Les réponses des Camerounaises et des Camerounais à l’essentielle question de Machiagoup Célestine Ketcha Courtes montrent combien le Cameroun a régressé. Avec sa créativité habituelle, Richard Bona en a fait une chanson qui ne parle que de sociétés publiques et privées disparues comme si le développement, c’était cela et qu’il avait fait le choix de l’exil à cause de cette paupérisation croissante. Le sujet est une corruption et une misère morales camerounaises construites sur un mépris voire une haine profonde des Camerounais pour eux-mêmes. Le sous-développement économique n’est qu’une manifestation d’une indigence collective qui excuse une démission des pouvoirs publics et une infantilisation grotesque des populations qui doivent obéissance absolue aux Papas qui leur donnent à manger. Sans doute avec aigreur et d’autres mauvais sentiments, je crois que même s’il était possible d’affirmer que tout est pour le mieux dans le meilleur des Camerouns possibles, Bona et d’autres dont moi n’y reviendraient pour y vivre parce que nous sommes les héritiers de Mongo Beti.
Dans ce dernier livre qu’il fait avec Ambroise Kom après son retour d’exil et la perte de ses dernières illusions, Mongo Beti admet le patriotisme d’Ahidjo et affirme ceci :
(...) nos problèmes actuels viennent en partie de ce qu'il n'y a pas d'opinion publique. Il n'y a pas d'opinion publique parce qu'il n'y a pas de médias libres. (...)Nos prétendus grands leaders ont livré des batailles inutiles et perdues d'avance telles que les élections. Certes, il fallait y aller, mais pas investir tout dans l'élection. En revanche, s'ils avaient mené la bataille des médias, de la radio et de la télévision libres, quelque chose aurait déjà changé. Bien sûr, il ne faut pas jeter la pierre aux hommes politiques. Quand il y a un échec collectif, c'est toujours tout le monde qui a été défaillant. Nous n'avons pas toujours été à la hauteur parce que nous avons souvent cédé aux sirènes de l’ambition individuelle et personnelle.
Tout y est. L’échec collectif qui mène à une décrépitude alarmante qui sacrifie le bien le plus précieux, l’humanité en dévalorisant la camerounité. Cette question que je pose à ce fils Fotso qui se bat pour devenir successeur en lui demandant si notre père est enterré, sa réponse inculte désespérante qui tue car elle prouve que l’humiliation de Fotso Victor n’est pas perçue même par son sang comme un déshonneur mais est acceptable pour des milliards. Dans le Cameroun de Célestine Ketcha Courtes, on peut trahir, humilier ses ancêtres, ses aînés, ses semblables et les valeurs lorsqu’on a. La fin justifie les moyens, la réussite personnelle la perversion et le trône tout crime y compris les infanticides, les fratricides, les parricides et les régicides. Tout est permis. On marche sur le passé comme sur le Ndop.
Le principal différend que Jean-Marie Atangana Mebara avait avec Yves Michel Fotso était justement sur les moyens pour réussir. Atangana Mebara que mon père considérait comme un fils pensait qu’il y avait des actes, des impostures et des raccourcis interdits. Qu’est-ce qui réunissait un illettré de Tséla à un surdiplômé du Méfou-et-Akono ? Une vénération pour des mères qui exemplifiaient cette dignité et grandeur camerounaises qui, avant, existaient dans la pauvreté mais sont, aujourd’hui, quasi totalement absentes dans la richesse. Ces femmes dont la fierté de la réussite de leurs fils avait tout à voir avec la certitude que liée au mérite et au travail, elle faisait non seulement survivre la famille mais surtout progresser le village et le pays. Avant, on savait qu’il est impossible de réussir contre son père, en trompant sa fratrie et en saccageant son pays.
Il y a des déshonneurs et des hontes que tous les milliards du monde ou même le développement ne lavent pas. Cet ambassadeur qui raconte que sa mère retraitée à Ebolowa l’appelle au début des années 1990 alors qu’il est en poste hors du Cameroun, lorsqu’elle apprend qu’on a réduit son salaire et lui propose de lui envoyer de l’argent. Cette anecdote de Bernard Tchoutang sur sa mère veuve qui lorsqu’il revient avec de l’argent après avoir fugué adolescent pour devenir joueur professionnel et les lui offre refuse parce qu’elle ne sait pas d’où vient l’argent et ne peut accepter, même dans un immense besoin, de l’argent sale. Avant, même dans la misère, il y avait dans la camerounité, de la dignité, de l’honorabilité, de la solidarité et de la générosité. L’argent n’était pas une fin ; on ne banalisait pas le faux en idolâtrant les voleurs et les feymans.Le Cameroun n’aurait pas pu organiser une coupe d’Afrique ou d’élections sans résoudre la crise anglophone.
La question de Machiagoup Ketcha Courtes relève donc une cassure fondamentale qui montre qu’aujourd’hui au Cameroun, tout a été sacrifié à l’efficacité. Le tapage peut permettre le njitapage. La tradition est pervertie pour la petite politique. Ségolène Royal qui devient Mabatgoup sans aucun lien réel à Banganté. Fô Nyap Guong qui attend d’être pleuré et enterré pendant qu’une Reine mère urine sur ce qu’il a construit en profanant Hiala pour s’imposer dans le parti présidentiel dont le Roi Bandjoun n’est qu’un simple militant qui perd son siège de Sénateur au profit d’un sujet qui. mieux que lui, sait danser. Le sacré se limite à celui qui distribue. Les bouffons disent le droit et font la loi. Tout s’achète.
Mon père admettait volontiers avoir suivi Kadji Defosso. Sans toujours être amis, entre eux, les autres camerounais de leur génération, existait la conscience que l’intérêt de leurs intérêts était de valoriser la camerounité. Certes, ils avaient des désaccords, des conflits et des oppositions féroces mais il y avait des règles, une éthique et une volonté de se cultiver qui montraient qu’avant, même lorsqu’il n’y avait « rien », les sociétés camerounaises n’étaient pas des jungles où le tigre en imposant sa tigritude régnait absolument sans ne croire qu’en la force, sans connaître son passé et préparer l’avenir. Machiagoup Ketcha Courtes n’a fait à Maroua que ce que Sarkozy fit à Dakar : l’Homme africain, l’histoire et ce matérialisme inculte qui réduit tout à l’avoir sans savoir.
A quoi ressemble la tombe de Mongo Beti ? Ne pas pouvoir pour le Cameroun, le pays-continent le dire et l’exposer au monde est une des réponses les plus violentes à Célestine Ketcha Courtes. Peut-on, Reine mère, être fier d’un pays sans mémoire qui sacrifie sa chair sans jamais respecter ou juste « reconnaître » celles et ceux qui ne l’ont pas mis à la taille de leur estomac ? Retour d’exil d’une icône camerounaise à Akométam en abandonnant le pays mythique pour essayer de construire le pays réel ; cette réalisation amère d’un naufrage accepté et d’un désert croissant créés par des renoncements et des évidements normalisés. Une camerounité tellement rabougrie et prostituée qu’elle ne se résume plus qu’à ces artifices flamboyants et cette efficacité amorale qui expliquent pourquoi des cancres du village et des faussaires effrontés peuvent devenir ministres. Ces choix cyniques tellement coupables sur quoi et qui ont de la valeur au Cameroun.
Même morts, Mongo Beti et tant d’autres dont Ahidjo et Fotso continuent de parler et attendent que leur pays leur réponde.