Le projet de loi Duplomb donne lieu à de nombreuses discussions et débats au cours desquels il est souvent fait mention d’une opposition entre Agriculture et Ecologie pour expliquer la confrontation actuelle. En fait, il ne s’agit pas d’une opposition entre Agriculture et Ecologie, il s’agit de deux visions, de deux conceptions différentes, du mode agricole et de son développement à l’avenir, qui s’affrontent.
L’agriculture chimique intensive
D’un côté, nous trouvons les tenants de d’une agriculture chimique intensive qui adaptent le terroir en le modifiant par des intrants chimiques (engrais de synthèse, pesticides) et en développant l’irrigation. Les cultures de ces agriculteurs se limitent à quelques variétés de semences contrôlées et imposées par des firmes internationales, alors que, par sélection naturelle et humaine, des milliers de variétés végétales et de races animales ont été à disposition pour s’adapter à la diversité des terroirs.
Malheureusement, au cours des dernières décennies, la biodiversité agricole a chuté de 75 % pour les cultures végétales et 30 % des races de bétail sont au bord de l’extinction (Rapport de la FAO - Food and Agricultural Organization).
Ce mode de développement conduit nécessairement à une augmentation de la vulnérabilité de l’agriculture puisque le choix de semences végétales ou de races animales est très limité pour pouvoir s’adapter aux changements environnementaux globaux. En outre, ce type d’agriculture conduit à la destruction du bocage, à la pollution généralisée de la ressource en eau et des sols et à l’effondrement de la biodiversité.
L’alternative : l’Agro-écologie
D’un autre côté, en s’inspirant de méthodes ayant eu cours avant le développement de l’agrochimie et de résultats récents de la recherche agronomique, un mode d’agriculture respectant l’environnement et la santé humaine est possible. Il s’agit de l’agro-écologie qui se traduit sur le terrain par l’agriculture biologique, mode adopté, pour l’instant, seulement par une partie modeste des agriculteurs.
Pour ce type d’agriculture, il est nécessaire de généraliser les principes de l’agro-écologie pour avoir des systèmes plus résilients, moins émetteurs de gaz à effet de serre, utilisant les ressources naturelles renouvelables, préservant la qualité sanitaire des productions et de l’environnement et créateurs d’emplois.
En particulier, il est nécessaire de retrouver des sols vivants par des méthodes d’agriculture durable : peu de sols nus, limitation des labours, couverts inter-cultures, apports de fertilisants par l’agro-foresterie, limitation du tassement des terres. Enfin, ce sont les variétés végétales et les races animales les mieux adaptées au terroir qui doivent être retenues.
La transition vers l’agro-écologie est possible
Les opposants à la mise en place progressive de cette agriculture de l’avenir avancent deux objections : l’incapacité de l’agriculture biologique à nourrir l’ensemble de la population et son coût trop élevé pour les consommateurs.
La première objection a été levée par de nombreuses publications dont celle publiée, en 2017, dans la prestigieuse revue scientifique Nature Communications qui montre que l’agriculture biologique peut nourrir plus de 9 milliards d’être humains en 2050. Concernant le deuxième point des contempteurs de l’agro-écologie, ils oublient de préciser, qu’actuellement, l’agriculture française au sens large, reçoit de 14 à 15 milliards de subventions par an. 9 milliards proviennent de la PAC européenne et 4 à 5 milliards de différents programmes français.
La subvention de la PAC à l’agriculture française représente même la ligne budgétaire de dépense la plus élevée du budget de la communauté européenne.
En raison des choix des deux syndicats majoritaires de la profession (FNSEA et Coordination Rurale), des lobbys de l’agro-industrie, et d’un ministère de l’agriculture à la solde des syndicats précités, 80 % de ces énormes subventions vont à seulement 20% des exploitations les plus grandes, les plus intensives et donc les plus polluantes, ainsi qu’à quelques structures de transfert de l’agro-industrie.
Ainsi, le président de la FNSEA, propriétaire de 700 hectares avec sa famille, touche plus de 200 000 euros (!) de subventions par an, tout en étant propriétaire d’une société dans le secteur de l’agro-industrie. De la même façon, Laurent Duplomb, porteur du projet de loi du même nom, est l’exemple même de l’élu qui relaie les demandes des lobbys de l’agro-industrie laitière en étant président du groupe laitier Sodiaal et membre du conseil de surveillance de la société Candia.
De plus, Mr Duplomb n’a pas l’indépendance nécessaire vis-à-vis des forces syndicales puisqu’il a été président départemental du syndicat des Jeunes Agriculteurs de la Haute-Loire, syndicat proche de la FNSEA. Ainsi, cet élu est au service d’intérêts privés de l’agrobusiness au détriment de l’intérêt général qu’il est censé défendre. Ce même sénateur a d’ailleurs demandé la suppression de l’Agence Bio et de l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’Environnement et du travail), ce qui éclaire sur l’esprit d’ouverture de l’élu.
Ces conflits d’intérêt pour un élu de la nation sont inadmissibles et insupportables.
Par ailleurs, lorsque des militants du syndicat majoritaire affichent le slogan « On vous nourrit et nous on crève », doit-on leur rappeler que ce sont nos impôts et ceux des citoyens de la communauté européenne qui permettent à une minorité d’agriculteurs d’avoir des revenus très conséquents au travers des subventions de la PAC ? Il est, à ce sujet, pour le moins cocasse d’observer que ces tenants forcenés du libéralisme le plus affirmé profitent largement de subventions dignes d’un état socialiste …
C’est précisément grâce à ces aides de la PAC que l’on peut envisager de réaliser cette transition progressive vers l’agro-écologie sans laisser d’agriculteurs au bord du chemin et en mettant les produits agricoles à la portée de tous les consommateurs. Naturellement, pour cela, il faut ré-orienter ces subventions vers les exploitations qui, par leurs pratiques agro-écologiques, respectent l’environnement et la santé humaine.
Enfin, il faut préciser que, contrairement à ce que pourrait nous faire croire les débats organisés dans les médias, le projet de loi Duplomb ne se limite pas à la réintroduction de pesticides néonicotinoïdes. Il concerne également l’appropriation d’un bien public, la ressource en eau, par quelques agriculteurs irriguants au travers de la construction facilitée de bassines financées à 75 % par de l’argent public et cela aux dépens de la très grande majorité des autres agriculteurs et de la population en général.
La qualité de notre agriculture ne doit pas être seulement jugée au travers de sa production quantitative, elle doit l’être également sur la qualité environnementale et sanitaire de ces produits. La qualité de nos productions agricoles peut même devenir un avantage compétitif sur tous les marchés, et cela en respectant la qualité de l’environnement et la santé humaine.
Christian Amblard.
Directeur de Recherche Honoraire au CNRS
Et fils d’agriculteur.