Rien
Aujourd'hui j'ai décidé d'écrire pour ne rien dire. Rien de plus facile. Déjà deux « rien », non trois et je viens à peine de commencer. Pas mal non ? D'autant que « rien » s'adapte bien à mon propos. Il est complètement vide et pourtant on a beau gratter, fouiller, creuser, s'échiner sur son sens profond… on le trouve partout, omniprésent.
Je vais tenter de dresser un petit catalogue de situations où l'expression ne s'adresse pas à la raison ni d'ailleurs à autre chose.
Imaginons une personne s'efforçant de ne rien dire mais qui n'y parvient pas. Une information est émise qui va nous titiller le cerveau, nous réveiller, nous sortir d'une apathie confortable. Au mieux il faudra la ranger en bonne place dans notre disque dur mémoriel. Au pire il faudra répondre voire argumenter. La corvée. Ceux qui réussissent sont des bienfaiteurs. Ne les blâmons pas, ils nous laissent dormir pépères.
On peut ne rien exprimer en écrivant, en parlant ou en chantant. Un exemple me vient aussitôt à l'esprit. Un certain J.H dont on a beaucoup parlé a commis cette œuvre dont je vous livre l'essentiel des paroles : « que je t'aime, que je t'aime, que je t'aime, que je t'aime ... ». Le premier « que je t'aime » nous donne des informations d'une richesse très relative. Il s'agit sans doute d'un homme (puisque c'est un chanteur) qui éprouve un sentiment envers … qui ? Nous ne le saurons pas. Une femme, un homme, un steak tartare, un kangourou, autre ? C'est un peu frustrant. Il le (la) tutoie ce qui laisse supposer qu'ils se connaissent déjà un peu. Et puis que vient faire le « que » en début d'expression ? Sans doute un « que » exclamatif mais en chantant on ne peut que le deviner. Ah que oui ! Passons maintenant aux autres « que je t'aime ». Ils sont à mon avis superflus et donc dénués de sens puisqu'on avait déjà compris au premier « que je t'aime ». Un bon point donc à l'auteur malgré le premier « que je t'aime » pourvu tout de même d'un peu de sens. Il aurait fallu le remplacer par « agre labu nvot k » par exemple et les suivants aussi mais cet artifice est peu utilisé car inélégant. Que penser en effet de la phrase « neco b parw adifonecal qzo gaemu ort sslei k » ? Ce n'est qu'un résumé qui n'éclaire pas beaucoup le sens caché du texte initial. Bravo donc mais c'est à la portée de n'importe qui. L'art de ne rien dire n'en est pas très enrichi.
Non, il faudrait plutôt chercher du côté des virtuoses de la parole, vous l'avez deviné, les hommes politiques. Ils ont tant rodé leurs discours émaillés des éléments de langage placés aux bons endroits, depuis des années, que le pékin lamda s'il n'est pas sourd en connaît la musique comme on fredonne une ritournelle acquise depuis l'enfance. Bref le locuteur tribunitien n'apprend plus rien à personne. Félicitations !
Vous avez sans doute remarqué que certains vocables ou expressions sont un temps utilisés par ceux qui se veulent « au top » du discours branché. Ils ont une durée de vie variable mais finissent tous par tomber dans l'oubli. Je vous en livre trois. « juste » comme dans « j'ai juste envie de pisser » pour signifier par là qu'il s'agit d'une préoccupation urgente. Ensuite « résilience » ou capacité à résister aux chocs traumatiques et retrouver un état d'équilibre antérieur (Petit Robert). Actuellement c'est « etc, etc ». Il en faut toujours deux pour que ça marche. Vous avez compris que ça rentre pile poil dans la catégorie des trucs qui ne veulent rien dire. Mais celui là mérite une mention spéciale car il est particulièrement vicieux et m'énerve beaucoup. Il est toujours précédé d'un mot ou deux maxi faisant office de modèle dont on doit s'inspirer pour compléter la suite. Plus elle est longue plus la démonstration sera forte et l'argumentation solide. Exemple: bla bla bla pomme etc, etc ». Là c'est facile mais si je vous fait « bla bla bla yawl etc ,etc » c'est un peu plus coton. Tous les niveaux de difficulté sont autorisés. Le grand art du locuteur est de reporter sur l'auditeur la responsabilité de donner du sens où lui n'en donne pas. Bravo l'artiste !
Si vous n'avez rien retenu de mon petit billet alors j'en suis très flatté. Zut ! Oubliez vite cette dernière phrase … et aussi celle d'avant. Je ne vais pas m'en sortir, tant pis !