Introduction :
Les forces de gauche sont désunies face à la montée de l'extrême droite. Et cette situation préoccupe de plus en plus de sympathisant.es, qui ne sont pas engagé.es dans les partis politiques mais qui affirment leur positionnement à gauche.
Certes, nous pouvons chercher les raisons de cette division dans les divergences de conceptions politiques ou dans des idéologies qui s'affrontent : mais les divergences programmatiques ne paraissent pas un obstacle, ainsi que l'ont montré les programmes élaborés pour les élections de 2022 et 2024 ; et les divergences stratégiques n'apportent guère d'arguments supplémentaires pour expliquer ces déchirements, depuis que toutes ces forces se sont inscrites dans le projet de la NUPES et du NFP.
Ainsi que l'exprimaient déjà, au 19ème siècle, K. Marx et F. Engels, arguments confortés par l'essor des sciences sociales au 20ème siècle (économie, sociologie, histoire des civilisations, etc.), ce n'est pas dans les idéologies qu'il convient de chercher le moteur des actions collectives des êtres humains, mais dans les intérêts matériels qui les poussent à agir ensemble. Ce sont bien les causes matérielles qui sont à l'origine de ces divisions bien plus que des raisons idéologiques. Ces dernières ne sont pas à exclure, bien entendu, mais elles ne sont souvent que le reflet des premières. Bref ! Tant que les problèmes matériels ne seront pas posés et discutés, l'unification des forces de gauche restera un vœu pieux.
1. L'analyse :
1-1) Les rapports de force intrinsèques au jeu politique :
Le jeu politique est guidé intrinsèquement par des jeux de pouvoir, et de ce fait des rapports de force : il s'agit, pour les militant.es d'un parti, de prendre le pouvoir pour imposer leur façon de faire de la politique, c'est à dire de diriger les institutions sociales dans une logique qui est la leur. Au 20ème siècle, ces luttes s'inscrivaient dans des schémas simples, issus du 19ème siècle : les « partis de gauche » (PS, PCF...) étaient l'expression des luttes des syndicats et des associations, dans leur combat pour imposer une société socialiste, plus égalitaire et plus démocratique. Certes, ce schéma s'est complexifié avec les dérives staliniennes, mais globalement, il s'agit d'un schéma général qui s'appliquait à la plupart des conceptions politiques, y compris celle des anarcho-syndicalistes qui refusaient de participer à ce jeu politique afin de maintenir la pression sur le pouvoir. Mais aujourd'hui ce schéma politique n'est plus unanime, d'abord face à la complexité de l'évolution sociale (division du travail, mondialisation, intelligence artificielle...), ensuite face à l'émergence de nouveaux enjeux (écologie, féminisme, jeunesse, inclusion des personnes porteuses de handicap, accueil des immigrés, autogestion/sociocratie...). Et les schémas politiques, c'est à dire la façon de penser la politique, s'est diversifiée, conduisant à une explosion des forces de gauche : chacune cherche à imposer son modèle.
1-2) Les nouveaux modes de communication :
Le développement des réseaux sociaux et des médias audiovisuels indépendants a conduit à une contradiction supplémentaire, voire un paradoxe. Il a permis une participation de plus en plus active des citoyens à la vie politique. Ces nouveaux outils ont favorisé les débats démocratiques et les échanges à distance : tout le monde peut aujourd'hui diffuser ses idées sur internet, organiser des webinaires, etc. Mais, « trop de communication tue la communication », pour reprendre le proverbe. Et cela a conduit à une surenchère d'initiatives politiques - à condition de maitriser ces nouveaux systèmes de communication. Nous arrivons ainsi à une explosion des forces de gauche, mais aussi de droite. Face à cette atomisation, la tendance est forte de concevoir la politique avec un schéma autoritaire et descendant pour rétablir l'unité indispensable pour faire poids politiquement, le parti dominant étant celui qui sait le mieux communiquer sur les réseaux sociaux, ou qui a de gros sponsors sur les médias indépendants, à l'image de l'extrême droite sur Cnews, C8, etc. Cette concentration du pouvoir médiatique (le « marché de la communication » analysé par P. Bourdieu) détruit la démocratie au lieu de favoriser son épanouïssement. La question est d'arriver à se faire entendre dans cette cacophonie de communications, et d'inventer de nouvelles formes de débat démocratique en utilisant ces outils, pour permettre au plus grand nombre de personnes d'échanger.
1-3) La financiarisation de la politique :
L'institutionnalisation de la démocratie à la française a eu un autre effet pervers : la financiarisation des partis. L'objectif est louable puisqu'il s'agissait de limiter le poids de la finance dans le jeu politique, tout en donnant les moyens aux partis politiques d'exister et de fonctionner. Les règles fixées sont parfois discutables : la défiscalisation favorise les personnes qui payent des impôts et les candidats qui savent récolter cette manne. Cela ne remet pas en cause la justification des intentions politiques pour un tel système, qui évite une dérive à l'américaine où la finance domine le débat. Mais le financement public des partis est aussi établi en fonction des résultats aux élections législatives : ceci a conduit à une augmentation significative des partis qui se présentent. L'enjeu de ces candidatures, lors de ces élections, ne se borne pas à obtenir des circonscriptions et des sièges de députés, mais aussi à obtenir des voix pour financer le parti. Et cet aspect pratique prend souvent le dessus sur la rationalité du combat politique pour faire valoir les propositions politiques. Et nous assistons à une division des forces de gauche.
1-4) L'individualisme et l'opportuniste :
La division de la gauche et le développement des réseaux sociaux ont favorisé des pratiques agressives entre les militant.es qui partagent souvent des idées parfois très proches. Ce phénomène est inévitable en politique, mais les réseaux sociaux ont accentué ce phénomène : alors que les débats en présentiel sont souvent régulés par le groupe, voire par le moment convivial après la réunion, ces temps de régulation n'existent plus lors des échanges par réseaux sociaux. Les conflits ont ainsi tendance à s'exacerber. Dans ce contexte, on assiste à un éclatement des forces de gauche et à une démobilisation des militant.es, qui se traduit par un repli individualiste.
L'éclatement des formes traditionnelles des débats politiques a favorisé l'ambition de ceux et celles qui savent se mouvoir dans ces nouveaux jeux politiques. Certes, l'opportunisme en politique n'est pas un phénomène nouveau, et les stratégies individuelles de positionnement ont souvent pris le pas, en particulier au niveau local, sur l'élaboration de propositions collectives concertées. Mais l'explosion des forces de gauche favorise les jeux de pouvoir individuels au détriment d'une construction démocratique.
L'atomisation des forces, en raison de cet individualisme, conduit à privilégier des formes d'organisation autoritaires et descendantes, de façon à reconstituer le rapport de force politique. L'extrême-droite excelle dans cet autoritarisme bien plus que la gauche. Au sein de celle-ci se développe l'intolérance, chaque courant étant convaincu d'avoir la meilleure stratégie pour remobiliser les sympathisant.es. Cette situation entretient la division entre les partis de gauche et elle devient, pour certains leaders, un moyen d'affirmer leur position dans ce jeu social concurrentiel.
2. Un débat pour des modes d'organisation fiables et équitables des forces de gauche :
Cette nouvelle donne du jeu politique nous conduit à le penser en termes d'organisation des intiatives et non plus de lutte pour prendre le pouvoir - même si cette dimension continuera d'exister -. Ce n'est pas la première fois, en France, que les forces socialistes et démocratiques sont à ce point dispersées, ainsi que l'illustre le « congrès du globe », en 1905, qui a conduit à la formation de la SFIO, ancêtre du parti socialiste français. Ces derniers temps, des interventions de personnalités politiques ou scientifiques indépendantes ont lancé différentes pistes pour dépasser les clivages. Des réflexions collectives ont eu lieu au sein de différents Archipels. Des perspectives existent, mais elle butent régulièrement sur les questions opérationnelles : chaque parti souhaite conserver son identité, tant au niveau de la réflexion théorique que de ses modes de fonctionnement et de son organisation ; il a son histoire, ses enjeux, ses formes de représentation, etc. Mais il n'y aura « unité de la gauche » que s'il y a des modes d'organisation pérennes, des règles communes qui sont considérées équitables par toutes les parties. A partir du moment où ces règles seront suffisamment codées et acceptées par tous les partis (par exemple, sur le pilotage, la répartition de la représentation, la distribution du financement public...), il s'agira de fait d'un nouveau parti.
C'est pour résoudre ces contradictions que je soumets au débat, à travers ce texte, l'idée d'une confédération des partis de gauche, au sein de laquelle chaque parti pourrait garder son identité, mais avec la mise en place de règles communes pour favoriser l'expression de toutes les composantes, les échanges d'idées et la construction démocratique. Ces règles seront à discuter collectivement, mais nous pouvons déjà en cerner quelques dimensions.
2-1) Une instance de coordination et de pilotage :
Former une confédération des partis de gauche implique que tous les partis de cette confédération soient représentés dans l'instance de coordination et de pilotage. Dans le cas contraire, il y aurait des partis représentés, d'autres non, et de ce fait, les jeux de pouvoir entre les partis reprendraient pour s'affilier les nouveaux partis qui cherchent à se faire reconnaître.
Cela pose la question des modalités d'accueil des nouveaux partis au sein de la confédération. Les 19 partis du NFP pourraient constituer un socle de départ, avec un seuil à définir de votes positifs pour l'accueil de nouveaux partis au sein de la confédération (¾ de votes positifs, par exemple). Par ailleurs, la fusion de certains partis permettra peut-être de réduire le nombre de ceux-ci. En tout état de cause, cette question de l'accueil des nouveaux partis est à poser pour conserver une ouverture et un dynamisme, sans générer un système bureaucratique ingérable à terme. (Autre exemple, une idée de « sas » pourrait aussi permettre à de jeunes partis, « non encore représentatifs », d'intégrer la confédération sans être tout de suite représentés au comité de pilotage... ou représentés par un système de chaises tournantes entre les partis du « sas »...)
Le seconde question est celle des modalités de la prise de décision. Les divergences entre les conceptions ne manqueront pas de ressurgir au sein d'une telle confédération, ainsi que les luttes de pouvoir intrinsèque au jeu politique. La notion de consensus, ou du moins de consentement, qui s'est développée ces dernieres années, apparaît le meilleur moyen pour résoudre cette contradiction : seules les décisions à l'unanimité, au moins par consentement – c'est à dire non opposition des partis les plus réservés pour cette décision - peuvent conduire à une prise de décision collective. Dans le cas contraire, les partis conservervent leur autonomie, mais sans décision de la confédération.
Un tel fonctionnement peut paraître utopique ; pourtant, l'élaboration du programme du NFP montre que plus de 90% de celui-ci a conduit à un accord. Rien ne permet de penser qu'il en serait différent pour les décisions courantes ou les prises de position sur l'actualité.
2-2) Des formes internes de communication :
Un fonctionnement démocratique doit se doter d'outils de communication. Ce sont eux qui constituent l'organisation, bien plus qu'un comité de pilotage qui n'est qu'une instance de coordination d'organisations déjà existantes. Il ne s'agit pas de substituer les outils de la confédération aux formes déjà existantes d'organisations, mais de créer des modes de communication complémentaires pour favoriser le débat démocratique. Un de ces outils peut être de faire connaître les propositions de tous les partis de la confédération comme eux souhaitent s'exprimer et non comme les médias les présentent : un site public avec quelques liens ferait aisément l'affaire. Les formes de présentation et les rubriques sont à définir ensemble.
Mais l'intérêt est aussi de créer des outils informatiques qui favorisent les débats entre les différents composantes et conceptions de la gauche. Ainsi pourraient être mises en place des espaces d'échanges avec modérateur-trice. Ceux-ci pourraient permettre d'approfondir les réfexions sur les points du programme, soit par des échanges en commissions (forums, Zoom), soit par des débats organisés avec des personnes qui ont des compétences spécifiques sur certains sujets (économistes, sociologues, historien.nes....). Des formations en distanciel ou en présentiel pourraient aussi être mis en place selon les moyens, en particulier pour les modérateurs-trices.
Enfin, les points les moins consensuels entre les partis pourraient être l'occasion de débats réguliers organisés et animés par des spécialistes de cet exercice (journalistes, animateurs-trices...). Les commentaires des personnes qui suivent ces débats pourraient être l'occasion de faire émerger des idées originales qu'il serait alors possible d'approfondir lors des travaux en commissions.
Dans tous les cas, cette organisation devra créer des formes dynamiques de communication, en s'appuyant sur les nouveaux moyens de communication liés aux progrès de l'informatique... avec des modérateurs-trices formé.es, pour éviter les dérapages que l'on connait avec ces nouveaux outils.
2-3) La représentativité des partis :
Pour éviter le phénomène de dispersion des voix lié aux nouvelles modalités de financement des partis, une consultation préalable serait souhaitable pour reconnaître la représentativité de chaque parti. Mais celle-ci demande à être organisée.
L'organisation d'un vote annuel des adhérent.es et des sympathisant.es permettrait d'apprécier cette représentativité. La confédération pourrait ainsi appliquer le principe de la proportionnelle, qui correspond au programme des forces de gauche, même dans un système comme le système français qui est un système par circonscription.
Pour cela, il y a besoin de définir le corps électoral. Une adhésion minime (de 5 à 20 euros selon le revenu, par exemple) pourrait définir le fait d'être symphatisant.e de « gauche », que l'on soit adhérent.e ou non d'un parti de la confédération, Ceci ouvrirait la confédération à la dite « société civile », qui ne souhaite pas s'engager en politique, mais qui souhaite tout de même trouver un marqueur pour affirmer son positionnement à « gauche ».
Le versement de l'adhésion à la confédération offrirait, par ailleurs, aux adhérent.es et sympathisant.es l'accès à toutes les communications internes de la confédération et à toutes les communications informatiques des partis de celles-ci, sauf opposition au moment de l'inscription et à tout moment selon les modalités fixées par la loi informatique et liberté.
Enfin, le versement de l'adhésion permettrait de participer aux discussions sur des thématiques au sein de la confédération, pour approfondir les questions dans certains domaines spécifiques du programme... ou dans les collectifs locaux. Cela favoriserait la mobilisation lors de gros évènements ou lors des élections locales.
2-4) Une charte et un comité éthique :
Face à la division de la gauche et aux pratiques agressives qui en résultent, en particulier sur les réseaux sociaux, il est important de définir des principes éthiques à travers une charte et de mettre en place des processus de modération et de régulation internes. La création d'un comité éthique est le complément opératoire de cette charte éthique, et une instance complémentaire du comité de pilotage : sollicitable lors de conflits, elle pourrait désigner des enquêteurs dans des partis non impliqués dans les conflits, puis statuer collectivement avec toutes les parties sur les situations, soit par des préconisations, soit par des sanctions lors de comportements agressifs caractérisés et répétés. Il est indipensable que tous les partis soient représentés au sein de ce comité éthique. Bien entendu, les règles déontologiques sont à préciser, tant sur la charte que sur le fonctionnement et les procédures du comité éthique.
Conclusion :
Une confédération des partis de gauche n'a rien d'utopique : elle est le meilleur moyen d'éviter l'atomisation des forces et les luttes intestines pour dominer les autres courants de pensée. Elle aurait l'intérêt de constituer la principale force politique au sein du parlement, tout en permettant à chaque parti de conserver son identité et ses modes de fonctionnement historiques.
Par ailleurs, cette proposition permet de poser les problèmes concrets, matériels et pratiques, qui divisent réellement les partis. Elle constitue ainsi un garde fou contre l'opportunisme et l'autoritarisme qui dominent la politique traditionnelle.
Quatre dimensions fondamentales sont à étudier pour consolider son organisation :
un comité de pilotage et de coordination où tous les partis sont représentés ; des décsions prises au consensus/ consentement, chaque parti conservant son autonomie sur les questions non consensuelles
des espaces d'échange avec modérateurs-trices, et un site unitaire qui fait connaître toutes les propositions
une adhésion symbolique pour tou.tes les sympathisant.es de gauche et des votes internes pour connaître la représentativité de chaque courant, afin de respecter la proportionnelle dans l'équilibre des forces de gauche,
la création d'une charte et d'un comité éthique pour gérer les conflits.
Cette proposition aura au moins l'intérêt, si certains partis y prêtent attention, de se mettre tous autour de la table pour avancer de façon concertée, et discuter des questions pratiques qui divisent la gauche.