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Billet de blog 29 mars 2022

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L’autisme et le sport : « Passeurs de confiance et Sport sur ordonnance »

Un pratiquant avec Trouble du Spectre Autistique (TSA) peut produire de la maladresse motrice dans le moindre geste de la vie ordinaire et en même temps obtenir une très grande maitrise motrice et émotionnelle dans les Activités Physiques Sportives et Artistiques (APSA). Mais la question de la gratuité et/ou d’un coût financier accessible aux pratiques sportives ou de loisir est primordiale

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2 avril 2022 - Journée mondiale de sensibilisation à l’Autisme

L’autisme et le sport : « Passeurs de confiance et Sport sur ordonnance »[1] - ALIN Christian[2]

Entre espoir et impuissance, une société inclusive convoque, de facto, le pari de l’éducabilité. (Alin, 2019)[3] Principe éthique d’éducabilité oblige, aucune pratique physique et sportive n’est a priori totalement incompatible pour un pratiquant avec autisme, quelle que soit l’hétérogénéité du spectre. Un pratiquant avec Trouble du Spectre Autistique (TSA) peut produire de la maladresse motrice dans le moindre geste de la vie ordinaire et en même temps obtenir une très grande maitrise motrice et émotionnelle dans les Activités Physiques Sportives et Artistiques (APSA). Pour ce pari, les mondes de l’éducation physique, du sport, du sport adapté et des loisirs ont une place primordiale. Le consensus scientifique et professionnel sur leurs bienfaits et bénéfices est bien établi et recommandé depuis 2012 par la Haute Autorité de la Santé. Leur opportunité positive pour un vivre ensemble avec la différence ne fait pas débat, aussi bien pour l’enfant avec autisme que pour son entourage familial, social, éducatif. En revanche, elle demande le repérage et la prise en compte réelle chez le pratiquant TSA du moindre de ses intérêts restreints, de ses motivations, de sa dynamique physique énergétique, de sa dynamique interactive et sociale, de ses « éclats de compétences ». (Mottron, 2016)[4]

Transmettre et partager des expériences motrices sportives appelle une expérience qui ne se réduit pas à de simples adaptations matérielles et techniques et évite les transferts simplistes de méthodes cognitivo-comportementales ou thérapeutiques, issues des pratiques d’intervention en vogue pour l’autisme. Pour autant, transmettre et partager consiste à créer les conditions de confiance qui permettront et autoriseront le pratiquant avec autisme à s’affranchir, autant que possible, de sa vie de dépendance au monde, et de lui ouvrir les portes de l’estime de soi et d’une autonomie heureuse. Sur ce chemin de la confiance, c’est surtout de « Passeurs de confiance » que le pratiquant avec autisme, sportif ou non, a impérativement besoin. Les métaphores ont toujours leur part de lumière et leur part d’ombre. Dans l’Égypte ancienne, le jour fatal, la barque du passeur glisse d’est en ouest vers l’autre rive du Nil, non pas celle du monde des vivants, mais celle des morts. En revanche, c’est l’image d’Épinal d’un fleuve tumultueux porteur d’obstacles et de dangers, mais vaincu par la dextérité du passeur déposant en toute sécurité tous ses passagers sans exception, qui s’est imposée dans nos sociétés modernes. La métaphore du passeur est souvent reprise dans les domaines de l’éducation, de la formation et de la culture. Elle marque la fonction de guide et d’accompagnateur qui aide à franchir des obstacles et à repousser ses limites. Dans la traversée du fleuve de l’autisme, la boussole du passeur vise un double défi : 1- celui de gagner la confiance de son passager, grâce à la confiance dans ses possibilités propres, malgré et/ou à cause de sa différence autistique ; 2- celui de servir de relais entre deux milieux apparemment opposés, le monde du sport conduit trop souvent par la seule compétition et le monde de l’autisme au besoin fort de coopération pour s’adapter, se reconnaître et s’adopter. En revanche, plusieurs obstacles se dressent.

  • Le manque de connaissance du monde du handicap et de l’autisme, en particulier, par les clubs sportifs. L’une des raisons pour lesquelles les clubs sportifs n’accueillent pas de personnes avec handicap est l’absence de demande. Certains dirigeants d’associations révèlent prendre toutes les mesures nécessaires pour les accueillir, mais sans résultat : « ils sont les bienvenus, mais le drame, c’est qu’il n’y en a pas […] On est dans le guide de la ville, on les appelle, mais bon, s’ils ne veulent pas faire autre chose, ça les regarde». Ce discours est symptomatique d’un manque de publicité médiatique et de connaissance des enjeux sociaux et de développement de l’autisme.
  • Le manque de visibilité des personnes avec handicap mental et/ou troubles du comportement, plus ou moins enfermées dans des établissements spécialisés.
  • Dans les fédérations spécifiques qui se consacrent au handicap (FFSA ou FFH)[5] ou dans les fédérations sportives traditionnelles, même si les objectifs d’intégration des personnes avec handicap sont annoncés, la mise en œuvre pratique reste problématique et difficile quant à la population à handicap psychique ou avec des troubles comportementaux. Doit-on proposer des actions sportives en mixité ou en non mixité ? La question n’est pas évidente, surtout si le profil est très sévère. Les pratiques mixtes, c’est-à-dire les pratiques dans lesquelles les personnes handicapées et non handicapées réalisent une activité ensemble avec des rôles communs, interrogent les acteurs des milieux médico-sociaux et sportifs. Si l’ambition civique et éthique est présente, les acteurs de terrains sont malgré tout réservés. Le responsable d’une maison d’accueil spécialisé exprime parfaitement cette difficulté : « On peut partager de choses ensemble par la musique, la fête, mais par le sport, je ne vois pas ce que ça peut apporter».

Malgré tous ces obstacles, bénévoles, anciens sportifs, apportent leur expertise et leur passion dans des clubs et/ou des associations sportives ou non, mais aussi dans des parcs de loisir et des plaines de jeux. Avec ténacité et pragmatisme, des associations pionnières bousculent la pratique uniquement compétitive. Elles proposent des lieux et des temps de pratique spécifiques pour les enfants, adolescents, personnes avec autisme. Elles recrutent et forment leurs intervenants, bénévoles ou professionnels sur une double compétence : la connaissance juridique, technique et pédagogique de l’activité sportive, la connaissance théorique et expérientielle de l’autisme. De la place qu’elles occupent sur le terrain, elles bousculent les instances fédérales de leur sport pour la prise en compte de la population des personnes avec autisme. En France, le cyclotourisme, le tennis, l’aviron sont des pionniers dans cette aventure. Une aventure au cours de laquelle tous sont obligés de découvrir et d’innover, quelle que soit leur place, politique, administrative ou pédagogique. Malheureusement, peu de travaux de recherche, peu de formations ont véritablement abordé cette question de l’autisme et du sport dans des pratiques quotidiennes ordinaires.

Aujourd’hui, l’espérance sportive inclusive d’un enfant avec autisme ne réside que dans ses rencontres avec les passeurs de confiance. Il est temps qu’une politique ambitieuse et pragmatique en matière d’organisation, de finance et de formation, vienne les soutenir, au-delà de toutes les bonnes intentions qui appellent à l’inclusion. Face à tous les enjeux médico-sociaux de territoire qui pavent leurs chemins de vie, la parole de l’enfant autiste, de l’adulte avec autisme qu’il va devenir, est souvent absente, inexistante, ignorée. Son advenue et son existence ont vraiment besoin de la ténacité, de la patience et de l’amour des premiers passeurs de confiance, que sont les parents et la famille. Peu de pratiques physiques et motrices pour les enfants avec autisme qui ne soient pas examinées et prises que par le seul filtre de visées rééducatives ou thérapeutiques spécifiques avec un encadrement réservé aux professionnels médicaux et/ou paramédicaux, d’où l’importance d’une pratique quotidienne ordinaire en milieu ordinaire. (Alin, 2021)[6] L’engagement, l’implication, la ténacité des parents, de leur famille et des associations est aujourd’hui indispensable. Pour autant la question de la gratuité et/ou d’un coût financier accessible est urgente et primordiale. La question des aides financières et/ou des « restes à charge » pour les familles d’enfants avec autisme relève de la solidarité sociale et inclusive. Alors faisons un appel pour un accès au sport recommandé sur ordonnance dans la suite du décret du 30 décembre 2016 et entré en vigueur le 1er mars 2017, pour tous les enfants et les personnes avec autisme.

[1] Article publié in La lettre d’Autisme France - Numéro 85 - Février 2021

[2] Alin Christian, Professeur émérite en Sciences de l’éducation – INSPE. Lyon1 – Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport (L’Vis) – EA 7428 UCBL Lyon1. Grand-père d’un enfant avec autisme.

[3] Alin C., (2019), L’autisme à l’école : le pari de l’éducabilité, Bruxelles : Mardaga.

[4] Mottron L., (2016), L’intervention précoce pour enfant autiste - Nouveaux principes pour soutenir une autre intelligence. Bruxelles : Mardaga.

[5] FFSA - Fédération Française du Sport Adapté ; FFH - Fédération Française Handisport.

[6] Alin C., (2021), L’autisme et le sport - Enjeux et bénéfices : le pari de la confiance. Bruxelles : Mardaga.

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