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Billet de blog 22 octobre 2025

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Inocencia, Minerva et autres dames du quartier

Présentation de quelques femmes de Santa Fe

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a tout d’abord Inocencia, sexagénaire petite et rondouillarde, passant les fins d’après-midi assise sous l’avancée de son toit. Elle contemple la rue en compagnie de sa voisine et amie Gladys, plus foncée de peau qu’elle, mais correspondant, pour le reste, à la même description. Toutes deux sont d’excellentes observatrices de la voie publique et expertes en bruits qui courent. Elles savent tout du secteur, y compris ce qui n’est pas vrai. Inocencia me sourit et m’appelle par mon prénom depuis qu’elle sait que mes propositions pour le quartier (voir autres billets), n’impliqueront pas l’interdiction d’organiser, de temps en temps, une fête de famille. Certes, le voisinage doit supporter les siennes et les enceintes super puissantes de son fils. Les deux colonnes d’un mètre de hauteur diffusent de splendides lumières de couleur accompagnées de musique à faire vibrer les murs de toutes les maisons. Mais juste quelques fois par an ! Nous sommes en pays latin, il faut parfois être philosophe.

L’année dernière, il y avait Minerva, qui vivait seule avec sa fille Amanda, âgée de vingt ans, et sa petite-fille Betty, âgée de quatre ans. Ingénieure de métier, Minerva n'était pas appréciée des autres voisins pour avoir justement réclamé plus de silence et de propreté, mais avec trop de sécheresse, sans se plier aux codes de la rue. Elles ont toutes déménagé. Amanda et Betty sont parties en Serbie, un pays qui n'exige pas de visa pour les Cubains, et Minerva s’est installée à Buenavista, un quartier plus calme de la ville.  

Il y a aussi des membres de la police locale. La jeune lieutenant Suzy, par exemple, qui affirme avec conviction que les forces de l’ordre sont là pour aider les habitants, mais qui se cache au fond du commissariat lorsqu’ils en ont vraiment besoin. Ou bien la trop jeune Chef de secteur Maricel, vexée depuis que nous lui avons dit que la police ferait mieux de s’occuper des mafieux confirmés, plutôt que du gamin pris la veille à voler des ampoules dans les jardins (voir le prochain billet : Rolegio et la police). 

Il y a Ramona, membre du parti, qui a plus de soixante-dix ans et qui a toujours cru en l’idéologie socialiste. Elle ne peut se résoudre à voir la réalité. Elle n’a jamais eu de responsabilité au sein de l’appareil, si ce n’est un modeste rôle local, mais son mari a eu de l’influence. Ni l’un ni l’autre ne sont appréciés dans le secteur. Peut-être l'ont-ils cherché ? Ils n’ont pas su admettre les failles du système. Ils n'ont pas voulu reconnaître que tout n'était pas parfait. Ils ont préféré, année après année, responsabiliser la population. Ils l'ont accusée de ne pas voir la grandeur de la Révolution, de ne pas être sérieuse, de ne pas comprendre l'intérêt général, d'être indisciplinée et de manquer d'énergie au travail. Révoltés à l’origine contre les ennemis du peuple, ils sont devenus ses ennemis à leur tour sans s’en rendre compte. Il y a de quoi méditer. Leur réfrigérateur est plein grâce aux relations de son mari, mais Ramona semble aigrie et rigide. Depuis quelque temps, elle semble même déprimée, ce qui la rend plus humaine. Lorsque je la croise, je me demande ce qu’elle peut bien penser, en cette année 2025. J’ai tendance à conclure qu’elle ne croit plus en rien, mais qu’elle nourrit un profond mépris pour ses semblables. Quel gâchis !

Il y a Yahima, institutrice de métier qui aime son pays, mais qui n’en pouvait plus. Elle a accepté de faire le ménage au Mexique. Elle nous a fait ses adieux il y a peu et a déclaré qu’elle ne reviendrait pas. Elle essaiera de faire venir son fils et son mari, un jour, si les aléas des administrations et les conditions le permettent. Que la chance soit avec eux.

Il y a Belinda la masseuse, qui m’a dispensé ses soins pour une douleur lombaire. Elle s’est occupée de mon dos, en me racontant, de façon purement anecdotique évidemment, qu’elle cherchait l’argent pour s’achèter la cocotte-minute électrique toute neuve que vendait son voisin, lui-même l’ayant reçu en cadeau de sa cousine installée à Miami. Une cocotte de Miami ! Satisfaite du tarif auquel je payais ses interventions, Belinda me conseillait de les multiplier pour mieux me rétablir. Malheureusement, je me suis rendu compte qu’autant de massages n'étaient pas nécessaires. Son air réprobateur m’a fait comprendre qu’elle n’avait pas encore réuni la somme souhaitée. J’ignore si, finalement, elle a trouvé d’autres clients pour se payer sa casserole, mais c’est certain, nous resterons amis.

Il y a Catalina, mère de deux filles, désormais jeunes adultes et mères elles-mêmes, ainsi que sa sœur Belkis, mère elle aussi de deux filles. Elles habitent toutes dans l'une des maisons très modestes du quartier, dans des conditions précaires. Deux hommes vivent avec elles, mais ils sont discrets et leur laissent le devant de la scène. De nombreux autres représentants de la gent masculine fréquentent les lieux, attirés par les jeunes femmes et les faveurs qu’elles n’hésitent pas à leur offrir en échange de quelques pesos. Pendant ce temps, Catalina balaie les lieux et tente de contrôler ses filles lorsque le comportement de leurs amis devient trop vulgaire, ou trouble la paix du quartier. Que faire, si ce n’est méditer sur l’injustice du destin ?

Pour terminer, ll y a Josefina, l’épouse de Jose, le philosophe réparateur de réfrigérateurs. La cinquantaine, peu bavarde mais joviale, elle semble heureuse et fière de sa famille. Aimable malgré les difficultés du quotidien, elle fait preuve de quiétude, qualité qui fait parfois défaut par ici, et a le regard indulgent de celles et ceux qui ne jugent pas les gens. Il n’est pas nécessaire de faire de la politique pour respecter les autres. L’humanisme est aussi une question de paix intérieure.

Il y en a bien d’autres encore, sans qui la vie de ce quartier serait bien terne. Je les salue toutes, quelles qu’elles soient, et leur souhaite un avenir plus radieux.

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