vivre comme avant!". Justement pas! Nous ne pouvons plus "vivre comme avant". Nous ne devons plus vivre comme avant!

chris

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous ne pouvons plus vivre comme avant!...

Partout, après les tragédies de janvier puis de novembre, nous avons dit, nous avons crié: "Nous n'avons pas peur. Nous devons vivre comme avant!".

Justement pas!

Nous ne pouvons plus "vivre comme avant". Nous ne devons plus vivre comme avant!

Les tragédies de cette année nous ordonnent de mettre en oeuvre les processus de changement, de transformations, de métamorphoses permettant de revivifier une société - au sens très large - dont le corps est TRES malade.

Ayant vécu en banlieue, dans les années 1975-1980, vivant encore aujourd'hui accolé à une banlieue, ce "faux bourg" pas tout à fait au ban de la société (justement) mais pas si loin, ayant eu la chance inouïe, de ma naissance à l'âge de 16 ans, de vivre en Afrique du nord où le multiculturalisme est une expérience quotidienne et pas uniquement l'illustration permanente d'un propos politicien, je peux témoigner que cet entourage social fut ma plus belle "école". Il m'a construit parce qu'il était vivant et vécu, par des familles de toutes conditions, de toutes religions, sans religion aussi.

En 2015, la jeunesse que je côtoie, et qui vit à son tour la banlieue, ne se construit plus, malgré des réussites incontestables, hélas peu mises en lumière. Comme si ces quartiers n'existaient et n'étaient condamnés à exister que par l'échec, la violence, les provocations, le délitement socio-scolaire, l'injure à l'encontre des filles et l'inégalité vécue comme la norme contre laquelle aucune action ne pourra rien. Le fatalisme domine chez bien des familles modestes, qu'elles soient françaises ou "d'origines diverses" (A ce sujet, qu'on en finisse avec ces distinctions!). Combien de fois ai-je entedu et entends-je encore, de plus en plus fréquemment:

"Monsieur, franchement cette orientation que vous proposez à ma fille (mon fils), elle n'est pas faite pour elle (lui)." Tout cela parce que ces familles ont intégré le fait que d'autres, peu à peu, par mépris, par oubli ou délibérément par choix philosophique et politique, leur ont imposé et qui se résume par: "Restez à votre place!".

Ils sont pourtant toutes et tous des "enfants de la République" et même ces "enfants de la Patrie" qu'ils chantaient lors des rencontres de l'équipe de France de football, puis qu'ils se sont mis à moins chanter. Puis à taire jusqu'à dire pour quelques-uns: "Je ne suis pas Charlie". On leur a dit à l'école primaire, au collège, au lycée pour ceux qui sont allés jusque là, que la devise de la France était aussi pour eux. Liberté - Egalité - Fraternité... Au fil des années, on en a vu de plus en plus hausser les épaules. Ou plus exactement, on ne les a pas vus. Pire: on a refusé de les voir, de les entendre.

Tous ces "enfants de la République" ont alors commencé à écouter d'autres voix, d'autres mots. Les communautarismes ont remplacé doucement, subrepticement  le "vivre ensemble". Toutes les minorités sont devenues des cibles. Quant à la laïcité, elle ne parvenait plus à endiguer la vague qui, inexorablement, allait la submerger. Cette réalité est née il y a des années. Ceux qui ont averti n'ont pas été entendus par les autres préférant l'entre-soi des "ghettos": chacun chez soi et tout ira bien. Erreur funeste que le Front National a su exploiter en inventant la "laïcité d'exclusion" sans la nommer ainsi bien sûr. Mais écoutez Marine Le Pen et ses complices évoquer très souvent la laïcité. Elle est TOUJOURS une laïcité d'exclusion et d'accusation pointant un seul et même "coupable": le français musulman et le français qui ne serait pas "de souche".

Les banlieues sont devenues des communautés de vie au coeur desquelles, nantis ou malheureux, on ne se reconnait qu'à condition d'être identiques, de penser la même chose, de lire les mêmes livres, de parler la même langue, de porter les mêmes vêtements, de prier le même Dieu (l'absurdité étant dans ce cas qu'il s'agit bien du même), de fréquenter les mêmes écoles. Où les enfants imperturbablement reproduisent les mêmes schémas malgré les efforts extarordinaires des enseignants, transmetteurs des valeurs de la République.

Oui mais voilà: ces valeurs ne sont plus DU TOUT "distribuées" de la même manière pour tous. L'inégalité règne partout. Et en particulier à l'école qui, si elle ne fabrique pas les inégalités, les reproduit par la force d'une fatalité, on y revient, écrasante contre laquelle rien ne serait possible. Fatalité renforcée, surlignée par les stéréotypes du "d'jeun" constamment offerts au grand public qui, à force de matraquage, ne se représente le "jeune de banlieue" qu'en arabe musulman, capuche sur la tête, écouteurs sur les oreilles, analphabète, dealer, voleur, "glandeur" au bas de sa tour et dans les cages d'escaliers, violent avec les femmes, barbu intégriste potentiel et évidemment incapable de créer quoi que ce soit d'intelligent. Tout une communauté qui ne parle plus aux autres, à laquelle on ne parle plus mais dont on parle beaucoup et toujours en mal.

Si la Ville - au sens de l'institution- ni les banlieues n'acceptent de se mettre en question, alors nous continuerons de parler DE la Ville, DE la banlieue quand il conviendrait de parler A la ville, A la banlieue et bien évidemment aux incarnations de ces entités: les habitants, les citoyens. Ceux auxquels on rend visite quinze jours avant des élections. Puis qu'on oublie... Tous les citoyens, riches ou pauvres, devront faire leur mea culpa car si les autorités publiques sont critiquables, les citoyens le sont aussi. Etre "en galère" ne justifie aucune violence. Etre "nanti" n'autorise pas le permanent évitement du "vivre et faire ensemble".

Contre cette criminelle pensée unique, il est urgent de ne pas se contenter de rappeler, à l'école et ailleurs, les valeurs de la République. La pire expérience vécue par les enseignants, c'est celle-ci: à l'issue d'une leçon d'Education Civique où nous avons rappelé ces fameuses et incontournables valeurs, s'entendre dire après une heure de bons et loyaux services auprès d'élèves attentifs (si si!):

"M'sieur, l'égalité et la fraternité, mon grand-père, mon père et moi maintenant, on l'apprend. Et après on rentre chez nous, dans la cité. Vous voyez ce que je veux dire M'sieur? Je dis pas ça pour vous! Vraiment! Venez la voir l'égalité M'sieur! C'est l'égalité par le bas. Pour tous! Si c'est ça l'égalité, on va où là? Franchement faut arrêter le délire!"

Oui, il faut arrêter le délire... Sans en rabattre JAMAIS sur ces valeurs! Mais en allant vers les cités, dans les cités, avec les cités, les associations, les artistes, les chefs d'entreprises. Toutes les forces vives d'un pays qui n'en manque pas. Elles sont même souvent à l'intérieur des cités.

Alors oui il convient de "reconstruire une grande partie de la République. L’école, patiemment, les quartiers, patiemment". (M Valls)

Alors oui il convient d'engager des actions pour une mixité socio-scolaire nécessaire. (Najat Vallaud-Belkacem)

Tout cela et bien d'autres choses DOIVENT se faire pour que la République donne naissance à des enfants qui apprendront à vivre ensemble bien plus longtemps que le temps d'une leçon d'éducation civique, aussi nécessaire soit-elle!

Christophe Chartreux

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet