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Billet de blog 27 janvier 2025

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Suppression d’un poste administratif : une grève improbable à l’hôpital public

À l’unité de soins intensifs de cardiologie du CHU de Toulouse, des personnels soignants sont en grève pour le maintien du poste d’« agent d’accueil ». Dans nos services publics, chaque jour, des postes administratifs d’agents d’accueil, de secrétaires, d’assistantes, de gestionnaires... sont supprimés dans une indifférence médiatique et politique quasi-générale.

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À l’unité de soins intensifs de cardiologie du CHU de Toulouse, des personnels soignants sont en grève pour le maintien du poste d’« agent d’accueil » (voir la caisse de grève). Une mobilisation suffisamment rare pour attirer l’attention. Dans nos services publics, chaque jour, des postes administratifs d’agents d’accueil, de secrétaires, d’assistantes, de gestionnaires... sont supprimés dans une indifférence médiatique et politique quasi-générale. Après tout, sur le papier, cette décision semble raisonnable : tout le monde peut prendre son téléphone pour répondre aux appels, ouvrir une application et enregistrer une entrée, vérifier une lettre de sortie, chercher un box vide, accueillir les familles... on se demande même parfois pourquoi ces postes n’ont pas déjà été supprimés.

À bloc !

Pourtant, l’agente d’accueil dont le départ en retraite ne sera pas remplacé, n’a pas vraiment le temps de chômer. L’unité, située à Rangueil, reçoit des patient·es des urgences, des hospitalisé·es de cardiologie dont l’état s’est aggravé, parfois des patient·es venu·es pour une simple consultation, mais aussi des patient·es habitant à des kilomètres à la ronde transporté·es par le Samu sans passage préalable aux urgences. Lorsque les brancardiers arrivent, il faut trouver rapidement une chambre, constituer le dossier administratif, faire venir le dossier des archives si la personne a déjà été hospitalisée.

Rentabilité maximale des moyens techniques et pression à faire de l’activité obligent, les séjours ne durent pas plus d’un à deux jours. Les sorties sont donc fréquentes et doivent être gérées : trouver un transport, collecter les informations médicales, les transmettre aux services qui prendront le relais. Malgré la pression à augmenter les flux, certain·es patient·es resteront hospitalisé·es en post-opératoire, impliquant la coordination des interventions des professionnel·les extérieur·es à l’unité : cardiologues, kinés, diététiciennes, assistantes sociales, radiologues ou laboratoires d’analyse. Le téléphone ne cesse de sonner.

Loin d’alléger les tâches administratives, les nouvelles normes gestionnaires et la multiplication des applications informatiques les ont plus que jamais densifiées : elles nécessitent un travail organisationnel complexe pour coordonner l’occupation des espaces et les interventions de toutes les catégories professionnelles.

Et les proches des patient·es ?

Ajoutons encore une dimension à ce poste si insignifiant qu’occupe depuis 15 ans une ancienne aide-soignante : ces patient·es dont la vie vient de basculer ont des proches. Il faut les recevoir, leur parler, parfois les calmer ou les faire patienter. Organiser les visites après les opérations dans les interstices stricts imposés par les soins intensifs. Répondre à leurs inquiétudes sur les séquelles et l’avenir.  

Si ce poste est supprimé, on connaît déjà la suite et la fin de l’histoire. Un standard gérera les appels ou les transférera aux secrétaires de cardiologie elles-mêmes déjà surchargées. Et comme toutes ces personnes ne se trouvent pas physiquement dans l’unité en question, seul·es les cadres de santé ou les soignant·es seront en mesure de résoudre les problèmes organisationnels concrets en temps réel. Et bientôt les personnels soignants eux aussi ne feront plus que passer dans ce service tant les conditions de travail s’y seront dégradées. Et les familles ? Pourront-elles encore être reçues ?

On l’oublie souvent : la qualité des services publics et leur pérennité reposent sur un personnel physiquement présent dans les lieux, dont le rôle consiste précisément à demeurer disponible pour régler tous les problèmes matériels, organisationnels, pour transmettre l’information à des personnels désormais contraints de courir d’un·e patient·e à l’autre, d’une chambre à l’autre, d’un service à l’autre, d’un établissement à l’autre à l’intérieur d’un même groupement hospitalier, d’une réunion de coordination à l’autre depuis que les échelons de « gouvernance » se sont démultipliés.

Ironie de l’histoire, disposer d’une unité performante de soins intensifs pour les pathologies cardiaques fait partie des critères centraux du palmarès des hôpitaux et cliniques : le CHU de Toulouse a décroché la première place en 2024. Les équipes de soin pensaient-elles s’en voir ainsi récompensées ?

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