C’est dans le cadre du plan piscine intercommunal que ce projet est mis en œuvre : « La CAVRA (Communauté d’Agglomération Valence Romans Agglo) a approuvé le choix du candidat « Espacéo Valence Romans » comme concessionnaire pour une durée de 25 ans, par une délibération du 7 décembre 2017. Cette société (...) appartient à 100 % au groupe SPIE Batignoles » qui « a réalisé et exploite sur ce modèle concessif plusieurs autres centres aquatiques en France ». (p. 75) « Le 30 juin 2016, l’assemblée délibérante a approuvé le choix du modèle concessif pour la construction et la gestion du futur centre aqualudique. Les données figurant dans la note de synthèse (page 25) transmise préalablement aux conseillers communautaires, ainsi que les éléments figurant dans le texte de la délibération, sont peu précis et ne permettent pas de cerner les enjeux financiers et de gestion du nouvel équipement, qui engagent pourtant l’établissement pour de nombreuses années.
Si les caractéristiques juridiques propres à chaque mode de gestion sont effectivement décrites (régie, concession, marché de travaux en maîtrise d’ouvrage public, contrat de performance), les éléments financiers et contextuels essentiels du projet de l’Épervière sont absents :
montant estimatif de l’investissement (études et travaux) ;
durée du contrat (non définie, mais estimée entre 20 et 25 ans) ;
fréquentation prévisionnelle ;
équilibre général du contrat et le coût estimé pour la collectivité à court et long terme (sur la durée de la concession). » (page 76)
Bref, des informations sur le projet ont été communiquées aux conseillers communautaires sauf les informations les plus importantes, celles qui concernaient le montage financier du projet. Mais quel était l’intérêt de discuter au sein de l’assemblée élue de ce montage, si le « mode de gestion du projet (était) déjà arbitré par l’exécutif » (page 76) ?
Une procédure de mise en concurrence a donc été lancée pour le « contrat de concession » : 6 candidats ont été agréés pour déposer une offre (octobre 2016), mais seuls 3 l’ont fait (février 2017). Mais en octobre 2017, l’Agglo change les règles du jeu et sa subvention passe de 7 millions d’euros à 14 millions. N’y aurait-il eu que 3 candidats si cette règle avait été posée d’entrée de jeu ?
Les candidats déposent leurs projets. Mais là encore, les règles vont changer en cours de procédure, au profit du gagnant :
« Le programme suggérait aux candidats de fonder leur modèle d’exploitation sur une tarification identique à celle du centre aquatique « le Diabolo ». Or le candidat retenu ne respecte pas cette condition, puisqu’il fonde son offre sur des tarifs supérieurs aux tarifs imposés dans la consultation (4,70 € TTC pour un adulte contre 5 € TTC dans l’offre du candidat, 3,60 € TTC pour un enfant contre 4 € TTC dans l’offre du candidat). Les offres initiales des deux autres candidats étaient sur ce point conformes aux exigences du cahier des charges, qui était rédigé de façon ambiguë (…) » (p.80)
Ce candidat, qui était le plus cher lors de l’offre initiale, s’est trouvé être le moins cher et de peu à la suite de la phase de négociations (page 79). N’a-t-on pas cherché, par des modifications successives, à fausser le jeu de la concurrence au profit d’un candidat choisi à l’avance ? D’autant que les projets proposés au terme de la négociation étaient très différents, donc difficilement comparables. Par ailleurs, de telles négociations ont été, par le passé, jugées illégales : « le juge a par exemple considéré que la réduction, en cours de procédure, de l’importance des ouvrages à réaliser par le concessionnaire correspondant à une réduction de 30 % du montant des travaux prévus, pouvait être regardé comme une modification substantielle et illégale des caractéristiques de la convention (CAA Paris, 13 juin 2006, commune Asnières sur Seine) » (page 80).
Analysons maintenant le montage financier
« Le coût des investissements initiaux (...), c’est à dire le coût de la construction du centre aqualudique, est de 26 472 000 euros (études, construction, équipements nécessaires au fonctionnement » (page 81). Une subvention d’équipement versée par la collectivité de 14 Millions d’euros, des fonds propres apportés par le concessionnaire de 400 000 euros, et un crédit construction de 12,072 millions d’euros. Ce montage serait correct si c’était le concessionnaire qui prenait à charge ce crédit et qui l’amortissait sur les bénéfices de l’exploitation. Mais ce n’est pas le cas. « Espacéo ne supportera pas le remboursement de la dette du crédit travaux, la CAVRA le prenant entièrement à charge sous la forme de la contribution financière d’investissement (CFI) » (page 82). Ce sera donc sur les crédits d’investissement des 23 ans à venir que seront pris les fonds, au détriment des autres équipements sportifs de l’Agglo. Mais bien plus, le président de la communauté d’agglomération, Nicolas Daragon, signe la reprise de ce crédit de 12 millions par un établissement bancaire dont le coût s’élève, avec les intérêts, à 16,7 millions euros étalés sur 23 ans. Bien entendu, l’information à l’assemblée délibérante n’est pas claire : « la délibération du 13 février 2018 autorisant le président à signer l’acte d’acception de la créance n’est pas explicite ; le terme « cession de créance » n’y figure pas. Les motifs fondant la délibération sont lacunaires : « pour des raisons internes au groupe SPIE Batignolles, auquel appartient Espacéo et à sa politique de financement, le concessionnaire a été amené à substituer le préteur initial à un nouveau préteur ». » (page 88)
En résumé, l’Agglo participe donc à hauteur de 30,751 millions d’euros du financement total, Espacéo de 0,4 million d’euros. Soit plus de 98,7 % pour la communauté d’agglo, et moins de 1,3 % pour le concessionnaire. Où est donc l’intérêt de faire une concession si la collectivité paye la quasi-totalité du coût de construction ?
La collectivité a-t-elle un intérêt dans le fonctionnement avec ce concessionnaire ?
Pour le fonctionnement, l’Agglo verse à Espacéo, chaque année 631 000 euros (+ 17 000 euros pour la natation scolaire). En compensation de cette subvention, elle impose les tarifs d’entrée au concessionnaire, tarifs que nous avons évoqués ci dessus. Mais cette partie de l’activité ne représente que 44 % du chiffre d’affaire : « plus de la moitié du chiffre d’affaires prévisionnel total (56%) correspond à des prestations rémunérées selon des tarifs qui échappent à l’approbation du conseil communautaire : entrées couplées avec des activités sportives et de détente en supplément (séances « gloppy kid », « hydrogym », « séance glisse » et activités de type « balnéo » et « fitness ») » (page 84). Une répartition des produits qui n’est guère conforme à la réglementation : « l’article 32 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession dispose que le contrat détermine les tarifs à la charge des usagers (…) Cette modification substantielle apportée au projet de contrat n’est pas sans conséquence juridique (…) Les clauses de la concession concernant la tarification du service revêtent un caractère réglementaire, pouvant emporter la nullité du contrat si leur rédaction n’est pas conforme aux dispositions de l’ordonnance. C’est un risque majeur auquel s’expose l’établissement » (pages 84 et 85). En d’autres termes, une nouvelle équipe au sein du conseil communautaire pourrait remettre en cause ce contrat auprès des tribunaux et imposer des tarifs beaucoup plus avantageux pour le public… et beaucoup moins pour le concessionnaire. Bien entendu, ce sera plus difficile si Nicolas Daragon reste le capitaine à bord du navire Valence Romans Agglo, dans la mesure où il peut toujours signer de nouveaux contrats avantageux pour Espacéo.
Comment sont distribués les bénéfices ?
Pour répondre aux questions précédentes, il est important d’analyser le rapport entre les bénéfices d’exploitation et l’investissement du concessionnaire privé. L’Agglo a payé plus de 98,7 % de la construction : elle touchera 15 % des bénéfices entre 0 et 100 000 euros, 20 % entre 100 et 200 000 euros, puis 25 % au-delà (page 87). Le concessionnaire qui a investi moins de 1,3 % de la construction touchera entre 75 et 85 % des bénéfices. Le budget a été prévu en fonction d’un taux moyen de fréquentation, défini à partir de ce qui se pratique dans des équipements similaires. Mais dans la mesure où l’investissement du concessionnaire est très faible et la participation de la collectivité très forte, toute augmentation des entrées par rapport à ces prévisions très raisonnables conduit à des bénéfices très conséquents. Ainsi une augmentation de la fréquentation de 5 % par rapport à cette moyenne permet un bénéfice de 22,5 % pour le concessionnaire (page 87). Un contrat assez juteux, sans risque majeur au regard de l’importance de l’équipement.
« Une modification récente de l’actionnariat » (page 92)
Une information complémentaire, glissée en fin d’exposé, mérite notre attention :
« Par délibération du 26 juin 2019, le conseil communautaire a autorisé le président à signer deux avenants au contrat de concession. L’un d’eux porte sur la modification d’actionnariat de la société dédiée Espacéo : « Actuellement détenue à 100 % par Spie Batignolles Concessions, (…) (elle) va être cédée à une société par actions simplifiées (SAS), la société pour l’investissement en infrastructures des territoires (SIIT) (…) elle même détenue à 100 % par la société de droit luxembourgeois « Cube II PPP Sarl » (page 92)
Cette information a pu paraître anodine aux conseillers communautaires, qui ne sont guère sensibilisés au fait que le Luxembourg ait pu apparaître plusieurs fois dans la liste des paradis fiscaux de certains organismes internationauxi.
Mais elle peut aussi nous interroger quand nous découvrons que la société pour l’investissement en infrastructures des territoires (SIIT), au capital d’un million d’euros, a été créée en janvier 2019 (enregistrée à l’INSEE le 9 janvier et immatriculée au RCSii le 22 janvier), c’est à dire 6 mois avant l’opération de transfert d’Espacéo. Surtout quand on constate que son dirigeant, Henri PIGANEAU, a déjà créé et dirigé des sociétés holding dont la durée de vie et d’activité a été limitée dans le temps (quelques années), avant qu’elles ne soient radiées du RCSiii.
Et lorsque quelques militants associatifs, avec une élue européenne, « opposés au système de gestion du futur centre aqualudique de l’Épervière (critiquent) les choix opérés par l’Agglo pour le financement du projet » (Dauphiné Libéré du 23 novembre), Nicolas Daragon, maire de Valence et Président de l’Agglo, « regrette fortement (…) des manœuvres politiciennes qui interviennent à quelques mois des municipales et à trois semaines de la livraison de cet équipement » (DL du 25 novembre). Comme si le choix de livrer cet équipement à trois mois des élections municipales n’avait pas été un calcul électoral du Maire de Valence, Président de l’Agglo… et surtout, comme si le rôle de l’opposition, dans une démocratie, n’est pas justement d’avoir cette vigilance par rapport aux dérives financières des édiles. Maniant l’humour avec brio, il a rajouté lors d’un entretien : « quand on a pas de projet, on fait des procès ». Mais rétablir un système de gestion irrégulier pour qu’il respecte des principes de droit, et contrôler les prix pratiqués au profit du public du centre aqualudique, n’est-ce pas un projet pour l’Agglo ? Certes, il n’est pas du goût de Nicolas Daragon, qui a privilégié, dans son montage financier, les bénéfices du concessionnaire.
N.B. : Ce rapport est public et il peut être retrouvé et consulté sur Internet, soit à partir du moteur de recherche, soit à l’adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/communaute-dagglomeration-valence-romans-agglo-cavra-alixan-drome
i C’est à dire un territoire avec une taxation faible ou nulle pour les non résidents, un secret bancaire renforcé, un secret professionnel étendu, une procédure d’enregistrement relâchée et une liberté totale de mouvements des capitaux internationaux (cf. l’ouvrage de Christian Chavagneux et Ronen Palan – Les paradis fiscaux – Ed. La découverte ; ou celui de Pierre Alexis Blévin – Les paradis fiscaux – Ed. Que sais-je?)
ii Registre du Commerce et des Sociétés : cet enregistrement est obligatoire en France.
iii Ces informations sont publiques : il est possible de les retrouver sur internet en mentionnant dans le moteur de recherche le nom de l’entreprise