J'ai enseigné trente-six ans en collège rural. Bien placé pour observer les ravages provoqués par les pauvretés de toutes sortes, pauvretés alourdies par le fait qu'elles naissent et se développent en milieu rural :
- pauvreté financière
- pauvreté intellectuelle
- pauvreté des ambitions. (Comment être ambitieux quand il y a si peu à ambitionner)
- pauvreté des situations familiales (Mères isolées ; divorces difficiles)
- pauvreté des moyens de divertissements (A peine 10% des enfants du collège partent en vacances)... etc...
J’utiliserai le mot « pauvre » dans sa signification la plus large tout au long de ma réflexion... On parle souvent des difficultés des enfants des cités. Beaucoup moins souvent de celles des élèves en milieu rural. Elles sont certes d'un autre ordre mais mériteraient une attention plus soutenue. J'en reparlerai un jour...
Ce tableau très noir n'est évidemment pas le seul. Il existe un tableau blanc. Avec des élèves et des familles heureuses. Mais la croissance des « grandes misères » doit nous inquiéter. Leur gravité et leur durée également. Tout enseignant ne peut ignorer, lorsqu'il est dans sa classe, qu'il a face à lui des élèves évidemment, mais toutes et tous porteurs d'un vécu social, bagage léger pour certains, extraordinairement lourd pour d'autres. Aucun professeur ne peut ignorer cela sous peine de passer à coté d'une réalité qui vit pourtant chaque jour sous ses yeux et que les « enfants/pré-adolescents » ne cherchent même plus à cacher.
Sans verser dans la compassion, il est néanmoins criant d'évidence que lorsqu'on est pauvre, quelle que soit cette pauvreté qui n'est pas circonscrite à la misère financière (on peut être riche et « pauvre »...), l'effort demandé à l'élève pour s'élever est souvent surhumain. Contrairement à des idées reçues et véhiculées par confort ou par lâcheté, l’École est certes un havre de paix, de transmissions de savoirs et de savoir-faire, mais elle n'est pas, par je-ne-sais quel enchantement, dispensée des malheurs qui frappent celles et ceux dont nous partageons les journées.
Il nous faut donc repenser la pauvreté, repenser nos manières d'y répondre, cette pauvreté aux mille visages qui frappe des filles et des garçons auxquels on demande l'excellence sans se soucier parfois des obstacles invisibles, cachés, tus dans un lourd silence qui rendent l'objectif absolument inaccessible. Alors ils deviennent des « mauvais élèves ». Et s'ils étaient déjà en difficultés, c'est la double peine qui les attend au sortir des conseils de classe : pauvres chez eux et pauvres en classe, pauvres partout.
Pourtant - et je me pose souvent la question - le « mauvais élève » n'est-il pas tout simplement un bon élève laissé à lui-même, depuis la maternelle ? Les seules explications culturelles à la pauvreté sont très éloignées de la réalité. Très insuffisantes en tout cas. Si seulement on pouvait comprendre vite, très vite et très tôt, que beaucoup de « mauvais » élèves le seraient moins si l'institution les aidait, ainsi que leurs parents, à prendre les bonnes décisions, à faire les bons choix, à saisir les bonnes opportunités, à s'engager dans la bonne orientation.
Hélas, ces bonnes décisions, ces bons choix, ces bonnes opportunités, ces bonnes orientations semblent encore trop souvent réservés à ceux qui ont échappé - et heureusement pour eux ! - aux pauvretés accablantes, qu'elles soient sociales, morales, intellectuelles.
Ou toutes à la fois comme c'est le cas trop souvent en milieu rural.
Christophe Chartreux