Nous attendions tous impatiemment septembre. Le budget absolument scandaleux de François Bayrou cristallisait toute la colère du pays et nous espérions tellement que cette colère prenne enfin forme dans un mouvement qui, cette fois c’est sûr c’est la bonne, serait victorieux.
Parce qu’on en a marre de la défaite. Marre de perdre des acquis sociaux. Marre des fins de mois à compter le moindre centime. Marre de voir nos services publics se faire démanteler au profit d’une classe bourgeoise qui pille le pays sans le moindre scrupule avec une avidité exponentielle.
Seulement à peine le mouvement lancé, la perspective de l’échec et de ses coupables étaient avancée.
Déjà on voyait fleurir depuis les gilets jaunes un discours anti-syndical latent, notamment sur les réseaux sociaux des gilets jaunes où les syndicalistes sont dépeints en traîtres, en inutiles, en fainéants voulant juste se la couler douce dans des postes protégés. Il faut dire que la confusion politique au sein du mouvement et les discours en partie ancrés à l’extrême-droite avait amené à une grande réticence de la part des syndicats, y compris les plus revendicatifs comme la CGT.
Une fois le mouvement lancé, l’extrême-droite s’était vite ouvertement désolidarisée du mouvement, préférant les vitrines, les abribus, l’ordre et la sécurité à une foule de citoyens mécontents demandant simplement une vie plus digne et une société plus juste. En parallèle, de nombreux syndicalistes avaient pendant cette période rejoint les manifestations et aidés à clarifier les positions et les revendications. Seulement la rancœur était toujours là.
S’en est suivie la réforme des retraites de 2023. Malgré des mobilisations massives avec des millions de manifestants à chaque mobilisation avec en point d’orgue le 7 mars et ses 3,5 millions de personnes dans la rue, le pouvoir en place est passé en force avec le fameux article 49.3, et la réforme a tout de même été adoptée.
Le coupable de cet échec du mouvement social fut immédiatement désigné par certain.e.s camarades : l’intersyndicale et sa stratégie de grève perlée qui aurait tué la dynamique de mobilisation.
Suite aux annonces de Bayrou, est arrivée la date du 10 septembre, avec une origine un peu obscure, mais dont les membres actifs sur Telegram, dont énormément de jeunes et de nouveaux arrivants dans les mouvements sociaux, semblaient être majoritairement politisés à gauche, et assez bien politisés.
Il n’y avait pas cette confusion qu’on voyait pendant les Gilets Jaunes et les discours d’extrême-droite se faisaient rapidement recadrer et les trolls dégagés. Et malgré une volonté de s’afficher sans étiquette, les discours anti-syndicaux étaient relativement peu nombreux. Avec un mot d’ordre « bloquons tout », il y avait là l’espoir d’une vrai convergence entre un mouvement citoyen et les syndicats. Un cocktail explosif qui, cette fois c’est sûr, serait inarrêtable. Et ça a fait bouger les lignes.
La CGT et Solidaires ont appelé officiellement à rejoindre le mouvement du 10. Les syndicalistes étaient nombreux dans les différentes AG citoyennes, sans pour autant prendre la main sur le mouvement pour respecter la volonté des organisateurs. De ces AG, dont l’organisation et la tenue des débats étaient parfois chaotique, en est tout de même sortie des actions et des collectifs motivés. Tout était là pour que la mayonnaise prenne. L’intersyndicale, dont le calendrier social ne devait débuter qu’en octobre, a face à cette perspective du 10 été obligée de remettre à travailler avant la date prévue. Et dès la date du 18 septembre annoncée, les critiques sont reparties de plus belles, reprenant celles de la stratégie de grève perlées de 2023. Beaucoup de camarades voulaient une date plus proche du 10.
Le 10, malgré la démission de Bayrou qui aurait dû galvaniser les troupes, c’est un peu la douche froide. Malgré de belles mobilisations et de belles actions, le nombre n’y est pas, l’objectif de blocage massif n’est pas rempli et les critiques de l’appel de l’intersyndicale au 18 septembre reprennent de plus belle. Cela aurait tué l’élan du 10 septembre dans l’objectif de reprendre la main sur le mouvement social.
La journée du 18 septembre voit plus d’un million de personnes battre le pavé et la pression monte d’un cran. Le 19, c’est l’ultimatum, s’attirant immédiatement les foudres des critiques. La position de l’intersyndicale est la suivante : qu’importe les changements de gouvernement, ce qu’il faut c’est un changement de politique qui est nécessaire et nous voulons des garanties de ce changement. Si sur le fond, la position peut s’entendre dans le sens où la technique de changer de gouvernement en changeant quelques ministres sans changer de politique est une tactique qui a permit à Macron de continuer sa politique de casse sociale, cette tentative apparaît peu crédible d’autant qu’elle ne s’accompagne pas d’une demande claire de démission de Macron ni d’aucune nouvelle journée d’action pour appuyer cette demande, la date de celle-ci faisant débat entre les différents syndicats. Et cela passe très mal. Une nouvelle fois, l’intersyndicale est accusée de casser la dynamique du mouvement social.
Une fois le scénario évacué d’un nouveau premier ministre qui aurait entendu les revendications et fait un changement de cap, une nouvelle journée de mobilisation est prévue le 02 octobre, qui verra une participation moindre avec près le 600 000 personnes dans les rues.
La démission de lecornu actera de fait la fin de la séquence, dans l’attente de la suite.
Remontons encore plus loin
Reprenons un grand mouvement social « victorieux » (la notion de « victoire » restant discutable quand il ne s’agit que de défendre des acquis).
Le mouvement contre le Contrat Première Embauche en 2006 a commencé avec une grève étudiante le 10 mars. S’en est suivie une journée de manifestation avec une intersyndicale complète le 14 mars qui rassemblera 500 à 800 000 personnes. 18 mars, 1,5 million de manifestants. Ensuite on passe au 28 mars pour une grève interprofessionnelle qui rassemblera environ 3 millions de personnes. Pour finir le 6 avril, 2 millions de manifestants sonneront le glas de la réforme. On est loin d’une grève générale illimitée a fait reculer le gouvernement.
En comparaison, le mouvement contre la Loi Travail s’est lui soldé par un échec malgré l’implication massive de la jeunesse et de l’émergence de Nuit Debout et la multiplication d’action de blocage un peu partout en France, avec des syndicats divisés.
Alors qu’est-ce qui a changé ?
Des réformes structurantes dans les secteurs clés pour casser les mouvements sociaux
Les chiffres de la Dares, qui publie un indicateur permettant de comptabiliser les grévistes, sont relativement clairs : il y a un effondrement constant du nombre de grévistes en France, depuis les années 80 qui s'est amplifié considérablement depuis les années 2000.
Les privatisations, les délocalisations, le recours aux contractuels dans la fonction publique, la fin du statut de fonctionnaire, le service minimum, le recours à un management néolibéral, etc. sont autant de mesures qui ont permis de briser les collectifs dans des secteurs clés : La Poste, RAPT, EDF, SNCF, l’éducation, etc.
Les grandes cohortes de travailleurs et travailleuses qui étaient les fers de lances des mouvements sociaux se retrouvent aujourd’hui avec des taux de grévistes se rapprochant peu à peu du privé qui, on le sait, à plus de mal à se mobiliser à cause de la peur du patron.
Car la bourgeoisie apprend de ces erreurs. Et si la grève de 1995 qui a paralysée la France a été pour elle une claque et les manifestations anti-mondialisation dans les années qui ont suivi un sévère avertissement, elle en a très vite tiré des leçon et un plan d’action qui se retrouve aujourd’hui très efficace.
Une répression croissante
La militarisation des forces de police, qui tient sa source dans le discours sécuritaire raciste ayant percé au début des années 1990 qui consiste à stigmatiser les populations racisées pour faire accepter du matériel de guerre pour les forces de l’ordre, conduit ensuite à des tragédies déjà pour les populations racisées qui en sont les premières victimes, et pour les manifestants qui se retrouvent par la suite avec les mêmes armes en face d'eux en manif. Les mutilations, l’utilisation des nasses, la division des cortèges pour provoquer des violences sont autant de moyens de semer la peur. Autrefois vous alliez en famille manifestation, aujourd’hui emmener un enfant l’expose à des risques.
La répression syndicale et judiciaire s’est également largement amplifiée. Lors de manifestations de 2023 contre la réforme des retraites, ce sont plus de 1000 militants de la CGT qui se retrouveront ensuite avec des procédures judicaires. Encore le 10 juillet dernier, cinq syndicalistes de Sud PTT 92 se sont vu prononcés de très lourdes peines pour une action syndicale datant de 2014.
Des services communications de la bourgeoisie à la place du journalisme
L'état catastrophique des médias, hors médias indépendants, joue également beaucoup dans la perception générale des mouvements sociaux. Les journaux télé ne parlent plus que violences et les revendications n'y sont jamais évoquées. En pleine grève, on interview des gens qui sont empêchés par ces méchants manifestants d'aller au travail mais on ne donnera pas la parole à celles et ceux qui se mobilisent pour savoir pourquoi. Il y le bon et le mauvais français. Celui va bosser et celui qui bloque, qui casse, qui "bordélise" la France.
Et tout cas n'est pas sans conséquences quand, en parallèle, nombres "d'experts" et d'éditorialistes se succèdent sur les plateaux pour venir nous dire qu'on a pas vraiment le choix, qu'on est quand même bien mieux lotis qu'ailleurs, que de toute façon les caisses sont vides et qu'il faut bien trouver de l'argent et qu'on ne vas pas le demander au patronnat et aux riches parce qu'ils pourraient se vexer et partir, etc.
Ce dialogue à sens unique incessant entre les citoyens et ce qui est censé être le "4ème pouvoir" est catastrophique dans son absence d'empathie envers les travailleurs et travailleuses mobilisés dans la construction d'un collectif.
La fin du dialogue social
Nous vivons actuellement une grave crise politique. Nous faisons face à des gouvernements successifs qui n’entendent plus rien, qui n’acceptent plus le moindre compromis dans une tactique consistant à enchaîner les réformes inacceptables en tablant sur le fait que le mouvement social n’ira ni assez vite, ni assez loin pour le contrer. Il y a encore quelques décennies, les gouvernements ne se permettaient pas ça. Les coups étaient plus sournois mais lorsqu’une réforme rencontrait un rejet massif, celui-ci finissait par être entendu. Plus aujourd’hui. Depuis le référendum sur le Traité de Constitution Européenne, nos politiciens ont compris qu’ils pouvaient s’imposer de force s’il le voulait. Et c’est de pire en pire, le tout bien aidé par la constitution de la Vème République et son régime autoritaire et anti-démocratique qui nous vole notre parole politique et nous condamne à une verticalité qui a amené cette apathie générale.
Oui mais l’intersyndicale et la grève saute-mouton ?
Ce n’est malheureusement pas la faute de l’intersyndicale si nous perdons tous nos combat depuis un certain temps. Toutes les raisons évoquées font que les chiffres de grévistes se réduisent de mouvement social en mouvement social et que l’impact économique des mouvements devient peu à peu absorbable par le capital.
Si l’on reprend la grève historique de 1995, ce n’est pas tant l’intersyndicale qui a joué le rôle majeur, mais bien l’implication de certaines fédérations syndicales qui ont menées des grèves massives de manière autonomes.
Car il faut le rappeler, les fédérations, les unions départementales, les unions locales des syndicats sont indépendantes, de même que les syndicats d’entreprises eux-mêmes et peuvent parfaitement déposer des préavis de grève illimitée. Pourquoi ils ne font pas ? Parce que les taux de grévistes ne le permettent pas et que sans appui, proclamer une grève générale qui ne réunira que trop peu de monde ne participera qu’à la démotivation des grévistes de la première heure.
C’est facile de proclamer devant une assemblée conquise de quelques centaines de personnes que l’intersyndicale doit appeler à la grève générale illimitée mais qui va la faire ?
Nous, syndicalistes, nous prenons des critiques de toutes parts, alors que nous sommes au pied levé tous les jours pour tracter, informer, discuter, organiser les manifs. On se lève le matin des jours de grève pour mobiliser devant les entreprises, monter des stands de restauration, d’information, assurer la sécurité des cortèges, et on se fait qualifié de traites, d’inutiles, souvent par des gens qu’on ne voit jamais dans les espaces militants en dehors des manifestations.
Et tout ça est le fruit de ces critiques anti-syndicales qui profilèrent de défaites en défaites. Si j’utilisai les mêmes méthodes qu’eux, j‘accuserais les personnes les plus en pointe sur le sujet de gratter de la visibilité sur le dos des syndicats, seulement ce n’est ni une solution, ni le fond du problème. Ces camarades sont énervés. Mais moi aussi je suis énervé. On est tous énervés. On est tous à bout et à court d’idées sur ce qui pourrait marcher et nous faire gagner.
Le mouvement citoyen du 10 septembre ne s’est pas essoufflé à cause de l’intersyndicale qui aurait appelé à une journée une semaine plus tard. Le mouvement s’est lui-même proclamé autonome et ne voulant pas de la tutelle des syndicats. Pourquoi les syndicats seraient-ils responsables d’un manque de mobilisation sur ce mouvement d'autant que les préavis de grève étaient posés ?
J’y étais aux AG locales vers chez moi. Si le manque d’organisation se faisait sentir, j’avais tout de même espoir que ça prenne et qu’on ait une marrée humaine le 10 septembre pour qu’on bloque effectivement tout. Ça n’a pas été le cas. Parce que la précarité, la résignation et la peur de la répression l’emporte malheureusement chez beaucoup de citoyens. Et ça a eu du mal à reprendre par la suite parce que sans organisation définie, ça demande une énergie considérable de maintenir un effet de masse là où les syndicats disposent déjà d'une organisation qui permet de structurer les actions et les revendications.
Tout n’est pas exempt de critique
Je ne suis pas pour autant un légitimiste béa, et la stratégie de l’ultimatum était pour moi une mauvaise idée, mais manœuvrer avec certains syndicats réformistes comme la CFDT est toujours compliqué et je suis favorable lorsque cela s'avère nécessaire à une intersyndicale réduite aux syndicats les plus combatifs afin d’être plus libres dans les décisions d’actions et de mettre la pression sur les syndicats un peu trop proches du pouvoir. Car si on bénéficie d’un effet de volume lors des journées d’action avec une intersyndicale complète, une position trop tiède est un énorme problème pour la syndicalisation de nombreux camarades qui se retrouvent dans nos positions et revendications mais qui trouvent la position de l’intersyndicale trop timorée.
De même, la ligne consistant à dire qu’on ne veut pas un changement de gouvernement mais de politique à ses limites. Voir Sophie Binet venir dire en interview qu’on ne veut pas la démission de Macron car on a besoin d’un président dans le contexte international actuel est une aberration au vu peu d’implication de notre président dans le conflit israélo-palestinien, avec une reconnaissance symbolique de la Palestine ne servant que de prétexte pour éviter des accusations de complicité devant la Cour Pénale Internationale. C’est d’autant moins compréhensible dans le contexte où de nombreux camarades CGT avaient embarqué dans la nouvelle flottille au regard du peu de protection dont avait bénéficié la première. Je ne sais pas si elle espérait un acte fort de la part de Macron en cas de menace de la nouvelle flottille, mais l’histoire nous montre aujourd’hui qu’il ne faut rien attendre de bien de sa part.
De plus, si l’on peut demander un changement de politique et pas une opération cosmétique, la base de la CGT veut voir Macron dégager et la peur d’une prise de pouvoir de l’extrême-droite ne doit pas nous paralyser.
Je suis également favorable à ce que la CGT se positionne en demandant la fin de la Vème République, dont les travers rendent impossible le dialogue social lorsque l’exécutif le décide, la fin de tout recours parlementaire lorsque l’exécutif le décide, permet à l'exécutif de se maintenir même en cas de résulats d'élection parlementaire défavorables, et qu’on puisse œuvrer pour inscrire dans une nouvelle constitution la nationalisation totale de nos organismes sociaux, le paritarisme dans leur gestion, ainsi que la retraite par répartition.
Alors on fait quoi ?
Il faudrait déjà arrêter de taper systématiquement sur les syndicats et les directions syndicales parce que ce n’est pas le problème et ça participe d’autant plus à l’érosion du syndicalisme alors qu’il est en partie une solution.
Si la CGT représentait 50 % des travailleurs et travailleuses, nous n’aurions pas ces débats stratégiques parce qu’un budget pareil que celui présenté ne serait sorti par peur d’un mouvement réellement d’ampleur et nous n’aurions jamais eu autant de reculs sociaux ces dernières années. A l’époque du Conseil National de la Résistance, la CGT avait plus de 5,8 millions d’adhérents, et c’est du programme du CNR que sont issus les plus grandes avancées sociales du siècle dernier, dont la sécurité sociale. Donc une piste de solution, ce serait la syndicalisation en masse.
Mais comme cela n’arrivera pas demain, il faut quand même qu’on parle stratégie. Parce que oui, il y a des discussions à mener, et elles ont lieues partout, dans les AG citoyennes, dans les syndicats, dans les partis politiques de gauche, à la machine à café : modes d’actions, des réunifications syndicales, fin de la Vème république, etc.
Je n'ai pas ici de solution toute prête à apporter (s'il y en avait une, ça se saurait) et ce n'est pas l'objet de ce billet. Seulement s’il est nécessaire de prévoir un nouveau plan de bataille pour avancer, s’il vous plaît, faisons le sans nous écharper entre-nous en nous rendant coupables de ce que le bloc bourgeois nous fait subir.
Camarades, il est nécessaire d’être unis pour que les citoyen.ne.s de pays comprennent enfin que la première des solution, c’est qu’ils et elles se mobilisent en masse et que la grève reste le moyen le plus efficace de faire plier les gouvernements.