On connaît la comtesse de Ségur, autrice des célèbres Malheurs de Sophie. Ce roman donne la parole à celui qu’elle a épousé : Eugène de Ségur, fils d’une grande famille aristocratique, dont l’existence bascule après le suicide de son père, Octave, en 1818. Ancien officier, monarchiste fidèle, Octave n’a pas survécu à l’humiliation d’un mariage défait, ni à la solitude imposée par sa femme, Marie Félicité d’Aguesseau, figure mondaine et distante.
Dans une langue à la fois dense et pudique, Eugène raconte l’effondrement silencieux de son père et la violence contenue qui en résulte. Il n’a que vingt ans lorsqu’il hérite de ce double poids : un nom glorieux, et une blessure impossible à panser. Il erre entre la Sorbonne et les rues de Paris, cherchant moins à comprendre qu’à tenir debout.
C’est là qu’apparaît Sophie Rostopchine, jeune exilée russe, fille du gouverneur de Moscou. Elle aussi porte le fardeau d’un père contesté. Leur lien, immédiat et pudique, se construit sur cette mélancolie commune, loin de la séduction sociale. Ensemble, ils tracent la promesse d’un avenir dégagé du passé.
Mais le récit prend aussi une tournure inattendue. Eugène se lie d’amitié avec Louis Hachette, rencontré sur les bancs de la Sorbonne. Tous deux croient au pouvoir des livres, non comme objets de prestige, mais comme instruments de diffusion du savoir. De cette complicité naîtra une idée visionnaire : installer des librairies dans les gares, pour faire circuler les textes avec les voyageurs. Une révolution discrète, mais décisive.
Ce texte rare mêle douleur intime et clairvoyance historique. Eugène de Ségur n’y cherche ni gloire ni consolation, mais laisse derrière lui un portrait bouleversant d’un homme traversé par l’Histoire — et qui, presque malgré lui, contribue à la transformer.
Le mari de la comtesse de Ségur, Hafid Haggoune, éditions Reconnaissance, Paris, mars 2025
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