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Billet de blog 8 mars 2024

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Le désespoir des singes et la femme noire difforme

Parce que les hommes sont des femmes comme les autres particulièrement lorsqu’ils sont aussi grands qu’Ambroise Kom et Gaston-Paul Effa, je leur souhaite à tous deux par cette petite lettre une bonne journée internationale des femmes.

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Cher Ambroise Kom, cher Gaston-Paul Effa,

L’excuse dont je vais user pour vous écrire est le fait que nous soyons le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes.  Cette satanée journée sert bien de prétexte à tant de bêtises et d’absurdités, qu’une de plus ne peut faire de mal. Je vous mets ensemble par cette lettre personnelle que peu prendront le temps de lire parce que ce petit matin, après un nouvel événement traumatique, vos seules existences renforcent une croyance quasi mystique en l’écriture et la littérature. Elles ne m’ont jamais abandonnée comme une mère vivante ou mieux un père traditionaliste mais haut qui refuse de sacrifier son enfant cassé pour l’intérêt général qui cesse d’être supérieur lorsqu’il exige des sacrifices humains et d’autres interdits. Après avoir sauté une énième fois d’un avion poubelle sans parachute, haletante, je me retrouve avec mon histoire détraquée, mes mots coriaces, un passé fourbe qui ne fait semblant de passer que pour vider mes souvenirs, un présent gelé, un avenir qu’on essaye de me voler et une cause folle que je défends parce qu’elle m’a choisie en me prenant complètement l’âme et le cœur amoureusement pour danser sur mes paupières et ne pas jamais me laisser parterre.

Que peut la littérature dans un monde sans repères rendu fou par l’argent sans mémoire, sans culture et sans valeurs ? Vos livres et vos vies m’ont toujours convaincue que la réponse à cette question est tout. Niaisement ou juste de manière narcissique, je vous associe à une bataille impitoyable entre ceux qui ne croient qu’en l’efficacité et une femme défigurée qui suit la beauté de l’empreinte des choses brisées certaine de l’inéluctabilité de l’intime dénouement de l’irréparable même sur les personnes qui n’ont jamais lu amoureuse du diable. Un œuf qui se rebiffe et refuse d’être cassé et mélangé avec de la pourriture pour faire une omelette baveuse.

Il n’y a rien de plus laid, paraît-il, qu’une femme noire difforme qui hurle et qui pleure.  Persuadé qu’elle réclame de la miséricorde ou une charité même sans aucune générosité, on lui lâche de temps à autre des arachides en faisant tout pour ne pas écouter et déplacer le sujet en la rendant périphérique ou, si possible, invisible. Telle une tache d’huile ou de sang, elle dérange, complique la banalité acceptée du mal en démontrant simplement par sa révolte têtue combien la cruauté est imbécile tout comme cet hubris qui l’accompagne bruyamment. Contrairement à Éluard, je m’obstine non pas à mêler des fictions aux redoutables réalités mais des exigences qui me viennent de la littérature et de vous en me rappelant le devoir d’indignation pour refuser de tout sacrifier à l’argent en devenant un être sans racines, sans passé et sans mémoire.

La littérature comme arme de destruction massive dans une jungle en guerre contre la connaissance. Contre vents et marées, je me bats pour raconter mon histoire, ne pas être réduite à la fille handicapée d’une légende, cette petite chose fragile déjà cassée dont on veut faire un exemple pour mater l’intelligence. Erreur évidente qu’on évite lorsqu’on vous a lus en comprenant que le sang des autres est le nôtre et n’est jamais gratuit.

Ce 8 mars 2024, contre toute attente, fatiguée d’être fatiguée, je suis toujours debout grâce à la littérature, grâce ou à cause de vous Ambroise Kom et Gaston-Paul Effa.  Ayant le don de mélanges saugrenus, je vous ai mis ensemble et vous dois un attachement borné à ma propre histoire qui donne du sens à un combat solitaire désespéré mais pas désespérant contre plus forts qui est existentiel parce qu’ils sont également les plus niais et tellement méprisants de ceux qui plaident dans le désert contre un anti-intellectualisme qui légitime la bêtise. Des mots que je mets partout et surtout sur des maux en n’abdiquant pas devant les silences, les petites et les grandes lâchetés et une mésestimation risible de la femme noire qui devient un rouleau compresseur sans frein lorsque même déformée, elle dit non en refusant d’être née pour être chosifiée en dépit de ses dépendances.

Cette lettre pourrait être un livre mais je la conclurai abruptement avec une image.  Je suis née avec une cuillère en or dans la bouche qu’on a tout de suite mis dans de la merde pour signifier que je n’avais pas de droits et devais être un être en soi.  La mère de mon père et son fils traditionalistes avaient la conviction dérangeante que le handicap avec lequel je ne suis pas née venait non pas de l’extérieur ou d’étrangers mais de la « famille » et leur propre sang.  Cette croyance au centre de mon existence qui m’a conduite à la littérature pour me donner l’arme pour devenir folle sans être idiote. Nous nous sommes jusqu’ici manqués, Ambroise Kom et Gaston-Paul Effa, parce que j’ai ces montagnes russes à escalader avec une jambe poursuivie par des serpents terrifiants.  Je trébuche, tombe ; mordue, je crie, pleure beaucoup mais me relève plus entêtée parce que je ne parviens pas à respecter la sauvagerie surtout qu’elle me nie le droit d’être ma grand-mère et l’enfant de mon père. 

Le désespoir des singes n’est donc pas qu’un arbre ou le titre d’un récit autobiographique de Françoise Hardy mais une allégorie, la hauteur et la solitude habitée qu’elle crée. Pour écrire, il faut sentir la grandeur même sans pouvoir grimper, suivre lorsque les mots viennent et accepter le combat féroce inévitable lorsqu’en marchant sur les arches de nuit, on décline l’obéissance à la toute-puissance irresponsable. A vous, Ambroise Kom et Gaston-Paul Effa, je souhaite une bonne journée internationale des femmes. Vous avez montré à cette femme qui vous salue comment écrire pour mener une lutte inégale peut-être perdue d’avance toutefois indispensable lorsqu’on sait, ou juste sent ce que peut la littérature en n’étant pas repoussé par le désespoir des singes. Il n’a rien à voir avec le vrai désespoir au sens camusien du terme puisqu’il permet de ne jamais oublier les raisons de ne pas se taire devant la force sotte.

En dépit de leur flamboyance et de leur abondance, le « hanfou-mage » et le njitapage n’étant que petitesse, médiocrité et vacuité, je vis, lutte et écris jusqu’aux larmes et au sang. 

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