Chère Henriette Ekwe,
J’ai pour vous un respect et une certaine admiration qui permettent cette lettre publique en la rendant indispensable. Il serait aisé de me taire tellement ce que je vais dire est inaudible dans un Cameroun sclérosé et un monde qui n’est intéressé ni pas ses histoires ni par son Histoire tant qu’elles ne font pas suffisamment de bruit et de morts. A moins de deux semaines de la journée internationale des droits des femmes, il y a des choses que j’ai besoin de raconter non pas pour me déshabiller mais démontrer leur utilité publique. Le contexte et même le sous-texte ont rendu mon intimité politique.
Henriette Ekwe, mon but n’est pas de vous attaquer ou de vous sermonner. Ce serait autant inutile qu’indigne. Tel Benjamin Zebaze, je sais que vous me dépassez La folle qui boite que je suis a conscience de s’adresser à une aînée qui est garçon et qui, contrairement à elle, ne pleure pas. Ce qui me donne l’audace de vous écrire n’est donc ni la prétention d’être votre égale ni un corporatisme et/ou identitarisme niais mais ce que je crois que nous partageons malgré tout : un refus quasi absolu de s’affaisser ou de se rabaisser devant l’injustice et la bêtise. Ma lettre est donc celle d’une vieille fille laide avec une dentition peu avantageuse à une autre, insultée comme telle, qui en veut à un exemple d’avoir gâché une occasion d’élever le débat politique à cause de ses obsessions et surtout d’essentialisations dangereuses qui continuent de pourrir le pays. Je vous en veux de ne pas pouvoir fait une critique substantive de Maurice Kamto et de son parti parce que vous n’arrivez pas à dépasser 1992, à accepter qu’il ait le droit de ne pas être John Fru Ndi bien qu’ils soient tous deux bamilékés et surtout d’avoir son propre ADN politique.
Pour mettre la plume dans la plaie, j’irai plus loin en affirmant sans aucune équivoque qu’avec des arguments incongrus de classe et identitaires, vous déclassez l’éminent professeur de droit ne pouvant surclasser le « Graffi boy » et justifier votre préférence politiquement et historiquement. Maurice Kamto a le mérite d’avoir réalisé avant beaucoup le dilettantisme tragique du Chairman et les limites du Suffer don finish. Je serai plus terre à terre et vous dirai que si John Fru Ndi avait eu un peu de Kamto en lui, vous auriez gagné votre combat politique au début des années 1990 Madame Ekwe. Vous auriez alors réussi à avoir avec vous ces capitaines d’industrie des Grassfields qui entraient en fin de vie et étaient effrayés par le populisme court-termiste du Chairman qui plaisait tant à des assoiffés de révolutionnaires mais refusait de comprendre que lorsqu’on demande de prendre le risque de sacrifier des fruits de toute une vie, il faut être armé idéologiquement et politiquement par respect. Même sans tout réduire aux bamilékés, je connais tant de commerçants qui ont beaucoup pour ne pas dire tout perdu en pensant que les villes mortes changeraient les choses durablement. Étaient-ils également des « suprémacistes bamilékés » ? Ou faites-vous partie de ceux qui pensent que les « Graffis » ont trop et ne doivent en politique que se sacrifier, suivre et ne pas trop la ramener en mangeant leur taro en privé sans afficher l’appartenance provocante en elle-même à leur tribu ? Ces questions ne se posent qu’à cause de ce flou que vous entretenez en parlant que du passé et de choses que Maurice Kamto ne peut pas changer.
Henriette Ekwe, il n’est même pas nécessaire d’avoir un débat de chiffonniers sur le rôle du Maurice Kamto dans le gouvernement dans les années 2000. Votre version des faits que je choisis d’accepter confirme ce que vous refusez d’accepter en personnalisant un différend politique : la dimension nationale du Professeur Kamto. Après tout, si ce petit villageois s’est détourné de Fru Ndi à temps, a fait partie d’une équipe de juristes qui a protégé l’intégrité territoriale du Cameroun, a pu faire croire qu’il a sauvé tout seul Bakassi, est entré au gouvernement, a assumé une tâche essentielle sans jamais rejoindre le parti présidentiel en mettant au pas de barons et des têtes pensantes du régime qu’étaient Marafa et Amadou Ali, comprendre qu’il ne serait plus ministre, avoir le cran de faire ce que aucun ministre aussi bien informé que lui n’a fait au Cameroun en démissionnant pour ensuite avoir le toupet de créer son parti, élaborer un programme en s’imposant sur l’arène politique, se présenter aux présidentielles, tirer un penalty et aller devant le Conseil constitutionnel en demandant comment devenir bulu puisque le sujet n’était plus le droit… Autant de réalisme, de calculs froids en refusant l’affect et en croyant en son étoile. Madame Ekwe, cela s’appelle en 2024 faire de la politique ! Le MRC, ses militants et surtout les partisans du « pape du droit » devraient vous remercier car mieux qu’eux, que personne, vous avez démontré que Maurice Kamto est un homme d’état, capable de s’élever et de faire le désagréable, le difficile et les tâches ingrates pour le Cameroun sans croire en la révolution.
Et la Brigade anti-sardinards (BAS) ? Procès stalinien en sorcellerie que Maurice Kamto ne peut pas gagner. Juste en se défendant, il légitime une accusation qui ne l’est pas. En 2019, des attaques vicieuses m’ont fait comprendre que ce machin dépassait, outrepassait sa personne en allant dans tous les sens avec des instrumentalisations qui avaient déjà beaucoup à voir avec la succession Fotso Victor. La BAS est un clou rouillé dans le pied du Président de MRC dont il ne peut être responsable car il a trop de connaissances du droit pour prendre le risque d’une infection.
Mais je ne vous aurais pas écrit si le sujet n’était que le Professeur Kamto qui, comme vous, est viril et n’a pas besoin d’avocat. Il me fallait vous parler de celui que j’appelle le Dernier Bamiléké afin que vous compreniez combien le terme « suprémaciste bamiléké » est ignorant, insupportable et oui indigne de vous tout en faisant une vraie et impitoyable critique du Professeur Kamto : il a été et reste entouré non seulement d’entrepreneurs de la politique mais de Jean Bruno Togne, des bayams salams de la pensée qui le desservent. C’est eux qui sont en grande partie responsables de ces malentendus et de ces rancœurs tenaces parfois impossibles à transcender tant leur attitude et leur suffisance sont les copies confirmes de celles des personnes qu’ils combattent. Toutefois, voyez-vous, être la fille de mon père m’a aidée plus facilement que beaucoup à comprendre que l’excellence n’est pas contagieuse et que celle du Chef peut encourager toute sorte de dérives. Je prends trop de mots pour vous dire que la banalité et la camerounité des sociétés bamilékés font qu’il n’est pas possible d’assimiler les premiers de cordée aux idiots du village qui font bruyamment pipi partout !
On me reproche beaucoup d’insister sur l’analphabétisme de Fotso Victor comme si le reconnaître est insultant sans comprendre ce que cela dit des Grassfields, l’ancien monde dans lequel il est né en faisant la preuve de son génie et la civilisation bamiléké dans laquelle le travail et l’excellence qui font la grandeur de l’individu. Les illettrés de la génération de mon père avaient une éducation et une culture qui leur interdisaient de récompenser la médiocrité particulièrement lorsqu’elle venait de chez eux. Hors du Cameroun, en Occident, lorsque mon père était face à un acte indigne d’un noir, la première chose qu’il espérait est qu’il n’était pas camerounais, s’il était camerounais, qu’il n’était pas bamiléké en priant qu’il ne fut pas Bandjoun. Je vous dis tout cela pour que vous compreniez l’incongruité de cette expression « suprémaciste bamiléké » car un vrai bamiléké éduqué ne peut pas cautionner ou vanter, même par solidarité ou chauvinisme, la bêtise parce qu’elle vient de son village. Avoir des enfants feymans a rongé mon père à petits feux. Il ne laisse qu’on libère le plus vicieux d’entre eux que pour ne pas avoir sa mort sur la conscience à la fin de sa propre vie. Mais pour bien montrer ce qu’on ne fait pas, Fotso Victor sort Yves Michel Fotso de sa propre succession en ne demandant pas au Chef de l’État de le gracier. Il y a des bamilékés qui n’ont rien à faire ensemble. Mon père ne pouvait pas s’entendre avec John Fru Ndi mais aurait pu dialoguer avec Maurice Kamto parce qu’ils avaient une chose essentielle en commun : ils s’étaient faits avant la politique trop conscients qu’elle pouvait les défaire s’ils ne demeuraient pas fidèles à leur histoire en devenant des politiciens subitement moins exigeants envers eux-mêmes et en ayant moins d’ambitions pour leur pays en le rétrécissant à de petits intérêts et leur tribu. Le problème est presque toujours les aventuriers, les arrivistes, les affamés et les Jean Bruno Tagne qui les accompagnent, les suivent incapables de dépasser le ventre.
Lees société bamilékés n’ont jamais été homogènes. La confusion et les malentendus se créent en entraînant des drames lorsque tout Baleng pense que son sang fait de lui un Mbou, tout Bana un Kadji, tout Bamougoum un Ngouchinghe, tout Bayagam un Sohaing, tout Baham un Kamto et tout Bandjoun un Fotso sans comprendre que les valeurs sont essentielles surtout celles de l’effort, du travail et de l’honorabilité. Madame Ekwe, c’est parce que l’excellence ne se mélange pas avec la médiocrité fourbe et amorale qu’il n’y a pas de famille Fotso. Dans les Grassfields, les tigres ne s’allient pas avec les serpents surtout s’ils ont mordu le lion. Aussi Bandjoun qu’ils étaient tous les deux, Fotso Victor ne serait jamais assis à la table de Blaise Pascal Talla. Donc suprématie bamiléké relève de l’oxymore. Le drame bams est contemporain, l’ignorantisme et l’arrivisme sont d’autant plus sauvages et dangereuses de nos jours à l’Ouest du Cameroun que la flamboyance peut passer pour l’excellence et la quantité la qualité. Ce que vous avez en commun avec les insulteurs et les suffisants trop nombreux derrière Kamto est ce refus borné de le prendre tel qu’il est pour le mythifier ou le caricaturer en zappant le gras et le saignant.
Henriette Ekwe, je vous ai écrit non pas pour défendre le Professeur Kamto mais l’intelligence et l'excellence. La tragédie de Fotso Victor est que ses amis politiques et les autres l’ont réduit à son argent en pensant que tous ses enfants se valaient et qu’il était donc possible de choisir leur Fotso en récompensant l’obéissance aux dépens de la morale et de la compétence. Pour dire les choses familièrement, je ne lâche pas l’affaire en attendant toujours que mes tontons et mes tatas du parti présidentiel, du MRC et les autres répondent au mal pour au moins signifier que le njitapage même sur hautes instructions est hors du champ républicain bantou. Oui, je ne déplore que Maurice Kamto ne fasse pas de la politique avec la même virtuosité qu’il fait du droit et que son parti soit si camerounais. Sans le confondre avec des idiots utiles ou juste ses tagneurs qui ont l’esprit d’entreprise, je le juge sur un silence assourdissant encore plus dévastateur que ceux des autres non pas parce qu’il est bamiléké mais coupable et complice. Fotso Victor, lui, n’aurait pas pu se taire. Il aurait compris, senti dans sa chair que c’est l’excellence camerounaise et africaine qu’on piétine en pensant n’humilier qu’un bamiléké qui sait ce qu’il vaut parce qu’il a construit en partant de rien. L’avantage de mes larmes de vieille fille est qu’elles me forcent à ne pas transiger. Je ne mange pas de taro. Je ne parle pas le Ghomla et continuer de croire qu’il faut brûler Bandjoun. Ce qui fait de moi une Graffi woman est ce « guè » absolu devant l’interdit, l’inculture et la médiocrité surtout quand ils sont made in Bamiléké land.
La mère, bonne fête du 8 mars.