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Billet de blog 20 mars 2025

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Les nouvelles méthodes des médias télévisuels

Les nouveaux médias télévisuels comme Cnews ou BFM.TV, qui inscrivent des bandeaux en bas de l'écran, transforment les relations entre le média et la personne interviewée, voire déforment leur propos. Ne faudrait-il pas interdire ces pratiques ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les méthodes des nouveaux médias télévisuels comme Cnews ou BFM.TV, qui inscrivent des bandeaux en dessous des personnes qui échangent sur l'écran, transforment la relation que nous avons connue jusqu'à aujourd'hui entre un média audiovisuel et les personnes interviewés. Par ces procédés, les rédactions des médias induisent des messages qui re-formatent les paroles des personnes interviewées - plus exactement qui leur donnent la forme qu'elles ont décidé unilatéralement, sans en avoir discuté avec l'interviewé et sans lui donner le choix d'y répondre.

1. Linguistique et physiologie, l'analyse des processus en jeu :

Pour bien comprendre ce qui se joue, un petit détour par la linguistique et la neurophysiologie s'impose. Quand Ferdinand de Saussure commence son cours de linguistique générale (écrit par ses étudiants en 1916), il réalise une véritable révolution dans la discipline en remettant en cause une idée préconçue : le mot écrit ou parlé (signifiant) acquiert sa signification, non pas du rapport avec l'objet représenté, mais du rapport avec un concept (signifié), construit dans notre cerveau. De nombreux concepts ne sont d'ailleurs pas représentés par des objets immédiatement perceptibles, en particulier ceux que nous utilisons pour décrire des phénomènes sociaux. Les concepts sont une construction, y compris ceux qui représentent des objets, ces derniers s'inscrivant dans des schémas fonctionnels qui leur sont caractéristiques. Bref ! Les concepts sont des constructions sociales, des signifiés institués par l'usage : les usages de la vie courante, les usages professionnels, les encyclopédies, les dictionnaires, les définitions scientifiques, etc., il existe bien des phénomènes qui instituent nos concepts.

Les concepts sont ensuite communiqués aux jeunes générations et « appris » par discussion ou lecture. Le fonctionnement de notre cerveau permet de saisir la façon dont se construit la transmission culturelle de nos concepts : par la réccurrence des cooccurences - c'est à dire l'apparition fréquente des mêmes signifiants (mots écrits ou parlés) dans les mêmes unités langagières (segments du discours, phrases, paragraphes,...) -, les concepts s'inscrivent dans un réseau de relations avec les autres concepts (conceptions) et les mots acquièrent ainsi leur signification. L'organisation grammaticale, par son caractère fonctionnel, favorise cette mémorisation.

Mais les concepts sont aussi en relation avec des représentations, des images dans notre tête. La connaissance du fonctionnement de ces phénomènes neurologiques permet de mieux les comprendre de nos jours. Entre le cerveau, siège de nos constructions fonctionnelles et conceptuelles (raison), et les systèmes d'intégration automatiques, qui génèrent nos mouvements spontanées et incontrôlés (instinct), se trouve une partie importante de notre encéphale : le diencéphale qui comprend le thalamus, un ensemble de noyaux où se croisent les nerfs optiques, auditifs et ceux qui viennent de toutes les parties de notre corps, avant de rejoindre les espaces spécialisés dans le cerveau. La phase de sommeil paradoxal, pendant laquelle nous rêvons, dite REM (Rapid Eye Movement) en raison des mouvements importants des yeux, permet de penser que cette sphère joue un rôle important dans la formation de nos images mentales, qu'elles soient visuelles ou auditives. Le diencéphale comprend aussi l'hypothalamus qui, en relation avec les amygdales, génèrent nos émotions. Par ailleurs, l'hypothalamus, en relation l'hypophyse - une glande endocrine qui sécrète des hormones -, remplit de nombreuses fonctions de régulation (sensations de faim, soif, sudation, frissons…). Sans entrer dans la complexité des relations de cette sphère neurologique, on notera seulement que le thalamus et l'hypothalamus sont voisins, et de ce fait, les représentations auditives et visuelles et les émotions sont étroitement liées. Nous pouvons le constater au moment des rêves, où certaines images peuvent provoquer des angoisses (cauchemars) ; mais aussi, en journée, une musique peut induire des sensations agréables ou évoquer des sentiments, les scènes d'un film peuvent aussi nous marquer profondément, etc.

Ces images ou ces sons, qui se combinent dans le diencéphale en relation avec les recepteurs sensoriels (auditifs ou visuels), se structurent dans les parties spécialisées du cerveau (par exemple, cortex visuel et son aire associative dans le lobe occipital ou cortex auditif et son aire associative dans le lobe temporal). Le langage participe aussi à cette structuration à un degré plus élaboré en organisant ces informations de façon fonctionnelle et rationnelle. A force de répétition, des circuits neurologiques (appelés engrammes) se consolident ainsi pour mettre en relation nos conceptions et nos représentations.

Ainsi, les mots signifient nos émotions, à travers les constructions conceptuelles que nous élaborons. Réciproquement, en raison de ces engrammes neurologiques, l'évocation de certains mots peut générer des émotions en lien avec les représenations mises en scène. L'auteur d'un roman, le poète, le conteur ou le comédien savent ainsi jouer sur les mots pour toucher notre sensibilité et, pour les deux derniers, en les articulant avec des jeux de représentation ou des mises en scène d'émotions.

L'intérêt n'est pas ici d'approfondir l'étude de ces processus, qui pourront faire l'objet de travaux scientifiques plus précis, mais seulement de mettre en valeur un certain nombre de procédés langagiers, qui font référence à des représentations implicites, et qui sont mis en œuvre par les médias télévisuels en simultanéïté avec les entretiens présentés. Et l'objectif est d'interpeller ces médias sur l'intentionalité de ces processus. Il va de soi que ce n'est pas à l'analyse du discours conduite ici de s'interroger sur cette intentionalité, qui conduirait le propos dans un jugement dont on se gardera. Chacun son rôle : celui de l'analyse des discours n'est pas de juger les actions humaines, seulement d'observer les effets de sens induits et d'en décoder certains mécanismes plus ou moins conscients.

2. L'analyse d'un interview sur BFM.TV :

Pour étudier ces processus, observons l'interview d'Alexis Corbière conduit par Amandine Atalaya, avec Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique de BFM TV et Bruno Jeudi, directeur délégué de la tribune dimanche en décembre 2024.

Il serait possible d'analyser le discours des acteurs, mais ce n'est pas ce qui a attiré mon attention : chacun y joue son rôle dans un système de relations qui est bien rodé. Il est plus intéressant d'observer les notes qui défilent en bas de l'écran et qui nous communiquent des messages éclairs, sans que nous en ayons conscience, si nous sommes centrés sur l'entretien ou sur une activité parrallèle de notre quotidien (par exemple, dans notre cuisine).

La structure de ce message de bas de page est double : au dessus un TITRE en gras et capitale qui correspond au sujet abordé pendant l'interview ; en dessous une information sur deux lignes avec entre parenthèses la source.

2-1. Le début de l'entretien :

On notera un premier paradoxe : l'apparition du terme « alerte info », en rouge, au bout 4' (minutes) 42'' (secondes). Or les informations nous sont données pendant les 4'40'' qui précèdent, et quand apparaît le terme « alerte infos », ce ne sont plus des informations qui sont communiquées, mais des morceaux des réponses de l'interviewé, voire parfois d'autres personnalités citées, morceaux choisis par le média. Quel est l'intérêt de cette inversion ? Les informations de ce début de l'entretien ont-elles vraiment pour objectif de nous informer ?

Je reviendrai sur les choix réalisés au niveau des messages retenus au moment où apparaît « alerte infos », mais analysons tout d'abord les informations qui nous sont communiquées pendant les premières minutes.

  • (1 à 14'') « Georgie : la présidente pro-européenne maintient qu'elle ne quittera pas son poste tant qu'il n'y aura pas de nouvelles législatives (AFP) » ; puis (15'' à 25'') : « Georgie : les Etats-Unis condamnent ''l'usage excessif de la force par la police'' contre les manifestants pro-UE (un diplomate) » Au dessus le titre : « ALEXIS CORBIERE INVITE DE BFM POLITIQUE ». Par cette introduction, les rédacteurs de BFM politique veulent-ils nous rappeler qu'en France, nous sommes en démocratie et nous pouvons nous exprimer ? BFM Politique invite d'ailleurs les députés de l'opposition. Ils ne veulent tout de même pas sous-entendre que notre président utiliserait les mêmes méthodes que le président géorgien contre l'opposition ? Après cette note d'humour, entrons dans le vif du sujet.

  • De (26'' à 1'26'') apparaissent les résultats sportifs. Jusqu'à 50'', le football (la 13ème journée de ligue 1 et des matchs amicaux) ; suivent ensuite la natation (jusqu'à 1'02'') et les paris hippiques (jusqu'à 1'25''). Le gros titre ne change pas, mais il est intéressant de constater que c'est à ce moment que la speakerine présente le sujet : « qui va rapporter ce bras de fer, Michel Barnier ou Marine Le Pen », avec une photo de la Tribune Dimanche opposant les deux personnages. C'est vrai que Barnier fait un pari risqué. Et il est demandé son avis à un observateur extérieur à ce match, Alexis Corbière. C'est honorable. Mais le NFP, principale force politique de l'assemblée nationale, ne participe-t-elle pas à ce match ? L'interviewé saura répondre habilement en rappelant que ce sont Emmanuel Macron et Michel Barnier qui ont ainsi renforcé, par ce jeu, le rôle du RN.

    Certes, ce procédé est une accroche médiatique pour attirer l'attention des personnes sportives, ou du moins intéressées par le sport, vers le débat politique. Mais cette analogie n'est-elle pas une façon simpliste de présenter le débat politique ?

  • Les deux informations suivantes, sur le cinéma et Tchat GPT, sont déconnectées du débat.

  • A (1'50''), deux informations apparaissent en même temps : 1° à l'image, sur la moitié droite de l'écran, la photo de Marine Le Pen et une citation d'elle : « on ne prend personne en traître. La censure n'est pas inéluctable, il suffit que M. Barnier accepte de négocier – Marine Le Pen dans un interview à la Tribune Dimanche » ; 2° une information en bas d'écran sur le « vote du budget : censurer le texte ''serait un signal politique fort et dangereux'' (ministre du budget /Le Parisien) ».

    Puis (à 2'02''), le titre change « CENSURE / BUDGET : LES DERNIERS JOURS DE BARNIER ? », question à laquelle répondent les deux lignes d'information : « Vote du budget : ''nous restons constructifs'' affirme Marine Le Pen à la veille du vote crucial à l'assemblée nationale (La tribune dimanche) ».

    Bref. Le match est bien lancé entre ces deux forces, gouvernement et RN, qui échangent dans un rapport de force. Mais pourquoi, le cas échéant, BFM politique n'invite-elle pas Mme Le Pen ou M. Barnier à répondre à ces questions ? Et pourquoi avoir invité Alexis Corbière, « député écologiste et social de Seine Saint Denis », à répondre à ce débat duquel son courant politique est exclu ?

    Une façon bizarre d'engager le débat !

  • Laissons de côté une information pratique (à 2'26'') que glisse BFM Paris Ile de France pour ses auditeurs .

  • L'information suivante (à 2'39'') va se décomposer en plusieurs séquences :

    « Chute d'un char de Noël à Trouville-sur-mer : il y a 12 blessés sans pronostic vital engagé, dispatchés dans les hopitaux de la région (maire) »

    (2'50'') « Chute d'un char de Noël à Trouville-sur-mer : parmi les 13 blessés, deux personnes sont en urgence absolue (pompiers) »

    (3'02'') « Chute d'un char de Noël à Trouville-sur-mer : il y a des personnes très gravemeent blessés, notamment avec de grosses fractures (maire) »

    (3'14'') « Chute d'un char de Noël à Trouville-sur-mer : une cellule d'écoute est disponible pour toutes les personnes choquées (Syvie de Gaetano, maire) »

    (3'26'' jussu'à 3'38'') « Chute d'un char de Noël à Trouville-sur-mer : c'était un char conduit par des professionnels qui avaient reconnu les lieux (maire à BFMTV) »

    Le titre au-dessus de cette information est resté : « CENSURE / BUDGET : LES DERNIERS JOURS DE BARNIER ? ».

    Il est important de préciser que cet accident est arrivé la veille au soir alors que l'interview a lieu le dimanche entre midi et deux. L'information n'est pas instantanée. Pourquoi dès lors annoncer « 12 bléssés sans pronostic vital engagé », première annonce de la maire de Trouville-sur-mer, puis « 13 blessés (dont) deux personnes en urgence absolue », correction apportée par les pompiers, puis « il y a des personnes gravement blessés », correction de la maire, qui n'est nommée que lors de la troisième citation de sa part. Cette impréparation est-elle le résultat d'un manque d'organisation des personnes qui apportent cette information ? Ou est-elle volontaire pour traduire la spontanéïté de l'information... comme si l'accident venait d'intervenir quelques minutes plus tôt ?

    Cette question n'est pas anodine. Dans le second cas, d'autant plus probable que l'information a déjà été largement diffusée sur tous les médias (y compris BFMTV), il s'agit d'un procédé subtil qui nous fait vivre l'action comme si elle venait juste de se dérouler sous nos yeux : une succession d'énoncés au présent, une gradation de plus en plus dramatique de l'évènement, avant une chute qui apaise : une cellule d'écoute... Ce procédé est bien connu des romanciers et des conteurs, qui embarquent le public dans l'immédiateté de l'action, pour générer ainsi l'émotion du vécu. Dans le cas présent, cette émotion, partagée par un public déjà amplement informé, est mise au service du sujet du jour : « censure du budget : les derniers jours de Barnier ? ».

  • Ce procédé est reproduit deux fois ;

    • (3'50'') « Disparition de Morgane : l'adolescente n'a plus donné signe de vie depuis qu'elle a quitté son domicile lundi matin, dans les côtes d'Armor »

      (4'02'' à 4'13'') « Disparition de Morgane : peu avant, un différend avait écaté entre la jeune fille et ses parents au sujet de son téléphone (sources conccordantes) »

    • (4'26'') « Agent municipal tué à Grenoble : le suspect a été mis en examen pour meurtre et placé en détention provoire (procureur) »

      (4'38'' à 4'42'') « Grenoble : Lilian Déjean, 25 ans, avait été tué par balles le 8 septembre dernier, en tentant d'empêcher un conducteur de fuir après un accident »

  • Le titre pendant tout ce temps là est toujours le même : « CENSURE / BUDGET : LES DERNIERS JOURS DE BARNIER ? ». Les rédateurs « d'alerte info » de BFM politique n'ont-ils pas consciemment exploitée les émotions suscitées par ces évènements pour faire vivre aux auditeurs une sensation d'angoisse face à l'incertitude politique générée par le vote de censure ?

Le cas échéant, nous pouvons comprendre ces procédés (les émotions de l'accident, de la fugue et du meutre ou la métaphore du sport) qui rendent l'interview émotionnellement plus vivant, ou qui accroche un public qui serait moins enclin à s'intéresser au débat politique. Le rôle d'un média n'est-il pas de capter son public ? Mais ces procédés soulèvent quelques interrogations, d'un point de vue éthique ? 1° Ils font appel à des mécanismes affectifs, sans que le spectateur en soit conscient... sauf s'il est spécialisé dans l'analyse des discours, public assez marginal. 2° Ces procédés induisent des effets de sens (des formes de connexion implicites entre concepts et représentations) qui peuvent parfois apparaître ambigües. Pour l'illustrer, analysons la suite de ces procédés à partir du moment où apparaît la rubrique « alerte info ».

2-2. Apparition de la rubrique « alerte info » :

C'est (à 4'42'') qu'apparait la rubrique « alerte info » : elle introduit les deux lignes en bas de l'écran, mises en valeur par un fond blanc. A ce moment là, celles-ci reprennent une citation d'Alexis Corbière, exprimée quelques minutes plus tôt : « je suis d'une famille qui considère que certains, qui gagnent une fortune insolente, ne paient pas assez d'impôts ». Au même moment, un des interviewers, Matthieu Croissandeau, interroge Alexis Corbière sur la « baisse des factures de l'électricité qui devrait se porter à 14% », un « geste fait par le premier ministre » « pour amadouer Marine Le Pen ».1 Nous ne sommes donc pas surpris de voir apparaître, (à 4'52''), un nouveau titre : « BAISSE DES TAXES D'ELECTRICITE : MERCI LE PEN ? ». Mais pourquoi avoir ajouté « Merci Le Pen ? »

Alexis Corbière répond à Matthieu Croissandeau (5'30'') : « Je me félicite que Monsieur Barnier recule ; je rappelle que le NFP avait proposé des amendements allant dans ce sens ». Nouvelle question de l'interviewer (5'42'')  : « C'est Marine Le Pen qui l'obtient...Est ce que le rassemblement national défend mieux les classes populaires que vous ? » Question à laquelle Alexis Corbière répond en expliquant le « danger de la mise en scène de Monsieur Barnier » : « si c'est pour dire, celle qui pèse, celle que j'écoute, c'est l'extrême droite alors que nous avons mené ce combat, politiquement, le message que l'on envoie au pays n'est pas bon ».

Comment « alerte info » résume ce débat ?

  • (6'17'') En dessous du titre « BAISSE DES TAXES D'ELECTRICITE : MERCI LE PEN ?  ? », les deux lignes « d'alerte info » reprennent la citation d'Alexis Corbière : « Electricité : « il faut se féliciter du recul de Monsieur Barnier » sur l'augmentation des taxes (Alexis Corbière) ». Quand on fait le choix de réduire un débat de 1'25'' à deux lignes, on fait nécessairement un choix. Mais pourquoi avoir rajouté « sur l'augmentation des taxes » à la citation ? Et avoir transformé « je me félicite » en « il faut se féliciter » ?

Pour bien comprendre l'ambigüité de ce raccourci, analysons l'effet de sens produit par la présente « parataxe », qui est le fait d'aligner côte à côte deux énoncés apparement sans rapport entre eux et sans lien syntaxique, mais dont le rapport de sens est implicite – souvent grace à un élément que l'on retrouve dans les deux énoncés -. Prenons par exemple, les deux énoncés suivants : « il est tombé dans l'escalier ; il s'est cassé la jambe » ; tout le monde en déduit que « il » s'est cassé la jambe en tombant dans les escaliers, ce qui n'est pas explicitement formulé. Inconsciemment, nous faisons appel à la représentation que nous avons de la situation pour faire le lien entre les deux évènements. Et le pronom « il », qui représente la personne dont on parle, permet ce lien implicite.

  • Reprenons maintenant nos deux énoncés qui sont aussi construits comme un parataxe : « BAISSE DES TAXES D'ELECTRICITE : MERCI LE PEN ? », « Electricité : « il faut se féliciter du recul de Monsieur Barnier » sur l'augmentation des taxes (Alexis Corbière) »

La paratexte fait un lien direct entre « Merci Le Pen ? » => « Il faut se féliciter ». Le lien de sens implicite entre les deux énoncés est renforcé grace à l'objet du discours, les « taxes d'électricité », objet qui a été rajouté à la citation. Par aillleurs, le fait d'avoir remplacé « je me félicite » par « il faut se féliciter » renforce la liaison entre les deux énoncés de la parataxe. Par ces modifications apportées à son discours, on fait dire à Alexis Corbière qu' « il félicite » Marine Le Pen d'avoir fait reculer Michel Barnier sur les « taxes d'électricité ». (Avec « Merci Le Pen » => « je me félicite », ce n'est plus Marine Le Pen qui est félicitée.)

  • Une comparaison permet d'identifier le choix fait par « alerte info ». Pourquoi ne pas avoir choisi l'énoncé suivant de l'interview : « BAISSE DES TAXES D'ELECTRICITE : MERCI LE PEN ? », « Electricité : « je rappelle que le NFP avait proposé des amendements allant dans ce sens » (Alexis Corbière) ».

Dans ce cas, « le NFP avait proposé des amendements » signifie clairement que ce n'est pas Marine Le Pen qu'il faut remercier, réponse au point d'interrogation. D'un point de vue syntaxique, ce second choix est plus cohérent : à la question formulée par le point d'interrogation, on apporte la réponse de l'interviewé. Par ailleurs, ce choix semble plus en cohérence avec ce qu'a dit l'interviewé dans les minutes qui précèdent.

Bien entendu, ceux ou celles qui ont suivi le débat ne feront pas l'erreur de penser qu'Alexis Corbière félicite Marine Le Pen. Mais à l'heure de l'interview (entre midi et deux), heures du repas ou des préparations en cuisine, de nombreux postes sont allumés sans écoute du débat, et seules les petites phrases inscrites sur l'écran sont retenues. Bien entendu, ceux ou celles qui maitrisent plus ou moins consciemment le sens logique de la grammaire (ce que N. Chomsky nomme « compétence langagière ») s'interrogeront sur l'ambigüité de ce montage. Mais tout le monde a-t-il acquis ces compétences langagières parmi les populations qui ont quitté assez tôt le système scolaire ? Enfin, n'oublions pas que l'écrit se grave dans la mémoire plus longtemps que l'oral, c'est pour cela que nous synthétisons ce qui est dit... et que nous prenons des notes.

Par conséquent, les différentes procédés qui ont été utilisés dans ces 7 premières minutes aboutissent à générer un discours parrallèle, qui induit ici un « contre-sens » : on « fait dire » à l'interviewé une pensée inverse à la sienne.

Y a-t-il eu intentionnalité ? L'analyse de discours ne le définit pas. Ce bandeau est resté très peu de temps à l'écran (de 6'17'' à 6'29'') et « alerte info » est revenu au message précédent, sur les « fortunes insolentes qui ne paient pas assez d'impôts ». Le message sur « l'augmentation des taxes » est aussi revenu (à 6'42'' jusqu'à 6'53''), mais avec l'ancien titre : « ALEXIS CORBIERE INVITE DE BFM POLITIQUE ». Les techniciens d' « alerte info » se sont-ils rendu compte du contre-sens qu'ils ont produit à l'écran ? Et ont-ils rapidement rectifié leur montage en conséquence ?

3. Conclusion : faut-il autoriser ces procédés ?

Par l'exemple ci-dessus, nous voyons ici le danger de ces re-formatages : ces quelques lignes ajoutées en bas des écrans restructurent le discours selon des critères qui n'ont pas été échangés avec l'interviewé, et qui peuvent, dans certains cas, déformer ses propos, ce qui a été le cas lors de ce débat. A la question d'Amadine Atalaya (6'50'') : « Pourquoi est-ce Marine Le Pen qui (...) apparaît auourd'hui comme la meilleure défenseuse des classes populaires ? », j'ai envie de lui répondre que les médias y participent beaucoup, et certainement tout autant si ce n'est plus que les acteurs politiques, par leurs choix politiques comme ceux du NFP évoqués par la speakerine, ou par les « manœuvres politiciennes », comme celle soulignée par Alexis Corbière dans sa critique de Michel Barnier.

Certes, les médias n'ont jamais été neutres : par le choix des sujets, les personnes choisies pour commenter une situation ou un événement, par leurs gros titres, etc., les médias font des choix. Dans notre société démocratique, la liberté de ces choix est légitime et considérée essentielle. Mais pour des raisons d'équité du débat politique, le législateur a cherché à mettre en œuvre certains critères à destination des médias audiovisuels, contrôlés par l'ARCOM. Et ces nouveaux procédés, qui n'ont pas encore été pris en compte par la législation, changent profondément les règles du jeu.

La question est de savoir si ces procédés ont un grand intérêt pour le débat politique ? Et ne faut-il pas les interdire ?

1Notons la réponse d'Alexis Corbière, pour bien situer le débat : il rappelle que la « forte augmentation qui était prévue n'aura pas lieu... mais je dis aux français qui m'écoutent, ça va quand même augmenter »

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