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Billet de blog 2 avril 2015

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Etrangers

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors d’un voyage intérieur dans le chaos d’une dépression où les plus proches de mes proches m’étaient devenus étrangers, pour me soustraire peut-être à leur regard pourtant bienveillant, j’ai entrepris un autre voyage dans l’espace et le temps. Six mois à Mayotte à l’époque où s’exhibait encore le ponton de Ngouja.

Curieuse alchimie où d’évidence l’immersion dans un monde étranger s’impose comme la seule thérapie. Hérésie conceptuelle de l’insécurité bienfaitrice. A ma connaissance nos mandarins n’ont encore jamais prescrit une cure de xénophilie remboursée par la sécu. Pourtant une telle pratique organisée au niveau mondial aurait quelque chance de préserver l’espèce humaine en danger, supplantée dans l’histoire de la vie par les limaces et les oursins.

Tapi au cœur du village, dans le sud profond, la sérénité, très vite est revenue. Je n’avais ni l’envie ni les moyens d’un séjour de luxe à Sakouli. Il fallait faire face. Les états d’âme alors s’effacent devant les contingences. Dans l’acception commune nous sommes étrangers, les mahorais et moi le mzungu. Et nous le resterons. Quand les mamas se rassemblent sur la place du village autour de leurs chaudrons pour préparer un repas de fête, je n’imagine ni qu’elles y renoncent un jour ni que cette pratique vienne encombrer la place de la Concorde. Etrangers culturels donc. Mais combien d’autres à relever comme partout ailleurs dans le microcosme qu’est Mayotte.

Etrangers économiques entre une population qui vaille que vaille arrive encore à s’en sortir (mais qui se paupérise selon un récent article de mdp) et le plus grand ghetto de France à Kawéni où la misère rassemblée sur les hauteurs côtoie la plus grande zone artisanale et commerciale de l’île. On retrouve ce cloisonnement en métropole par exemple dans l’entre-soi des classes les plus fortunées. L’économie de luxe se porte bien, merci.

Anciens frères de la communauté comorienne, les mahorais sont séparés, au sens de l’exclusion, des anjouanais qui tentent de rejoindre Mayotte dans l’espoir d’un sort un peu moins pire. Souvent chavirés de leurs kwassas, ils viennent peupler le cimetière marin que constituent les 70 km séparant les deux îles.

Etrangers nationaux avec bien évidemment le grand débat sur l’identité nationale qui m’avait  plongé en son temps dans une perplexité sans fond. Il s’agissait si j’ai tout compris de définir ce que nous français avons en commun et que les autres n’ont pas sinon ce ne serait pas national.

Sur les valeurs et le patrimoine. Pas le patrimoine économique ou financier, non, là on n’a rien en commun. Le patrimoine artistique, culturel, sportif, scientifique... ça c’est facile, encore que.

On a la tour Eiffel , Zidane, Mireille Mathieu, le camembert…

Oui mais on a aussi l’état de nos prisons, les banlieues ghettos…

On ne va pas étaler nos laideurs. Allez, on zappe le deuxième groupe.

Les valeurs. Pour la plupart d’entre nous, c’est un terme à connotation positive qui nous met « en valeur », la modestie par exemple. D’aucuns à l’esprit mal tourné élargissent le champ d’application. Il existerait des valeurs négatives nous caractérisant, nous français. Je ne veux pas les énumérer ici, le courage n’étant pas chez moi une valeur essentielle. De toute façon on ne va pas le crier sur les toits. Allez, on zappe les valeurs négatives.

Finalement on ne va garder que la moitié de notre identité nationale. Tout le monde est content. Tout le monde ? Non. Comme si on était tout le monde. Les espagnols aussi, piqués au vif, vont définir leur identité nationale, les guatémaltèques, les…Il faudra des arbitres pour dénoncer les abus, un comité mondial des identités nationales. On atteint là les sommets de l’absurde inscrit dès le départ par ses concepteurs dans ce projet grotesque.

Durant les années trente et les suivantes certains ont aussi, sous un autre nom ont exacerbé leur identité nationale.

La conclusion en revient à Brassens bien sûr :

Elle est à toi cette chanson

toi l’étranger qui sans façon

d’un air malheureux m’a souri

lorsque les gendarmes m’ont pris.

Toi qui n’as pas applaudi quand

les croquantes et les croquants

tous les gens bien intentionnés

riaient de me voir emmener.

Ce n’était rien qu’un peu de miel

mais il m’avait chauffé le corps

et dans mon âme il brûle encore

à la manière d’un grand soleil.

Toi l’étranger quand tu mourras

quand le croque-mort t’emportera

qu’il te conduise à travers ciel

au père éternel.

Et pour célébrer ces passantes qui nous seront à jamais étrangères :

Alors aux soirs de lassitude

tout en peuplant sa solitude

des fantômes du souvenir

on pleure les lèvres absentes

de toutes ces belles passantes

que l’on n’a pas su retenir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.